Chapitre 35 Moyens de pression

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1957, 19 avril (matin - après-midi)

L'enfant se réveilla encore en sueur. Paulina la réconforta comme elle le pouvait mais il était difficile de trouver les mots justes alors qu'elle ignorait ce qui la tourmentait. Son esprit lui était fermé. Hermétiquement. À chaque fois, que Paulina tentait une incursion, elle se heurtait à un monde de brume, vide et froid.

La diogonos avait d'abord cru que les multiples traumatismes que la petite avaient subi en très peu de temps, avaient érigé une barrière entre elle et le monde extérieur. Pourtant, quand elle lui parlait, Brune semblait ignorer ce qu'elle évoquait. L'enfant se comportait normalement tout au long du jour et ne paraissait pas se souvenir de ce qui troublait ses nuits et voilait son regard. La diogonos n'avait d'autres solutions que d'apaiser son réveil et lui apporter de la douceur.

Brune se laissa porter jusqu'à la salle de bain où un bain chaud l'attendait. Elle se laissa happer par la chaleur et le bien être qu'elle lui procurait en fermant les yeux. Elle avait encore rêvé d'Etha.

La jeune sorcière qui l'avait protégée à Cramond, errait dans les limbes, sans but, la mine désespérée, ignorant ses propres conseils, se perdant dans les ombres. Elle n'appelait pas au secours, ne cherchait pas d'aide. À chaque fois que Brune lui rendait visite dans cet espace de désolation, elle pleurait en suppliant l'enfant de partir au plus vite.

Elle parlait d'une grande menace. D'une autre sorcière qui s'était emparée de son corps et de son pouvoir. Une âme parasite qui bientôt la submergerait. Etha mettait Brune en garde. Elle était terrorisée à l'idée que l'enfant rencontre l'autre. Elle l'exhortait donc à ne plus jamais revenir. À chaque fois. Et à chaque fois, Brune revenait, car elle ne pouvait se résoudre à l'abandonner à son triste sort.

Brune en avait assez de perdre toutes les personnes qui lui prodiguaient un peu d'affection, un peu d'amour. Elle avait 5 ans, presque 6, et elle était seule au monde. Paulina pourrait être la plus gentille et la plus attentive des nounous, elle ne remplacerait jamais ses parents ou ses grands-parents. Jamais. Elle était différente, Brune en était parfaitement consciente, même si elle n'avait pas une idée claire de ce qu'elle était exactement.

Paulina resterait toujours telle qu'elle la connaissait, tandis qu'elle, Brune, grandirait puis vieillirait, et enfin mourait comme chaque être humain sur cette planète. Cela ne voulait pas dire que l'affection que la diogonos lui témoignait n'avait pas d'importance pour elle. Au contraire, elle lui était reconnaissante de l'attention qu'elle lui portait et de cette chaleur humaine qu'elle parvenait à lui transmettre. Ça lui était essentiel.

Et c'est parce qu'elle ne voulait pas la décevoir et perdre son affection que Brune ne lui parlait pas d'Etha. Comment Paulina aurait-elle pu comprendre ce lien avec une sorcière, une ennemie ? Car la petite fille avait bien compris que diogonos et sorciers étaient adversaires. Elle ne comprenait pas bien pourquoi. Sauf peut-être que la vie et certaines capacités de sa grand-mère étaient liées à cet imbroglio d'adultes.

Quoiqu'il en soit, la volonté de Brune de conserver en vie ceux auxquels elle tenait, justifiait qu'elle tente de sauver la jeune sorcière. La situation était difficile mais pas totalement impossible. Elle trouverait une solution seule pour la jeune fille prisonnière d'elle-même. Toute seule.

– Elle n'a rien dit ?

Varna fumait une cigarette avec élégance sur le bord de la fenêtre de la cuisine.

– Non. Elle garde ses secrets. J'ai beau sonder son esprit, même pendant son sommeil, il m'est fermé.

– Son pouvoir lutte contre le tien. Il se protège. Il la protège.

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