La piaule

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« Elle se réveille... chuchota une voix.

— Laisse-la respirer ! »

Naola ouvrit les yeux sur une pièce sombre et chargée de l'odeur âcre de l'huile d'éclairage. Un parfum qu'elle apprenait à aimer, car elle l'associait à la chambre de Maden.

« Là, elle a bougé !

— Écarte-toi, Louve ! », gronda Kayané.

La mécamage entra dans le champ de vision de Naola, mais elle eut du mal à distinguer ses contours noirs dans la pénombre. La sorcière tenta de se lever, mais la jeune femme posa sa main sur son épaule, avec précaution.

« Doucement, tu te sentiras pas mieux assise, dit-elle à voix basse.

— Faut... je mange... » articula l'adolescente en refermant les yeux.

La tête lui tournait. Kayané la redressa avec beaucoup de soin et lui présenta une cuillère pleine d'un liquide fumant. Elle descendit le bol à petites gorgées. Jamais une soupe ne lui avait parue si bonne. Louve lui glissa un morceau de viande séchée entre les mains. Elle le dévora et poussa un soupir rassasié.

« Maden ? interrogea-t-elle en s'allongeant.

— Parti bosser, mais il est resté à te veiller tout le temps... »

Elle reposait au beau milieu de la piaule du couple, sous un véritable nid de couvertures dans lequel elle se lova. Elle entendit à peine Louve lui répondre, avant de se rendormir.

*

Maden était là, lorsqu'elle se réveilla la seconde fois. Allongé à ses côtés, il la tenait contre lui, délicatement. Elle s'était blottie contre son torse pendant son sommeil, recroquevillée, le front au creux de son épaule.

« Comment tu te sens ? » demanda-t-il à voix basse, anxieux.

Elle répondit en se hissant jusqu'à sa bouche et en l'embrassant. Puis, elle grogna de douleur, s'écarta, repoussa les draps et remonta son t-shirt pour découvrir son ventre. Indemne et sans aucune trace physique. Pourtant, à l'endroit où les mécas l'avaient drainée, sa peau restait sensible. Le moindre frottement lançait des signaux d'alarme dans tout son corps.

Naola se laissa retomber sur le dos avec un faible gémissement. Maden, penché au-dessus d'elle, fit passer un bol de soupe dans son champ de vision.

« T'as faim ? »

Elle hocha la tête, se redressa, vida la ration et soupira d'aise.

« J'avais pas mangé depuis des jours », expliqua-t-elle, comme pour justifier sa goinfrerie.

Elle relata, à mots décousus, sa grève de la faim, puis la façon dont Mordret l'avait mise à la porte, et, enfin, son arrivée dans l'immeuble. Sa gorge se bloqua et elle ne sut poursuivre son récit.

« Ils étaient en train de piller ta caisse à outils quand Louve les a surpris. Les filles t'ont monté chez elles puis sont venues me chercher, précisa Maden. Elles ont réquisitionné ma piaule, le temps que tu te réveilles... »

L'adolescente hocha la tête, mais garda le silence.

« Le sac porte ta signature magique, donc ils l'ont trouvé vide... mais je suppose que toutes tes affaires sont encore dedans... »

Naola ne répondit pas non plus, trop occupée à chasser de sa mémoire les images irréelles de l'agression. Elle déglutit avec difficulté, puis se passa les mains sur le visage. Le mécamage l'attira doucement contre lui. Elle frissonna, tressaillit et s'écarta. Il la laissa faire sans s'offusquer.

La jeune fille remonta les jambes contre son torse, posa son front contre ses genoux. Elle resta ainsi de creuses minutes, puis elle se leva brusquement. Elle manqua de tomber, Maden la rattrapa et la soutint.

« Je veux me doucher.

— Je t'aide à y aller. »

*

Naola séjourna trois jours avec les mécamages du sixième étage. Elle se ménageait du temps pour se remettre, avant de trouver un autre plan d'hébergement. L'idée de rentrer chez elle revenait de façon cyclique et lui apparaissait parfois comme la meilleure option, parfois comme la plus intolérable. Maden et elle, cependant, étaient arrivés à la même conclusion : Naola ne pouvait rester auprès de lui très longtemps. Le risque que l'Ordre ait vent de leur liaison était trop grand.

La jeune fille passait la moitié du temps avec le mécamage et l'autre moitié, durant laquelle il disparaissait pour travailler, auprès de Louve et Kayané. La petite blonde nerveuse parlait franchement et se montrait souvent agressive. Sa compagne ne parvenait pas toujours à la tempérer et, avec Naola, le ton montait vite.

Un soir, elle regagna la piaule en claquant la porte. Maden, penché sur son carnet de notes, releva la tête vers elle, avec un sourire au coin des lèvres. Il la trouvait jolie lorsqu'elle s'emportait.

« Elle me soutient que tout mécamage devrait voler la magie des sorciers dès qu'il en a l'occasion ! explosa la jeune fille, à peine la chambre close. À moi ! Elle ose me dire ça en face après que vos potes du rez-de-chaussée m'aient laissée à moitié morte !

— Louve est toujours extrême dans ses propos, mais je ne crois pas qu'elle ne soit jamais passée à ce genre d'acte, tempéra Maden en se redressant.

— D'accord, les sorciers produisent de la magie et vous en avez besoin, poursuivit Naola sans écouter. D'accord, le système de ticket de rationnement de la Raffinerie est débile. D'accord, ce système est là juste pour vous asservir. D'accord ! D'accord ! D'accord ! Mais on n'agresse pas les gens comme ça ! »

Naola n'en avait visiblement pas terminé avec l'altercation, quand bien même il n'y avait plus personne en face d'elle pour soutenir la dispute. Elle faisait des allées-venues entre la minuscule cuisine et le petit escalier, sous l'œil amusé de Maden.

« Et tu sais ce qu'elle m'a dit, quand je lui ai proposé de la recharger puisqu'elle tenait tant à court-circuiter la Raffinerie ? s'emporta l'adolescente dans une rhétorique qui n'attendit pas le mécamage pour se répondre à elle-même. Elle m'a lâché que je pouvais bien garder ma pitié pour moi ! Non, mais quelle conne ! J'ai pas pitié, je voulais juste qu'elle la boucle ! »

Le monologue se poursuivit jusqu'à ce que Maden, lassé, vienne l'enlacer et l'entraîner avec lui dans le canapé. Naola poussa un long soupir. Le calme du jeune homme l'apaisait. Elle grommela encore quelques-unes des tirades qu'elle aurait aimé servir à Louve, plutôt que de battre en retraite, puis elle se tut. Elle profita d'être tout simplement contre lui.

« Tu as vu Kímon, aujourd'hui ? demanda-t-elle au terme d'un doux silence.

— Oui, quelques minutes.

— Comment il va ?

— Bien, je suppose. Je ne crois pas qu'il m'ait remarqué... »

Au fil du temps, par bribes décousues, Maden avait fini par livrer son histoire. Naola, horrifiée par le récit, lui avait même proposé une partie de ses économies, pour qu'il puisse plus vite récupérer son frère. Le jeune mécamage avait ri et haussé les épaules. Il fallait déjà qu'il termine de payer sa jambe, avant de songer à acheter l'enfant.

« Le Baron m'a mis sur une mission de surveillance à la Cantine, après-demain. Il y sera, poursuivit-il à mi-voix. Je devrais l'y voir. Peut-être lui parler.

— Tu lui diras bonjour de ma part », sourit Naola en faisant aller le bout de ses doigts sur l'avant-bras encore organique du garçon.

Elle fronça les sourcils et ajouta :

« S'il se souvient de moi...

— Il se souvient de toi », répondit Maden.

Il saisit sa main et déposa un baiser au creux de sa paume, avant de se pencher sur elle et de l'embrasser.

Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant