La rage de la sorcière

251 51 4
                                    

« Qu'est-ce qui ne va pas ? » demanda Lawrence, alors qu'ils mangeaient ensemble dans une brasserie du centre-ville.

La petite table pour deux était devenue leur cantine habituelle ; une cantine hors de prix, mais Naola ne s'en souciait pas : Lawrence l'invitait, car il en avait les moyens. Idéalement situés, à bonne distance des radiateurs, avec deux sièges moelleux et une belle vue sur la grande place battue par une grêle printanière, ils s'installaient là plus d'une fois par semaine. Le serveur les reconnaissait.

L'adolescente ne répondit pas tout de suite, concentrée sur son repas. Elle s'efforçait de dissimuler son manque d'appétit en éparpillant ses légumes au fond de son assiette. L'inquiétude du sorcier était légitime : Naola l'avait embrassé du bout des lèvres et restait silencieuse. Elle ne se sentait pas le courage de tenir une conversation, pas après le séjour catastrophique dans sa famille qu'elle venait d'écourter tant l'ambiance s'était dégradée.

Ses parents n'avaient cessé de lui lancer des piques, à propos de Maden et de ses mensonges. Naola avait claqué la porte le matin même, après une dispute plus violente que les autres. Ils lui avaient soutenu qu'elle ne se mettait dans ces situations que dans l'unique but de les punir à cause de l'incident de l'été précédent ; comme si l'existence entière de la jeune fille ne tournait qu'autour d'eux ! La goutte d'eau avait fait déborder le vase.

« Nao ? insista Lawrence. Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai fait quelque chose qui ne va pas ?

— Non. Rien, ça va très bien », répondit Naola sèchement.

Il fronça les sourcils et pinça les lèvres, vexé. Elle soupira et ébaucha un début de sourire d'excuse, avant de préciser, plus doucement :

« Un truc avec mes vieux. J'ai pas envie d'en parler.

— Ah. Je pensais que t'avais perdu tes parents... »

Naola sentit sa gorge se serrer.

« Si seulement, articula-t-elle.

— Quand même, c'est tes vieux, faut pas souhaiter leur mort ! » s'exclama le jeune homme en riant.

Naola lui adressa une grimace peu convaincante, puis se renfrogna. Elle était en train de discuter avec son copain officiel de problèmes avec ses parents générés par son copain non officiel. Plus malhonnête tu meurs, s'engueula-t-elle, soudain submergée par une honte violente, alimentée par toute la rancœur qu'elle éprouvait pour ses parents.

Sa fourchette tressauta contre la céramique blanche de son assiette. Elle tremblait. Elle se leva d'un coup, la tête baissée.

« Excuse-moi, lâcha-t-elle en se dirigeant vers la sortie

— Où tu vas ? Nao ! »

Elle ne lui laissa pas le temps de la rattraper. À peine dehors, elle se transféra directement devant un accès aux toits des Halles Basses, dans une ruelle détournée. Quelques minutes plus tard, elle rejoignait son refuge. Elle se heurta l'épaule contre une plaque métallique, en entrant sous l'appentis. Elle sentit sa veste se déchirer et l'acier rouillé lui entailler la peau. Le panneau vacilla puis tomba, causant un véritable éboulement dans le bric-à-brac ambiant.

Naola jura, la douleur de la blessure fit basculer ses sentiments. L'adolescente lâcha un cri de rage et frappa du pied dans une espèce de panière. L'objet se cassa. La fille s'acharna sur tout ce qui passait à sa portée. Elle s'entailla à nouveau, à la main, à l'avant-bras.

Elle se calma finalement, essoufflée, et se laissa tomber par terre, sans force. Elle aperçut Charm du coin de l'œil. La vampire se tenait adossée dans le coin le plus sombre de la cabane, les bras croisés. Un sourire acéré découvrait ses canines blanches, bien visibles dans la pénombre.

Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant