1957, 13 avril
Adela reposa lentement le combiné du téléphone sur sa fourche métallique. Le silence était retombé dans le petit bureau dont les murs tendus de velours vert parsemé d'or témoignaient de l'opulence d'une autre époque. Les lambris de bois sombre s'accordaient au plancher recouvert çà et là de tapis hors d'âge, mais encore emprunts de leur ancienne majesté.
Le téléphone lui parut soudain un élément incongru, posé sur une desserte, solitaire représentation de la modernité dans cette ode aux siècles passés. Tout dans le manoir reflétait une aisance matérielle qui ne datait pas d'hier. La bâtisse semblait avoir traversé les âges sans perdre son faste et sa beauté. C'était intrigant, et surtout, assez perturbant pour elle qui avait grandi dans un environnement modeste. Elle savait, bien sûr, que de tels endroits existaient, mais entre savoir et s'y promener, il y avait une différence notable. Pour le moment, elle n'était même pas sûr d'apprécier.
Adela venait de raconter un énorme mensonge à Max pour le rassurer. Qu'aurait-elle pu faire d'autre ? La vérité était bien trop étrange et dérangeante. Dangereuse aussi, elle le pressentait. Il n'avait rien objecté, ne s'était pas plaint du retard. Il avait réceptionné les cercueils la veille, et son chagrin s'était ravivé. Les formalités l'avait contraint à tenir bon, ce qu'il faisait. Maintenant, il attendait sa femme et sa petite fille.
Car Brune retournait auprès de son grand-père. Sachant maintenant à qui elle avait à faire, Adela avait dû faire preuve d'un courage dont elle ne se serait pas crue capable, pour imposer de nouveau sa volonté aux membres du Clan. En contrepartie, elle avait fait la promesse, qu'ensuite elle se soumettrait à leurs exigences. Quelles qu'elles soient.
Elle avait obtenu le soutien inattendu de Paulina qui s'était portée volontaire pour devenir le gardien de l'enfant, car rien ne pouvait leur assurer que Brune ne courait plus aucun danger. L'idée même qu'elle soit encore la proie de ces malades de sorciers, faisait frémir Adela. Laisser Paulina à ses côtés la rassurait, même si elle ignorait ce qui poussait la jeune femme à accepter une telle mission. Même si elle savait ce qu'elle était en réalité.
De toute façon, il était trop tard pour reculer. Leur départ était prévu pour cet après-midi. Adela se leva en grimaçant. Les douleurs causées par sa maladie se mêlaient à celles dues au combat de la veille. Les médicaments les atténuaient sensiblement, mais ce qui agissait mieux encore, c'était les dons de Gita. Adela redoutait le départ aussi pour ça. Si Paulina venait, Gita, elle, resterait au manoir. Ils n'avaient pas le choix. Il fallait que certains d'entre eux veillent sur le livre, car il ne faisait aucun doute qu'il serait la nouvelle cible des sorciers.
Adela franchit le seuil de la bibliothèque, voisine du bureau, et s'approcha du coffret posé sur une petite table. Elle en effleura le couvercle. Comment un simple objet pouvait-il provoquer autant de souffrance ? Pourquoi vouloir tuer pour lui ?
— Gita est avec vous ? Demanda une voix en provenance d'un fauteuil dont elle ne voyait que le dossier.
Hendry avait senti la présence d'Adela bien avant qu'elle n'entre dans la pièce. Il émanait d'elle une sorte d'aura impossible à ignorer ou à identifier clairement. Devant le silence de la Letiferus, il se leva pour s'assurer qu'elle n'ouvrait pas le coffret. Malgré son désir de connaître les secrets du livre, il ne comptait pas du tout souffrir pour cela. Il n'était donc pas question qu'Adela tente quoique ce soit sans Gita à ses côtés, surtout s'il était dans la même pièce.
La Letiferus, la main posée sur le bois finement rainuré, observait avec intérêt le seul tableau accroché dans la bibliothèque. Juste au-dessus de la cheminée, un homme en pied fixait d'un air rêveur une cité lointaine. Dans sa main, il tenait un rouleau de parchemin enrubanné de rouge.
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DEVOLATUS
Paranormal1957. Adela va mourir. Elle n'a pas 30 ans. Elle va laisser un mari qu'elle aime et une petite-fille qu'elle a promis de protéger. Elle est dévastée, mais n'a pas le temps de se perdre dans sa douleur. Le destin ou le sort en a décidé autrement. Par...