Maden Nasfaidaon

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Naola se faisait frire des œufs au plat dans la cuisine de poche du pub. L'un des tiroirs du comptoir s'ouvrait et laissait apparaître deux plaques de cuisson et une batterie de poêles et de casseroles.

Mordret l'avait tirée du lit une demi-heure plus tôt, vers dix heures. Il se montra d'aussi mauvaise humeur qu'elle et lui ordonna de se préparer. Ils avaient à s'entraîner.

La jeune fille ne savait pas comment lui dire qu'elle avait prévu de retourner en cours, pour l'après-midi, puis revenir le soir prendre son service du vendredi. Les yeux fixés sur la frémissante friture, elle tournait ses phrases dans tous les sens.

Il l'avait effrayée en la forçant à se coucher. Elle avait senti toute la violence qu'il retenait en la traînant dans l'escalier. Elle avait des bleus là où il l'avait saisie. Elle fronça du nez et s'engueula mentalement. En aucun cas elle ne devait recommencer à avoir peur de lui. Elle avait trop besoin de ce job pour rester indépendante.

« Me faites-vous sciemment patienter en prenant ainsi votre temps ? gronda Mordret, qui d'un coup, fut en face d'elle, attablé au zinc.

— Laissez-moi au moins manger, Monsieur ! s'insurgea la jeune fille en lui coulant un regard noir.

— Hâtez-vous.

— Je compte retourner à l'école cette après-midi... prévint-elle simplement, surprise de la facilité avec laquelle elle venait d'énoncer cette phrase qu'elle avait pourtant ruminée durant une dizaine de minutes.

— Non, répondit Mordret, tout aussi sobrement.

— Si.

— Très bien. Hâtez-vous d'autant plus. »

Naola fronça les sourcils en sortant les œufs du feu. Elle les observa un instant, puis reporta son attention sur son patron.

« Vous ne vous mettez pas en colère ? Vous ne m'obligez pas à rester là ? Vous ne bataillez pas ? s'étonna-t-elle.

— À quoi bon ? Vous êtes bornée et capricieuse, répondit le vampire d'un ton plat. Je ne suis pas parvenu à vous convaincre du bien-fondé de mes avertissements. Dépenser plus encore d'énergie à vous raisonner à ce stade ne saurait représenter autre chose qu'une regrettable perte de temps. »

La jeune fille resta la fourchette suspendue entre son assiette et sa bouche trois bonnes secondes. Se faire traiter de gamine capricieuse par un vieux comme lui... elle hésitait entre en rire ou se mettre en colère.

« Monsieur, vous m'auriez simplement dit : je vous déconseille d'y aller, c'est une réception de Vestes Grises, je vous aurais écouté et je vous aurais remerciée...

— Je n'ai pas pour habitude d'offrir ainsi une telle information, grogna le vampire. Vous n'avez aucune conscience de sa valeur.

— Néanmoins, si l'on suit votre logique, vous et moi aurions gagné du temps », répliqua Naola, agitant de sa fourchette un bout d'omelette accusateur sous le nez de son patron.

Mordret la dévisagea en silence un très long moment. Elle s'inquiéta quelques instants de le voir figé de la sorte, mais elle s'en désintéressa pour terminer de se restaurer.

« Vous n'avez pas complètement tort, répondit-il enfin. À l'avenir, je tenterai de ne pas repousser une telle alternative. Cependant, lorsque vous me serez liée, la question ne se posera plus, car je disposerai de toute la mesure pour vous protéger. »

Naola suspendit son sortilège de vaisselle pour lui jeter un coup d'œil perplexe. Le vampire, lorsqu'il avait abordé ce sujet la première fois à la fin de l'été, s'était contenté d'éluder ses interrogations et de changer de discussion.

Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant