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La soirée était déjà entamée et les dernières lueurs du jour s'attardaient, amoureusement couchées à la surface de l'horizon.

Harry Potter observait ce spectacle avec une attention particulière. Ses traits ne trahissaient aucune émotion, aucune sensiblerie qui aurait pu faire l'objet de railleries. Il y avait même une dureté inhabituelle inscrite sur son visage. À l'abris des regards, il semblait s'octroyer le luxe d'une honnêteté inacceptable. Il y songeait d'ailleurs, un peu rêveusement, surpris de constater à quel point il se fondait dans ce décor sans y appartenir, surpris que ses pensées s'évadent si aisément. Le sauveur du monde sorcier voyait peser sur ses épaules des obligations. Il n'était pas question qu'il se montre trop colérique, trop instable.

Quel Harry Potter avait survécu à la bataille de Poudlard et à Voldemort lui-même ?

L'homme se leva et quitta la terrasse ainsi que la vue extraordinaire qu'elle offrait. La nuit ne tarderait plus à tomber et les couleurs vespérales s'étiolaient déjà. Harry s'était installé dans des rues calmes de la capitale britannique. Un petit jardin, une maison confortable, une vie agréable. Tout déclamait sa réussite, autant sociale qu'amoureuse, autant professionnelle qu'humaine. Harry Potter avait réussi sa vie, il avait tout pour être heureux.

Il entra dans la maison et y porta un regard d'étranger. Il ne reconnaissait pas l'ameublement, la petite coquetterie et le goût indéniable de l'organisation que transpirait les lieux. L'ensemble était moderne, relativement sobre et sans grand extravagance. Quelques affaires traînaient dans l'évier, le tapis à l'entrée n'était plus de la plus grande fraîcheur, de la paperasse traînaient çà et là, mais l'ordre régnait. Ginny en était sans doute la cause, à en juger l'état pitoyable du bureau de son époux. Car Harry avait épousé celle que tous lui destinaient, Ginny Weasley. La tempétueuse, sublime, indomptable et désirable Ginny Weasley. Parfait en tout point, femme moderne qui ne manquait ni de répondant ni de panache, amoureuse du Survivant depuis le jour où elle avait croisé son regard, à l'âge de dix ans, leur mariage n'avait été qu'une formalité. Il n'y avait rien d'étonnant à constater le parfait bonheur qu'ils filaient ensemble.

Les doigts d'Harry s'égarèrent sur la surface des meubles, contre les murs. Ce confort était presque indécent et s'il avait poussé la réflexion plus loin, sans doute aurait-il ajouté à son jugement le terme hypocrisie. Ce bonheur était trop beau, trop complet, pour être réel. Il était forcément fabriqué de toute pièce, démultiplié au point de ne plus en reconnaître la marque originelle.

Il avisa ce lieu avant de rencontrer, par mégarde, la surface lisse, tranchante, d'un miroir situé dans l'entrée. Il eut comme un mouvement de recul en croisant son reflet et n'y reconnut pas ce qu'il était. Des traits ciselés, bien loin des rondeurs de l'enfance. Un visage d'homme, mais pas un visage de héros. Un visage ordinaire, plutôt séduisant malgré de légères imperfections. Des lèvres pleines, un nez un peu fort, des cheveux sombres et indomptables, et des yeux d'un vert perçant, inoubliable. De cela, l'homme se souvenait. Il porta une main à ses traits et les retraça. Devait-il les haïr de les porter, dénoncer chaque asymétrie, chaque élément jugé détestable ? La sensation était étrange et la peau fine dégageait une tiédeur agréable qu'il ne parvenait pas à considérer comme sienne.

Brusquement, la porte s'ouvrit et tira Harry de ses pensées. Ginny se tenait sur la porte, les joues rougies et les yeux brillants. Elle s'immobilisa sur le seuil, décontenancée, surpris de découvrir son mari posté devant la porte. Pour peu, elle l'aurait surpris en pleine contemplation et l'altercation n'aurait été que plus improbable :

— Harry ! Qu'est-ce que tu fais ici ? Il y a un problème ?

L'interpellé ouvrit la bouche, mais aucun mot ne se planta sous sa langue. Sans perdre nettement son sang froid comme cela avait été le cas quelques heures plus tôt, il masqua habilement sa confusion et finit par répondre, à peine une poignée de secondes trop tard :

Alta nocteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant