Chapitre 13 Une vie de douleur et de vengeance

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1957, 13 avril

L'obscurité. Le froid. L'humidité. Aloïs ouvrit les yeux et observa le monde qui l'entourait. C'était différent. Tout était différent. Elle se souvenait de la fin de son précédent corps. Des crocs dans sa chair, la dévoration, l'aspiration du fluide vital et d'une partie de sa magie, celle qu'elle avait nouvellement acquise. La perte de conscience. Puis l'absence. Courte mais réelle. Et maintenant l'humidité. Le froid. L'obscurité.

Pàl Skene l'avait de nouveau vaincue. Cet imbécile, cette masse de force brute sans une once de cervelle qui ne savait même pas qu'ils s'étaient déjà battus ensemble. Elle avait pourtant pris plaisir à le torturer. À le maintenir aux portes de la mort. Comment avait-il eu la force de revenir des limbes aussi rapidement ? Comment avait-il pu s'échapper ?

Il n'y avait qu'une réponse à cette question. La créature avait bénéficié de l'aide d'un sorcier. Elle trouverait qui l'avait trahie. Elle le trouverait puis l'éliminerait. Ensuite, elle s'occuperait de Pàl Skene et de ses amis. Elle s'en occuperait personnellement. Une bonne fois pour toutes.

Bien qu'elle ne distinguât ni son corps, ni ce qui l'environnait, elle avait conscience de la fragilité de son hôte. Fragilité mentale d'abord. Elle ne sentait même pas l'étincelle de conscience tapie au fond d'elle. Rien, pas un souffle de l'ancien propriétaire des lieux. C'était comme s'il s'était évaporé, trop content de laisser sa place à quelqu'un d'autre.

Fragilité physique, ensuite. Ses membres étaient fins, à la limite du rachitique. Elle sentait ses côtes sous la fine chemise de nuit qui la couvrait partiellement. Elle ressentait les meurtrissures, la faim, la douleur et la peur instillé dans chaque parcelle de sa chair. Un anneau de fer à sa cheville gauche la reliait au mur par une chaîne. Elle était prisonnière.

Immédiatement son esprit se remémora d'autres chaînes, d'autres prisons. Une colère sourde monta en elle. Où pouvait-elle être pour se retrouver enchaînée ainsi ? Sa conscience n'avait pas pu voguer très loin de l'église. L'ennemi l'avait attaqué par surprise. Elle n'avait pas eu le temps de préparer sa fuite. Or, il n'y avait pas de centre de détention dans les alentours de Cramond. Sans compter qu'aucune prison n'entravait plus ainsi ses prisonniers.

Le cliquetis d'une clé ouvrant une serrure lui fit relever la tête. Un faisceau de lumière vive éclaira l'espace devant elle et lui révéla une cave. Une simple cave, avec son escalier, sa terre battue, ses vestiges de vies passées. Une silhouette replète descendait tranquillement vers elle.

— Et bien, jeune fille ? La leçon a-t-elle été comprise ?

Le ton avait la bienveillance des tortionnaires. Aloïs sentit une appréhension qui ne lui appartenait pas se répandre en elle. Ainsi l'ancien locataire pouvait encore se manifester. Elle fit taire cette peur irrationnelle et se concentra sur l'homme qui se tenait maintenant accroupi devant elle, un sourire satisfait sur le visage.

La quarantaine. Des vêtements bon marché et mal assortis. Le visage rond comme tout son corps. Des mains comme des battoirs. Une odeur de sueur et de produits désinfectant émanait de lui à chacun de ses mouvements. Un salopard à la mine banale. Un sale type que personne ne voyait. Aloïs rassembla ses forces et concentra son énergie sur son geôlier.

Comme piqué par un insecte, l'homme se redressa d'un bond. Mais l'endroit n'était pas assez vaste pour qu'il puisse échapper aux assauts de la sorcière. Elle tendit alors les deux bras vers lui en murmurant des mots étranges et envoûtants. Ses mains serraient une gorge imaginaire, tandis que l'homme qui était tombé sur le dos suffoquait cherchant à se libérer d'entraves qui n'existaient pas. Son corps fut bientôt pris de convulsions, du sang se mit à s'échapper par tous les pores de sa peau, perlant, puis glissant vers le sol qui semblait s'en abreuver. Il ne criait ni ne hurlait. La sorcière lui imposait de souffrir en silence. Au cas où il n'aurait pas été seul.

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