Notes, page trente-six

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J'étais à La Dragonnière quand les P.M.F. ont débarqué.

Le bar est crade, mais t'y bouffes plus que correct pour pas grand-chose, même si le patron fixe ses prix à l'œil. Un jour, longtemps avant la descente des fédés, alors que je traînais encore ma nouvelle jambe, Harlem m'a offert la soupe et les œufs.

Faut dire qu'aux premiers mois avec mon mécartifice neuf, c'était la misère. Je pouvais plus bosser, j'avais plus un rond, j'avais plus de quoi me payer à becqueter. Heureusement quand t'as rien, entre mécas, on donne beaucoup.

Personne dans l'immeuble ne m'a demandé ma part au loyer. Je payais moitié prix à l'épicerie d'en bas. Sans gêne, parce que quand Fridrick a perdu la main, on s'était arrangés pour qu'il reste vivre là, lui aussi. Pareil quand Kayané a débarqué au foyer. L'opération l'avait rendue aveugle. On pouvait compter ses côtes à travers son t-shirt. Personne ne la connaissait, elle avait juste une vague recommandation d'une nana qui n'habitait plus là, mais on l'a accueillie. On pouvait pas la laisser crever.

Pourtant, un gars comme moi, du sixième étage, qui ne peut pas bosser, ça pèse pour tout le monde. Au sixième, on est tous jeunes, on n'est pas les moins bien lotis, en temps normal, on peut tous bosser, et quand on bosse, on est mieux payés. Les boulons sont moins usés, comme disent ceux d'en dessous.

Quand les P.M.F. ont débarqué à La Dragonnière, on a su tout de suite que ça allait barder. Les sorciers avaient leurs concentrateurs visibles, un signe clairement pas très pacifique. Puis la cheffe d'escouade a demandé à voir la tenancière et lui a tendu un mnémotique officiel. Elle a dit bien fort que le bar n'était plus autorisé à recevoir de clients. Comme quoi les patrons n'avaient pas payé leurs taxes, et que les soldats étaient autorisés à saisir ce qui pouvait l'être.

Igniire a démarré au quart de tour en les insultant. À ce moment-là, Karl m'a tiré la manche et m'a soufflé : « On se barre. » On a bien essayé, mais les fédés se tenaient devant l'entrée, pas décidés à nous laisser passer. C'était pas bien grand, La Dragonnière, et il y avait déjà une quinzaine de personnes avant que les P.M.F. arrivent. À trois contre quinze, franchement, c'était pas bien malin.

Ça a vraiment commencé à déconner quand les sorciers ont demandé le certificat de propriété du webster. Harlem a tressailli, la tête basse, pendant que sa femme restait les bras ballants, soufflée que cette officière, avec sa veste bien chaude, ses galons rutilants et sa mine suffisante, ose parler comme ça de son mari. La dragonne savait pas quoi répondre. Exceptionnel. Elle a fini par répondre qu'elle avait leur certificat de mariage et rien d'autre. Là, j'ai pigé que Harlem, le patron, c'était un webster. Un vrai, pas comme Kímon. J'aurais aimé comprendre ça avant, j'aurais eu tellement de questions à lui poser.

« Peu importe. On va l'emmener. Ça couvrira tes dettes » a tranché l'officière.

C'est la dernière chose qu'elle ait jamais dite de sa vie.

Harlem a relevé la tête, carré les épaules, levé le bras et tiré. Son arme n'a pas fait le moindre son, ni à l'amorce ni à la détonation. Totalement illégal. Le corps de l'officière est tombé au sol. Je ne la voyais que de dos, mais je suppose qu'elle a dû être bien surprise de crever comme ça. Y a eu une seconde de vide. Plus personne ne respirait. Plus personne ne bougeait.

Puis tout le monde a réagi en même temps. Les mécas ont chargé leurs armes, moi compris. Igniire a tiré Harlem derrière le bar, qui a essuyé les quatre sortilèges lancés par le reste de l'escouade. Pour eux deux, il n'y avait plus de retour possible. Soit on se battait pour qu'ils fuient, soient ils y passaient. Pour la différence que ça a fait...

Les sorciers se sont précipités vers le bar. J'ai tiré dans le dos de l'un d'entre eux. Je saurais pas dire si ça l'a touché. Karl s'est tourné vers moi, j'étais le plus près de la porte. Il m'a gueulé : « Va chercher des renforts ! »

J'ai couru à m'en faire grincer les boulons, partout, dans toutes les planques, dans tous les bars. J'ai jamais couru si vite ni si longtemps. Les P.M.F. aussi ont appelé des renforts. Cette nuit-là, ça a été une boucherie.

Karl, Hermine, Luc, Vic, Salomée, Farid, Lize, Pascal... D'autres encore. Igniire et Harlem sont morts. Autant chez les P.M.F. Il y aura des sanctions pour les mécas qu'ils ont pris vivants, mais on était trop nombreux à se battre dans les rues. Ça s'est terminé quand Igniire est tombée à ce que j'en sais. Moi, je n'y étais plus. Paraît qu'elle a décimé un bataillon entier quand Harlem a été abattu.

Une sale nuit.

J'ai eu de la chance.

Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant