1957, 16 avril
La maison était vide. Les pièces sentaient le renfermé et la poussière dansait dans les raies de lumière traversant les planches disjointes qui condamnaient les fenêtres. Etha ne bougeait pas. Elle se tenait parfaitement immobile sur le drap qui recouvrait le sofa. Son visage était paisible. Son souffle était régulier bien que très lent.
Elle n'avait trouvé que ce moyen pour échapper à la tragédie dont son corps était le théâtre. Aloïs Walsh était en elle, tapie à fouiller les recoins de son âme, en quête de tout ce qui lui permettrait de s'approprier sa chair. Etha ne pouvait le permettre. Elle ne pouvait s'avouer vaincue face à son ennemie.
Jamais elle n'abandonnerait. Mais elle savait aussi qu'elle n'était pas de taille. Aloïs était une sorcière millénaire. Etha connaissait sa puissance. Elle savait de quoi elle était capable, jusqu'où elle serait prête à aller pour la vaincre, pour la submerger. Elle n'avait donc qu'une seule solution pour le moment. Et cette solution était dans les limbes. Son seul atout. Son secret.
Elle avait réussi à basculer malgré la résistance d'Aloïs. Elle l'avait entraînée avec elle et l'y maintenait sans aucun effort. Il y avait bien sûr une contrepartie. Si Aloïs était prisonnière, Etha l'était aussi, car l'une n'allait plus sans l'autre. Alors, elle se sacrifiait. Elle préfèrait ne pas vivre plutôt que de laisser Aloïs s'emparer d'elle.
Son corps allait s'épuiser et abdiquer un jour. D'ici là, son ennemie aurait perdu du temps et surtout elle n'aurait pas pu user de lui et du pouvoir qui s'y accrochait. Avec un peu de chance le jour de sa mort, elle serait seule des kilomètres à la ronde, et l'esprit d'Aloïs n'aurait aucune chance de se trouver un nouvel hôte. Comme elle aimerait que ce fut possible.
Rien ne bouge ou presque ici. Paysage minéral en clair-obscur. Elle se croit seule. Elle ne l'est pas. Des ombres hantent ce paysage froid et triste. Des ombres, et la mort. Des lambeaux de brumes s'accrochent aux branches dépouillées d'arbustes solitaires. Cet endroit nécessite qu'elle le combatte. Sinon, il aura raison d'elle. Elle en a la conviction profonde.
Au loin, un pont. Elle essaye de l'approcher. Que son errance ait un but. Que le désarroi qui s'empare d'elle peu à peu prenne fin. Mais le pont semble s'éloigner à mesure qu'elle s'approche. Elle marche sans fatigue, sans faim, sans soif. Alors, elle comprend. Elle ignore comment c'est possible, mais elle ne s'est pas emparée d'Etha. Etha l'a bannie dans cette prison de l'esprit, dans ces limbes inconnus sans début ni fin où elle est condamnée à faire du sur-place. Elle s'arrête et hurle, mais de sa bouche ne sort qu'un gémissement auxquels répondent d'autres gémissements lugubres. Non, elle n'est pas seule à être condamnée à errer. Elle n'est pas seule. Et une menace l'environne. Une menace sourdre de chaque pierre du chemin, de chaque plante morte, de chaque particule d'air stagnant.
Quelques jours plus tôt, Isha avait suivi le sombre tunnel que de rares torches éclairaient de leurs flammes tremblotantes. Elle avait atteint la grotte aménagée depuis des lustres sur laquelle le temps n'avait pas de prise. Cachée au creux de la terre, dissimulée au cœur d'un labyrinthe de galeries souterraines, le repaire était intact. Rien n'y avait été touché depuis trop longtemps pour penser que la sorcière s'y était rendu. Or, c'était bien ici et nulle part ailleurs qu'Aloïs se serait réfugié en premier. Elle avait su alors qu'Etha ne s'était pas laissée submerger. Si elle avait fui, c'était pour se protéger. Pour les protéger. Alors, Isha avait cherché sa voyageuse. Elle s'était rapidement rendu compte qu'elle ne la connaissait pas aussi bien qu'elle l'aurait cru. Ça avait été comme de chercher une inconnue. Mais elle s'était obstinée, et elle y était parvenue.
Isha se tenait à l'entrée du village désert à cette heure. Quelques maisons, qui auraient pu avoir du charme si quelqu'un les avait entretenues, se massaient autour d'une minuscule place aux arbres faméliques. La rue principale, unique, se poursuivait à travers la campagne, s'échappait de ce bourg fantôme pour rejoindre un autre groupe de petites maisons, en hauteur, au sommet d'une colline. Ici la végétation avait repris le dessus. Les hommes n'y avaient plus leur place.
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DEVOLATUS
Paranormal1957. Adela va mourir. Elle n'a pas 30 ans. Elle va laisser un mari qu'elle aime et une petite-fille qu'elle a promis de protéger. Elle est dévastée, mais n'a pas le temps de se perdre dans sa douleur. Le destin ou le sort en a décidé autrement. Par...