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Harry releva le col de sa veste.

Un vent frais balayait les rues de Londres et Ginny, sans un mot, sans une réprimande, lui avait simplement tendu le long manteau. Un cadeau qu'elle lui avait offert quelques mois plus tôt et qu'Harry avait accepté ce matin de bonne grâce. Il n'était pas d'humeur à converser, encore moins à se disputer. Ginny l'avait sans doute compris, puisqu'elle n'avait rien ajouté de plus, si ce n'est un baiser soufflé sur le front de son mari.

Harry s'était glissé à l'extérieur du domicile pour affronter la brume londonienne. Elle laissait sur sa peau un résidu humide et désagréable. Elle ternissait ses pensées, les colorait de ce gris maussade qui enveloppait les hommes comme l'immensité urbaine de la capitale. Harry ressentait la trace de la brûlure laissée par le baiser de Ginny sur sa peau et son estomac vide se tordit. Il commanda un café noir, sans sucre, parce qu'il lui fallait au moins cela pour affronter la grisaille du quotidien.

Pour une fois que l'extérieur s'accordait avec l'intérieur, il n'aurait pas à feindre l'enjouement ou à chercher des excuses à son abattement. Cela ressemblait presque à une raison de s'enthousiasmer.

Depuis combien de temps exactement les baisers de Ginny, ses caresses, ne l'avait-il pas brûlé, justement ? Il ne se rappelait plus. Cela faisait des années que son entourage s'inquiétait de ne pas voir le ventre de la rouquine s'arrondir. Cela avait d'abord amusé Harry, qui prenait ces interrogations parfois déplacées sur le ton de l'humour. Il accompagnait ses paroles d'une touche de second degré. Depuis quelques temps, il considérait cette curiosité mal placée avec moins de recul. Lui comme Ginny, bien qu'ils évitaient bien trop souvent d'évoquer le sujet, voyaient d'un plus mauvais œil cette sorte d'horloge biologique qui les poussait à concevoir, à procréer.

Comme si l'acte amoureux était encore réduit au devoir conjugal et que la nécessité de présenter un héritier les forçait à partager de froides étreintes.

L'Angleterre des siècles derniers refaisait surface, à coup sûr.

Harry consulta sa montre avant d'avaler une gorgée de café brûlant. Il grimaça. Rien n'y faisait, c'était infect. Le liquide eut au moins le mérite de lui brûler l'œsophage, à défaut de donner un sens à ses mornes réflexions.

Il pensait à Ginny avec le sentiment que ce n'était pas arrivé depuis de longues années. Le quotidien rythmé par leurs impératifs respectifs, ils avaient cessé de se voir. Ils se croisaient, échangeaient quelques banalités, s'évitaient à l'occasion, mais ne se regardaient plus. Ils ne prenaient plus le temps de le faire. Aussi fautif l'un que l'autre.

Les dents d'Harry grincèrent.

Non. Quelle fâcheuse manie de partager la culpabilité ! Il l'avait héritée de Poudlard et elle ne l'avait pas quittée. Draco aurait eu matière à redire à ce sujet, matière à railler, surtout. Le fautif, c'était lui, et lui seul. Ginny avait sans doute essayé de sauver leur couple, mais lorsque le navire prend l'eau, il faut plus qu'un homme pour l'empêcher de sombrer.

L'autre matelot avait depuis longtemps foutu le camp, sauté par-dessus bord.

Harry se renversa quelques gouttes brûlantes de café sur la main. L'homme qui venait de le bousculer, trop pressé pour daigner ralentir le pas, disparaissait déjà à l'angle du boulevard. Harry jura et épongea maladroitement le liquide qui tâchait la manche de son manteau.

Il réalisa qu'il avait intégré Draco à sa réflexion.

Double peine.

Parfois, les cheminements inconscients de l'esprit en dévoilaient plus qu'ils ne le devraient. Une bouffée de colère brute inonda le corps d'Harry. Une bouffée de regrets aussi, mais de rancœur surtout. Si l'homme avait eu le mauvais goût de le bousculer maintenant, il n'aurait pas hésité à lui faire regretter son impolitesse.

Alta nocteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant