Naola souffla sur sa tasse de chocolat chaud avant d'en prendre une longue gorgée. Le soleil plus si matinal perçait à travers les fenêtres de la cuisine familiale et jetait des rais de lumière sur le plan de travail. L'adolescente était la première levée.
La fête solsticiale s'était prolongée jusque tard dans la nuit et ses parents dormaient encore.
Tous les ans, à la fin de l'automne, les sorciers se réunissaient pour célébrer l'hiver. Ils sortaient dans les rues en petites communautés de quartier ou de village, dressaient des sortilèges d'isolation contre le froid, installaient des charmes brasero, mangeaient, jouaient, dansaient et chantaient les louanges du frimas, afin qu'il se montre clément. Une vieille tradition, simple prétexte à des réjouissances que tous les enchanteurs appréciaient.
Naola et sa famille avaient participé aux banquets locaux, et, bien qu'ils n'y connussent personne, avaient passé une excellente soirée. Les sorciers ne déménageaient que rarement, aussi avaient-ils eu l'occasion de discuter avec l'intégralité des nouveaux voisins. Naola, toute souriante, avait pris plaisir à rejouer son rôle de fille unique un peu banale, mais joyeuse. Après tout, des mages curieux se montreraient toujours moins dangereux qu'un vampire curieux.
L'adolescente observa le lait chaud décrire des volutes sombres au fond de sa tasse et décida qu'elle serait plus à l'aise dans le nouveau canapé du nouveau salon que sur les nouvelles chaises de la nouvelle cuisine. La pièce était aménagée avec chaleur, l'assise et le coussin moelleux juste ce qu'il fallait... Seuls quelques éléments de décoration trop sentimentaux avaient résisté au tri drastique opéré lors du déménagement.
Naola ne se sentait toujours pas chez elle, mais elle admettait volontiers une amélioration notable entre ici et sa maison d'enfance. Elle sourit et reprit une gorgée de chocolat chaud. Depuis qu'elle travaillait au Mordret's Pub, elle avait adopté le café le matin, mais elle s'était laissée aller, avec un plaisir nostalgique, à se servir son ancienne boisson favorite.
La gêne, au fil des mois passés à faire acte de présence auprès de ses parents, s'était peu à peu estompée. La jeune fille poussa un soupir contenté : elle se sentait heureuse d'avoir quand même pu profiter de la solsticiale en famille.
Dans deux jours, elle retournerait au pub où Mordret l'attendait de pied ferme, car la période, avec ses longues nuits et sa luminosité déprimante, était idéale aux activités des vampires. Le bar n'avait jamais été aussi plein. La petite serveuse ne commencerait cependant pas par une soirée de travail : à sa grande surprise, Lawrence l'avait invitée pour l'accompagner à une fête donnée par un de ses amis à l'occasion du solstice. À sa plus grande surprise encore, ses parents, comme Mordret, lui avaient accordé cette soirée.
Naola bâillait lorsque sa mère passa la porte du salon. Elle portait un long peignoir satiné et affichait une mine ensommeillée, les cheveux décoiffés.
« Bonjour, sourit-elle à sa fille. Bien dormi ?
— Oui ! Beaucoup mieux, mais en même temps, vu l'heure où on s'est couché... »
Ses nuits ici s'avéraient toujours un peu mouvementées. L'adolescente avait pris l'habitude de la petite chambre du Mordret's Pub et de son armoire ronflante. Dans cette maison à l'écart de Stuttgart, tout paraissait beaucoup plus calme, l'obscurité était d'encre et le charme-réveil ne fonctionnait pas de la même façon que sur la vétuste table de chevet du pub. Hyzerfrid hocha la tête puis jeta un regard par-dessus son épaule. Aux grincements de l'escalier, Britton le descendait. Naola leva sa tasse en guise de salut, lorsqu'il entra à son tour.
« J'ai commencé sans vous, précisa-t-elle.
— Tu as bien fait ! »
L'adolescente se joignit néanmoins au petit déjeuner de ses parents, qu'elle accompagna d'un ersatz de café, qu'elle regretta, car de bien moins bonne qualité que celui servi au pub. Ils discutèrent un moment de la soirée de la veille, des voisins croisés, des nouvelles têtes rencontrées, des potins du quartier. La banalité sereine de leur propos changeait agréablement Naola des conciliabules tendus au coin de son zinc.
Si les deux adultes la félicitèrent pour les résultats de son équipe — ils avaient remporté une victoire éclatante ! — , elle apprécia un peu moins leurs échanges dès l'instant où la conversation dévia vers ses notes du premier trimestre. Après sa réparation sur Maden, la jeune sportive avait terminé ses évaluations tant bien que mal. Elle avait limité la casse grâce aux épreuves pratiques, mais elle ne nourrissait aucune illusion sur la théorie. Elle attendait des performances moyennes et ne se placerait définitivement pas en tête de classe.
« Je ferai mieux aux prochains examens, conclut l'adolescente, mal à l'aise.
— Peut-être qu'en passant un peu plus de soirées tranquillement ici... avança prudemment son père
— Non. »
Naola, soudain tendue, adressa une expression agacée à ses parents. La journée avait pourtant bien commencé. Hyzerfrid et Britton échangèrent un regard, et sa mère reprit, à mots mesurés.
« Tu sais, si tu veux vraiment avoir un lieu pour étudier, on pourrait louer un appartement. Tu ne dormirais plus au pub, comme cela. »
Naola pinça les lèvres et croisa les bras.
« Vous n'avez pas à me payer un logement, je me débrouille assez bien comme ça.
— Il n'est pas question d'argent, Naola, plus de ton intimité. Ce n'est pas courant d'habiter chez son employeur.
— Surtout si c'est un vampire, lâcha la jeune fille, acide.
— Ça n'a rien à...
— Bien sûr que si, ne me prenez pas pour une truffe », conclut-elle avec fermeté.
D'un geste sec, Naola renvoya sa tasse vide jusqu'à la cuisine d'un sortilège maîtrisé. Sa vaisselle se nettoya d'elle-même sur le chemin. Ses parents, tendus, échangèrent un regard sans oser poursuivre. Ils avaient tous les trois joué ce genre de scène un nombre incalculable de fois ces derniers mois, et toutes s'étaient terminées de façon explosive et amère. Naola se laissa aller au fond de sa chaise, se saisit l'arête du nez en plissant les yeux et poussa un long soupir.
« Je ne veux pas qu'on se fâche encore, pas aujourd'hui, articula-t-elle. S'il vous plaît... On a passé un bon moment tous les trois, hier. C'est la première fois que je suis bien avec vous depuis l'été dernier, est-ce qu'il faut vraiment que vous gâchiez tout comme ça ?
— On s'inquiète beaucoup pour toi, Naola, avança Britton à mi-voix.
— Je sais. Je sais que vous ne cherchez pas à mal. Et je sais aussi que je suis jeune pour travailler au pub, je sais que vous auriez préféré que je ne fugue pas... »
Un long silence suivit sa tirade. « Fugue », elle avait lâché le mot tabou, celui qui écorchait leurs émotions. Naola passa outre, esquissant un sourire timide :
« Mais c'est comme ça. Ce qui est arrivé est arrivé, et voilà... j'ai grandi. Soit vous l'acceptez et vous me soutenez. Soit on n'en finira jamais de s'engueuler sur le sujet. »
L'adolescente savoura l'expression de surprise interloquée qu'affichèrent ses parents. Britton se racla la gorge, puis se laissa, lui aussi, aller contre le dossier de son siège.
« Bien. On ne t'embêtera plus sur ce sujet, mais il faut que tu saches qu'on sera toujours là pour t'apporter de l'aide, si tu as besoin.
— Ça aussi, je le sais », répondit Naola avec un sourire franc.
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Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 2
مصاص دماءNaola a rejoint l'équipe d'élite de la plus prestigieuse école de vol de Stuttgart, un choix de scolarité des plus musclés ! D'autant plus que, toujours coincée au Mordret's Pub en attendant l'occasion de plier bagage, elle doit jongler entre les c...