1957, 13 avril
Aloïs avançait prudemment dans la coursive qui longeait les compartiments. Pas qu'elle redoute une attaque surprise, non, son ennemi n'avait pas encore conscience du piège dans lequel il s'était enfermé lui-même, mais son corps aussi fin que fragile ne parvenait pas à s'adapter aux mouvements du train. C'était rageant d'être soumise à la faiblesse de son nouvel hôte, alors qu'elle était si près du but.
Plusieurs fois, durant la longue pérégrination qu'avait été son existence, elle avait souhaité se donner la mort pour tenter de trouver un corps qui aurait mieux correspondu à ses attentes en tant que sorcière. La tentation du suicide était grande, surtout dans des moments comme celui-là. Pourtant, elle avait toujours résisté. Elle ignorait tant de chose concernant son pouvoir. Il lui était impossible de tenter une expérience qui aurait pu la faire disparaître à jamais. Elle ajustait donc son potentiel à celui du corps qui l'accueillait. Encore une fois.
Dans le cas présent, face à ces adversaires-là, la manière frontale avait échoué alors qu'elle se sentait forte. Ne lui restait qu'une solution pour réussir : avoir recours à la ruse. La première partie du plan avait bien fonctionné. La diversion avait provoqué l'urgence de la réaction. Aloïs s'était servi de l'une des caractéristiques de Pàl Skene pour entraîner l'ennemi sur un terrain où il ne pourrait pas vaincre. Cet imbécile fonçait toujours tête baissée sans réfléchir. Tellement sûr de sa force.
Il ne s'agissait pourtant pas d'éliminer les diogonos. Certes, ces créatures n'étaient pas immortelles. Pourtant, elles se révélaient extrêmement difficile à tuer. Pour le moment, Aloïs avait un autre but. Elle sourit à l'idée que Pàl prendrait bientôt conscience qu'il avait lui-même entraîné la mort de celle qu'il pensait protéger. Utiliser la force de l'ennemi contre lui-même avait quelque chose de jouissif qu'Aloïs ne pouvait s'empêcher d'apprécier.
Cette fois, pas de rituel pour briser la lignée de la Letiferus. Plus besoin. La sorcière savait maintenant qu'Adela n'avait pas d'enfant. Pas de frères. Pas de sœurs. Elle était la dernière. Plus aucun Letiferus n'apparaîtrait. Le livre n'aurait bientôt plus de lecteur. Il n'en serait alors que plus facile à voler, car les créatures s'en désintéresseraient forcément. Ils n'avaient pas les moyens de briser les sorts d'Asham, et Aloïs s'assurerait qu'ils n'obtiennent l'aide de personne cette fois.
Une fois le Devolatus en sa possession, elle réussirait là où tous avaient échoué, car elle était convaincue que l'extinction de la lignée des Letiferus entraînerait l'effondrement des ensorcellements d'origine, ou les rendrait moins difficiles à délier. Alors, elle pourrait se débarrasser du Clan McDonald. Elle commencerait par les maillons les plus faibles. Puis les anéantirait un par un. Pàl serait le dernier. Ne gardait-on pas toujours le meilleur pour la fin ? Elle lui devait deux morts. Elle s'assurerait qu'il ait l'impression d'en endurer mille.
Le cri de l'enfant arrêta Aloïs alors qu'elle pénétrait dans le wagon où se trouvaient le compartiment de la Letiferus. Juste derrière elle, Etha frissonna. La jeune sorcière avait reconnu Brune.
— Très bien. Ils savent que nous sommes là. Le point de jonction est-il encore loin ?
— Non, nous ne devrions pas tarder à l'atteindre.
— Tout est en place ?
— Oui. Dame Aloïs. Ils attendent votre signal.
Pàl ouvrit la porte pour inspecter le couloir. Il aperçut le sourire mauvais de cette gamine et sut immédiatement qu'il avait devant lui la même sorcière qu'à Cramond. Il prit alors conscience qu'il la connaissait déjà. Dans l'église, il avait reconnu la saveur de son sang, mais n'était pas parvenu à comprendre comment il était possible que le sang d'une sorcière puisse avoir le goût de celui d'une autre. Une autre qu'il avait tué 5 siècles plus tôt. Une autre qu'il se serait bien passé de revoir : Aloïs Walsh, celle qui avait piégé et enfermé Hendry pendant plus d'un siècle sans le nourrir au point de le rendre quasiment fou.
VOUS LISEZ
DEVOLATUS
Paranormal1957. Adela va mourir. Elle n'a pas 30 ans. Elle va laisser un mari qu'elle aime et une petite-fille qu'elle a promis de protéger. Elle est dévastée, mais n'a pas le temps de se perdre dans sa douleur. Le destin ou le sort en a décidé autrement. Par...