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Il avait fallu de longues heures à Draco Malfoy pour s'abandonner aux bras de Morphée.

L'homme avait lutté, lutté pour trouver le sommeil, lutté pour le fuir, pour ne pas libérer les tumultes de ses songes.

D'abord, il y avait eu cette présence féminine à ses côtés, cette chaleur à laquelle il n'était plus habitué et qui lui glaçait le sang. Des mains tendres, insistantes, qui remarquaient à peine que le corps qu'elles parcouraient n'appartenait plus à Harry. Les effets du Polynectar s'étaient dissipés et la nuit, le noir, avait effacé les traits vierges de Draco. Il ne possédait plus le visage de l'imposteur, mais dormait en compagnie de son épouse, au creux de son lit, au sein même du mensonge. Ce sentiment avait pesé lourd dans le ventre du fugitif.

Il avait été Harry.

Il l'avait été plusieurs heures durant. Plusieurs jours, peut-être. Il aurait pu se plier au jeu et finir par ne plus se reconnaître. S'il n'y avait pas eu la contrainte de la potion, sans doute aurait-il fini par oublier. Par s'oublier lui-même.

Une part de lui haïssait cette maison, haïssait Ginny et surtout Harry, pour tout ce qu'il possédait, pour tout ce qu'il représentait et pour le fait que Draco ne s'en approcherait jamais. L'émotion était si ample, si dense, si épineuse, que l'homme se trouvait incapable d'en saisir le sens. Il détestait Harry pour Poudlard, pour le procès qui l'avait condamné à un sort plus tragique encore que la mort, pour cette vie aussi, pour ce bonheur.

Draco avait toujours eu conscience de la manière dont Harry et lui se complétait. Dans leurs joies comme dans leurs malheurs. Il y avait un parallèle à établir et Draco l'avait fait, très tôt, très jeune. Il n'en avait haï Harry que davantage. Lui qui avait reçu le bon rôle et qui n'avait qu'à s'en accommoder. Bien sûr, il n'avait pas eu le choix, il lui avait fallu affronter les méandres de responsabilités trop vastes à un âge trop précoce. Harry, au moins, était né du bon côté, on lui avait attribué un rôle à son image, d'une écœurante perfection, tandis que son reflet, son autre, avait dû incarner celui de l'antagoniste. Il semblait d'ailleurs à Draco que sa vie entière pouvait se résumer à cette contradiction, à cette manière dont leurs deux existences se répondaient tout en ne pouvant pas se révéler plus opposées.

Un paradoxe de haine.

Un engrenage.

La seconde raison qui justifiait les difficultés de Draco à trouver le sommeil, c'était le lit. Un lit moelleux, aux couvertures épaisses qui paraissaient l'étouffer, un confort qui lui paraissait désuet. Ce n'était pas juste désagréable après des années à somnoler, car le repos était une denrée rare à Azkaban, c'était physiquement douloureux. Son esprit rugissait face à ce traitement, semblait se dérégler pour lutter, pour retrouver une surface plus dure, moins douce. Si le moindre mouvement n'avait pas risqué de réveiller Ginny et de trahir son imposture, le noir nocturne n'était pas sans limite, il aurait volontiers abandonné cette couche pour une autre, bien plus sommaire. Il lui aurait suffi de quitter les draps et rejoindre le sol. Il y aurait arrangé un refuge plus sûr, moins terrifiant, et aurait trouvé un sommeil réparateur.

Draco tentait de ne pas se pencher sur l'avenir. Sa seule ligne d'horizon jusqu'alors s'était résumée aux murs de sa cellule. Parfois, cette perspective s'étendait jusqu'à atteindre les limites d'une ambition dévorante, celle de l'évasion, et désormais que Draco l'avait atteint, presque trop aisément, il se trouvait comme démuni. Stoppé dan son élan et incapable d'une pensée cohérente. Il avait fomenté un plan ingénieux, finement établi, et plutôt que de fuir aussi loin que possible, il se terrait chez son ennemi juré en empruntant ses traits.

Alta nocteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant