Entre nous

Chapitre XXXIII.

Freddy écrasa la pédale d'accélérateur de sa Mercedes, propulsant le bolide sur l'étroite route mouillée par la pluie qui s'abattait sur la ville. C'était de la folie de rouler à cette allure, à la tombée de la nuit. Elle le savait. À tout moment, elle risquait de rater un virage. Si elle fonçait dans le talus à sa gauche, elle s'en sortirait en un seul morceau, mais si elle percutait la paroi rocheuse qui se dressait de l'autre côté...

Pourtant, quand bien même le danger, elle ne pouvait pas se résoudre à freiner. C'était plus fort qu'elle, il fallait qu'elle évacue la souffrance qui la rongeait depuis des mois.  Existait-il un meilleur exutoire que la vitesse ?  Il y avait quelque chose d'enivrant à défier la mort, loin de la perfection étouffante de sa maison.

Cela faisait bientôt un an que son père avait cassé la pipe. Toujours avec cette haine envers elle, dans le cœur. Et cela faisait près d'un mois qu'elle avait découvert la trahison de celle qui lui faisait perdre la tête. Les dents serrées, Freddy augmenta encore sa vitesse afin de chasser cette affreuse idée de son esprit. C'était sa mère qui lui avait appris la terrible nouvelle qu'était la maladie de son père.  Ni une ni deux, Freddy était partie en Angleterre, où elle avait essayé de se montrer à la hauteur de la situation.

Elle avait su être le roc sur lequel s'étaient reposés sa mère, ses frères et le reste de leur famille, ainsi que tous ses associés. Au lieu de se laisser aller au désespoir, elle s'était focalisée sur ses responsabilités. Freddy avait fait les choses correctement, sans verser une seule larme.

Pour la première fois depuis des mois, elle s'était autorisée à relâcher la pression. Si elle avait initialement prévu de rester travailler dans sa chambre, elle n'avait pas tardé à dévier son programme pour aller faire un tour dans sa Mercedes en cette nuit pluvieuse allant même jusqu'à éteindre son téléphone.

Comment résister au défi de ces routes désertes mouillées par la pluie ? Elle négociait chaque virage à une vitesse supersonique, sous la pluie qui continuait à tomber, comme si la nature s'amusait à tester ses limites.

Rien ne troublait le silence sépulcral de la nuit, hormis le vrombissement puissant du moteur, ainsi que le son de la pluie. Et la tempête de questions qui tourbillonnait dans son esprit. Tant de questions et si peu de réponses.

Freddy crispa les mains sur le volant. Imaginer Mylène nue dans les bras de Jessica, lui était insupportable. A cette pensée, une souffrance intolérable lui lacéra le cœur.  Enfonçant une nouvelle fois la pédale d'accélérateur, elle avala la route à une vitesse toujours plus folle. Soudain, l'impitoyable paroi rocheuse surgit devant ses phares. D'un brusque coup de volant, Freddy braqua à droite.

Elle réussit à éviter l'impact de justesse, mais la roche racla la carrosserie sur toute sa longueur dans un hurlement déchirant. Prise dans un dérapage incontrôlé, la voiture partit en toupie sur la chaussée glissante avant de heurter le talus de plein fouet.
Etourdie quelques instants par le choc, Freddy reprit ses esprits, la tête dans l'airbag. Elle l'avait échappé belle.

Alors qu'elle s'extirpait péniblement de son véhicule, un gros éclair de douleur lui traversa la jambe. Se sentant vaciller, elle se retint à la portière et inspecta la blessure avec précaution.  Une vilaine et large estafilade lui barrait la cuisse. 

Elle avait eu de la chance, ça aurait pu être bien pire. Sa Mercedes, en revanche, n'était plus qu'un amas de tôles froissées. Elle sortit son téléphone portable de sa poche et tenta de le mettre en marche. Elle poussa un juron, celui-ci refusait de s'allumer. 

Evidemment, sur une route déserte comme celle-ci à cette heure de la nuit !  Pas le choix, il fallait qu'elle avance jusqu'à ce qu'elle croise quelqu'un.  Avec sa jambe blessée et cette pluie, ça n'allait pas être une partie de plaisir, mais que pouvait-elle faire d'autre ?  Pour ne rien arranger, l'averse redoublait d'intensité et de grosses gouttes lui fouettaient le visage.