Cocktail de bienvenue

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« Le fait que vous n'ayez pas remporté une compétition d'entraînement ne constitue pas une excuse valable à votre retard », asséna Mordret de sa voix sans timbre.

Naola n'avait pas parcouru deux mètres dans le bar.

Elle s'immobilisa un court instant, puis se dirigea vers le comptoir avec un long soupir. Sa valise volait à sa suite et alla se poser sagement à côté de la porte de service.

« Je suis mal à l'aise avec le fait que vous m'espionniez, Monsieur. Je vous l'ai déjà dit », grogna la sorcière en s'adressant au vide.

Le vampire ne se montrait pas, mais sa voix morne résonnait dans la pièce, venant de partout et de nulle part en même temps. Naola passa derrière le zinc et sortit deux verres à pied. Ils tintèrent l'un contre l'autre lorsqu'elle les déposa sur le plan de travail.

« Je ne vous espionne pas », répondit Mordret.

Il apparut en face d'elle, assis bien droit sur l'un des tabourets. Il poursuivit, impassible :

« J'observe les informations qui ont un trait plus ou moins direct avec l'établissement que vous fréquentez.

— Une activité à laquelle vous vous adonniez avant de m'engager, bien sûr...

— Je pratique le commerce de renseignements depuis plus de...

— Dans mon école, Monsieur. Je me fous de savoir que vous êtes un vétéran des trafics en tous genres. Vous vous intéressiez à mon école avant de m'embaucher, oui, ou non ? »

La jeune fille, tout en parlant, avait empli les verres d'un assemblage d'alcool qui donnait au liquide une profonde teinte rouge. Elle fit glisser le breuvage vers le vampire et, pour compléter le rituel qui ponctuait ses arrivées au bar, elle conclut en nommant :

« Un Sole Rosso, Monsieur. »

Mordret, qui s'était bien gardé de répondre à sa dernière question, goûta le cocktail, but une longue gorgée, puis reposa la coupe sur le zinc sans ajouter le moindre commentaire.

« Quoi qu'il en soit, vous êtes en retard, reprit-il avec une indifférence royale.

— Je sais. J'ai manqué quelque chose ?

— Non.

— Alors c'est pas la peine de me faire un sac avec la peau du dragon !

— Si c'est là le peu de considération que vous accordez à la ponctualité... » soupira le vampire d'un ton plat.

Naola fronça le nez, agacée, puis lui jeta un regard par-dessus son cocktail et haussa les épaules. Mordret reprit une petite gorgée du breuvage, puis reposa son verre avec délicatesse.

« Donc, en dépit de votre âpre négociation pour obtenir le salaire et les horaires de votre convenance, vous souhaitez retourner auprès de vos parents... » affirma-t-il de sa voix la plus impassible.

L'adolescente vira livide et, sous le choc, lâcha sa coupe. Mordret, en un battement de cœur, réceptionna le récipient avant qu'il ne s'explose au fond de l'évier, se rapprochant de ce fait bien trop près de son employée pour qu'elle se sente en sécurité.

« Je... Qu'est-ce... qu'est-ce qui vous fait penser ça ? balbutia-t-elle, reculant d'un pas.

— Vos parents ont, je l'admets, montré d'un certain courage en reprenant contact auprès de vous », souffla la créature aux longues dents.

Naola écarquilla les yeux d'horreur. Si elle l'avait pu, elle aurait tourné les talons et fui, mais le comptoir se fermait dans son dos comme une dramatique impasse. Il savait tout et elle était piégée. Elle se heurta à la marqueterie du bar.

Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant