Premier Date

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Keigo, depuis un petit bar, observait l'écran, les yeux gros, les membres crispés. Sa serviette en main encore posée sur le comptoir de chêne vernis qu'il astiquait avec minutie, il se demandait comment ils en étaient tous arrivés là. Comment Dabi en était arrivé là. Depuis le petit bar, les yeux rivés sur l'écran, il contemplait la folie de Dabi, sentait sa haine, son rejet des héros et l'observait descendre publiquement le numéro un de son pied d'estale. Sans un remord, il jouait au revenant venu foutre la merde dans le monde entier par simple vengeance, par envie d'enfin voir le monde trembler à la simple évocation de son unique nom.

Les ailes rouges frémirent au sourire fou et à l'annonce que Mirko, grande héroïne infiltrée au sein du Front du Paranormal, venait elle aussi de tomber à coup de puissants dossiers secrets mis en avant par Dabi lui-même. Par l'informateur tout sauf manipulé et manipulable.

Le patron vint tapoter son épaule et le blond eut un mouvement de recul, encore dans le vague. L'autre lui fit un hochement de tête encourageant et lui promis des vacances anticipées dû au bordel qui arriverait prochainement. Un bordel inévitable selon lui. Un bordel engendré par les héros selon Keigo. Le blond acquiesça et éteignit avec beaucoup de mal la petite télé devant laquelle se regroupaient habituellement les habitués pour regarder un match important. Une boule se forma dans sa gorge alors qu'il enfilait sa veste et que ses plumes venaient se replacer avec souplesse.

Il n'avait jamais été bien proche du monde héroïque. Pour lui, tout s'était arrêté dès le moment où Endeavor était venu arrêter son père. Il avait cru ce jour là en une libération. Mais les jours sans rien qui avaient suivis son expulsion et celle de sa mère de son maigre foyer avaient terminé de mettre à sac son enfance et ses rêves. Un héros l'avait sauvé d'une peine pour peut-être en mettre une plus grosse encore sur ses épaules. Difficile de dire quelle vie l'on aurait préféré entre un père violent et des foyers changeant à répétition.

Il ferma le bar, rendit les clefs et partit le pas traînant jusque son domicile, chemin habituel qu'il faisait déjà depuis l'enfance quand il allait à l'école. Il n'avait jamais bougé de Musutafu, jamais vu les alentours et ses ailes, plaquées secrètement dans son dos, étaient bien trop timide pour braver l'interdit de la société d'user de son alter rouge. Il s'arrêta quelques instants devant une vitrine où les images d'un Dabi hurlant, le sourire fou, tournaient en boucle, faisant écho à sa propre colère. Comme ignorant son propre fils, Enji Todoroki ne s'était pas préoccupé de l'avenir de l'enfant sans père et sans mère active, ni même de la perte d'une maison. Un enfant dans la rue, un enfant récupéré par les service sociaux. Un enfant balloté à droite, à gauche et qui n'avait connu du bien que dans la collectivité de l'orphelinat. On disait à cette époque, à ses douze ans, que s'il en sortait, ce n'était que pour son bien, que pour trouver un foyer, une famille aimante où il pourrait faire son nid. Mais quatre échecs, quatre familles différentes jusqu'à ses seize ans ne montraient qu'un manquement dans la compréhension de l'équilibre d'un enfant. En ouvrant sa porte, il se dit qu'il s'en était tout de même plutôt bien sortit. Fuyant la nature criminelle de son père, il avait choisit le droit chemin, mais méfiant et déçu des héros, il avait refusé la demande tardive de la Commission héroïque lorsqu'elle s'était intéressée à lui à ses seize ans. C'était déjà trop tard et la vie lui avait trop de fois prouvé ce qu'il connaissait déjà enfant... Les héros n'existaient pas.

Il monta les marches, le pas lourd. Ses ailes lui faisaient mal et il n'y avait toujours trouvé aucune utilité mis à part celle de draguer du mâle ou de faire le malin en cours... Ou bien alors de se préparer à vitesse grand V le matin lorsqu'il était encore dans le pâté, la tête farineuse et embrouillée de rêves noirs. Parfois il se demandait s'il ne valait pas mieux vivre sans alter, sans ce fardeaux qui avait rendu quelqu'un complètement fou, mais parfois aussi, leur chaleur enveloppante lui faisaient miroiter un futur qu'il n'avait pas voulu. Qui sait, peut-être que s'ils étaient venus quand il était encore jeune et en pleine rue, il aurait accepté. Peut-être serait-il même un membre du top dix, le numéro deux qui sait ! Il eut un rire triste à cette pensée et secoua la tête. Cette idée même, sauf pour l'argent quelle pourrait lui apporter, ne lui faisait même pas envie. Son optimisme, son amour des autres, il l'avait perdu en même temps que son innocence lorsqu'il avait compris que les familles d'acceuil gagnaient bonbon pour sa présence malvenue. Pourtant, il n'avait jamais été un sale gosse. Pas comme un certain brun.

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