Papillon

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Le Papillon était un lieu spécial. Un lieu où se croisaient les artistes dans ce qui devait être une ancienne réserve de vin aux murs épais qui étouffaient les bruits extérieurs de leurs grosses pierres. On y venait retrouver la musique, du jazz la plupart du temps, qui calmait les méninges de chacun autour d'une table ronde pour deux où se pelotonnaient à quatre ou cinq sous la lumière tamisée des becs de gaz accrochés aux murs et des lampions à pétrole soigneusement posés sur le bois brut des tables rendues humides par la moiteur des lieux et vernies par les résidus d'alcool qui en coulaient pour user le sol. Un sol aux grosses lattes de chêne, un bois fort, caractériel qui subsistait depuis des dizaines d'années et qui semblait bien partit pour soutenir les clients pendant encore quelques décennies.

Généralement, on se concentrait sous les voutes des caves du Papillon pour parler affaire, chanter, dessiner la mouvance des danseurs et des musiciens, chapeau sur le front et clope au bec. On y venait pour retrouver les siens dans une ambiance chaude et noyée de têtes plus différentes les unes des autres, qui détenaient le savoir. Les porteurs de culture, les philosophes, les petits artistes qui venaient se réchauffer dans les sous-sols de Paris pour fuir la misère de leur petite chambre de bonne sans chauffage. Un brassage des populations où le jugement était interdit et où seul l'échange, qu'il soit conventionnel ou bien illégale, était autorisé. Une règle, ne pas se mêler des affaires qui ne nous regardait pas et accepter le nouvel entrant tant qu'il ne foutait pas le bordel, sous peine d'être jeté aux chiens qui parcouraient les rues en recherche de quelques pauvres âmes à enfermer.

Un lieu où le fait même de penser était une norme, hors du temps présent, comme préservé à une époque, aujourd'hui révolue, qui sentait bon le whisky sec, le brandy et les cigares cubain que l'on faisait encore venir en caisses entières pour ceux qui ne pouvaient habituellement que se contenter de pauvres gitanes de maïs.

Le Papillon offrait la liberté de parole et des corps. Pas de jugement, on ne pouvait se faire dénoncer ici, car ce qui arrivait entre les ailes de l'être éphémère, restait en son sein, et ce qui se passait dehors ne pouvait atteindre les bas fonds. Un culte de beau, peu importe l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, un lieu où enfin, on pouvait aimer sans rien risquer et où les gens vous écoutaient simplement en hochant la tête avec un sourire pour vous dire de profiter et de ne pas laisser un quelconque mariage imprévu ou pression sociale, vous empêcher de vivre la vie d'on vous aviez rêvé. Un lieu, donc, emplis d'artistes et de mafieux, où il faisait chaud et bon d'aimer qui l'on voulait, sous les teintes sépia apportée par les flammes faibles.

C'est là où venait généralement se planquer Dabi en compagnie de quelques autres de ses camarades. Il s'installait généralement dans une table un peu en hauteur par rapport aux autres dû à une déformation du plancher. Cette table leur était comme réservée, au bout d'un moment, son petit groupe d'ami s'était imposé dans le rang des habitués. Assis face à la petite scène, il sortait généralement une fine cigarette, roulée du matin, pour la mettre en bouche et l'allumer distraitement, laissant la fumer partir en volute pour s'écraser contre les arches de pierre. Ses yeux azurs observaient le décor et ensuite, il soupirait et se détendait sous l'effet de la nicotine, pour adopter une position féline qui gagnait son regard porté sur les artistes qui se produisaient. Avec un demi sourire, il échangeait généralement avec son ami qui gardait les mains dans les poches et la capuche sur la tête, chassant de la main la fumée que lui crachait le brun au visage. Chaque soir, il râlait, mais il gardait toujours la même place, voulant, lui, garder un œil attentif sur le barman à la crinière blanche, aussi frère de Dabi. C'était grâce à Natsuo s'il avait atterrit au Papillon. Le neige avait obtenu ce poste et l'avait invité à le rejoindre, lui promettant liberté pour au moins quelques heures. Le brun avait emmené Tenko, et même s'il avait grogné tout du long, il n'était jamais reparti, à tel point qu'il venait chaque fois sans manquer un rendez-vous, sauf en cas de crise de ventre majeur.

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