Chapitre 21 L'esprit parasite

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1957, 14 avril

Le domaine était maintenant plongé dans le silence. Les sorciers avaient quitté les lieux, chacun se demandant où pouvait être Aloïs Walsh ; chacun ayant peur de la sentir se réveiller en lui ; chacun redoutant d'être le réceptacle d'une sorcière trop puissante pour qu'il puisse la contenir ; chacun terrifié à l'idée de disparaître, dévoré de l'intérieur par un être avide de puissance et de pouvoir.

Mais Aloïs Walsh ne s'était pas montrée. Une première hypothèse fut avancée. Peut-être était-elle incapable d'intégrer un corps de sorcier ? Dans ce cas, elle errait encore à la recherche d'un hôte compatible entre les murs qui la tenaient prisonnière. Pour vérifier cette théorie, on avait fait venir des naturels, mais là encore, rien n'avait eu lieu. La seconde hypothèse était qu'elle avait vogué loin pour trouver un hôte à sa mesure. Mais dans ce cas pourquoi n'avait-elle pas repris contact ? Une dernière hypothèse commença alors à circuler : elle était morte, faute d'avoir pu trouver un hôte assez tôt.

Même si elle n'était pas la première sorcière à posséder ce don, la métempsychose était suffisamment rare pour que personne n'en maîtrise les principes et les mécanismes. Aloïs avait dû faire ses propres expériences. Elle n'avait jamais tenté ni celle du suicide, ni celle de ne mourir qu'en présence de sorciers. La situation était donc tout aussi mystérieuse que perturbante pour elle. À la résistance opiniâtre du sujet risquait de s'ajouter celle plus ténue, mais tout aussi puissante, de son pouvoir. Si elle parvenait, à force de ruse, à submerger la première, rien ne lui assurait qu'elle réussirait à s'approprier le second.

C'était en partie pour cette raison qu'Aloïs ne se révélait pas. Elle patientait discrètement. Rassemblant ses forces, préparant le terrain, créant les conditions favorables où ses efforts seraient récompensés par l'engloutissement de celle qui, jusqu'ici, l'avait servie de manière disciplinée. Disciplinée mais pas servile à en juger par les souvenirs qu'Aloïs visitait à l'insu de celle qui l'accueillait.

La découverte de la personnalité profonde de son hôte lui révélait des surprises. Comme quoi, on ne connaissait réellement jamais les personnes qui nous entouraient. En mettant à jour les petites trahisons de celle qui allait disparaître, Aloïs confortait son désir de l'anéantir sans remord.

Dame O'Leary avait organisé une entrevue avec Sir Fergusson. Les deux souverains ne s'étaient jamais rencontrés dans leurs demeures respectives. C'était donc la première fois qu'Isha pénétrait dans celle du souverain d'Écosse. Beaucoup plus modeste que le manoir dans lequel il avait reçu l'assemblée, elle n'en possédait pas moins deux étages. Dame Isha fut introduite dans un petit salon tendu de bleu et d'or, dont le faste d'antan contrastait avec la salle de réception à la décoration résolument moderne, qu'elle avait aperçue en entrant. Elle s'assit sur l'un des fauteuils tendus de velour aux courbes vieillottes, en regrettant qu'il ne soit pas aussi confortable qu'il le paraissait. Elle espérait que l'accueil serait plus agréable.

Sir Fergusson entra à son tour dans la pièce d'un pas raide. Il salua brièvement Dame O'Leary en inclinant la tête et s'installa près d'une fenêtre. Calum n'avait pas apprécié la fuite d'Isha lors de l'assemblée. De son côté Isha n'avait pas goûté les petites manigances entre Fergusson et Batten. Ils étaient donc tout deux également contrariés et conscients d'avoir commis des erreurs. La souveraine connaissait l'orgueil de son interlocuteur. Elle fit donc le premier pas.

— Sir Fergusson, je suis venue vous proposer une alliance.

Une sorte de grognement indéterminé lui répondit. Non seulement, le souverain n'entendait pas lui faciliter les choses, mais en plus, il attendait des excuses, ce que Dame O'Leary n'était pas prête à faire, considérant que chaque parti avait commis une faute.

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