Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 2

Les gens de Niémen

Lorsque le mécamage fut à la limite de tomber dans les vapes, la Vieille Naine lui tira la tête hors de la fange et le redressa. Il toussa et hoqueta, la respiration emballée. Elle attrapa son menton et planta ses yeux dans les siens.

« Vous autres, humains, vous ne valez rien ! s'emporta-t-elle. Vous êtes tout juste bons à nous servir de matière première. Vous avez perdu le droit de vivre en provoquant les Cataclysmes. »

Maden lui cracha un mélange de glaise et de salive à la figure. Elle le gifla si violemment qu'il perdit conscience, à peine quelques secondes. Le goût de sang envahit sa bouche et se confondit à la saveur terreuse du limon. Affalé sur lui-même, incapable de se dégager de ce piège mortel et à la merci de la sorcière, il se contenta de rentrer les épaules et, tête basse, encaissa.

Legibovna semblait décidée à prolonger son supplice. Elle le frappa jusqu'à ce qu'il perde le compte des coups. Les paupières closes, les dents serrées, il s'évertuait à ne pas crier. La douleur pulsait dans tout son corps, dans chacun de ses muscles, contre ses tempes, assourdissante.

Soudain, les impacts cessèrent.

« Lâche-moi », ordonna la Vieille Naine.

Maden rouvrit les yeux. Un réseau de filins l'entourait, le protégeait et immobilisait le bras de sa tortionnaire.

« Lâche-moi immédiatement, Kímon », répéta la sorcière en détachant chaque syllabe.

Sa voix, d'incrédule, venait de basculer vers la rage. Les câbles semblèrent hésiter, ils tremblèrent, mais l'enfant tint bon. Sans un mot, Legibovna leva sa main libre et arma son concentrateur d'un sortilège sombre. La magie lovée au creux de sa paume donnait l'impression d'aspirer la lumière, l'air et l'attention de ceux qui l'observaient. Maden n'avait plus la force de supplier. Il pria pour que la décharge de mort lui soit destinée. Qu'elle épargne son frère.

Le maléfice s'acheva de la façon la plus incongrue qu'il soit. Le ventre de la Vieille Naine se perça soudain d'une lance qui se ficha dans la boue, à quelques centimètres du mécamage. Une gerbe écarlate lui éclaboussa le visage et, avant qu'il ait eu le temps de réaliser quoi que ce soit, Legibovna fut arrachée à son champ de vision.

Mordret referma sa main sur la racine dont il venait de se servir comme jet et la retira d'un coup sec de la plaie de son adversaire. La Naine hurla de douleur et, sonnée, n'eut pas le réflexe de compresser la blessure. Son sang s'épandit à gros flots sur le sol, se mélangeant à la boue. La vieille femme déclencha une vague de magie qui repoussa un instant le vampire. La créature se rua à nouveau sur elle, en rage, indifférente à ses sorts, indifférente à ses coups. Mordret ne cherchait plus qu'à plonger sa mâchoire dans cette gorge qu'il devait à tout prix sectionner. La sorcière tenta de lui échapper, mais il ne lui laissa aucune chance. Ils luttèrent d'interminables minutes, deux êtres au bord de la mort qui formaient une masse informe, mouvante, hurlante. Puis, enfin, les corps s'immobilisèrent et, lentement, Mordret se redressa.

Au-delà de la raison, le vampire aurait été incapable de dire à quel moment la Vieille Naine avait succombé ni la façon dont il l'avait tuée. Le cadavre lui tournait le dos, face contre terre, à demi recouvert de boue, flasque. Il n'y prêta qu'un bref regard, puis se détourna.

Son bras droit pendait le long de son corps, inerte, gonflé et bleui. Il s'en était servi pour dévier l'attaque finale de Legibovna qui, à défaut de lui découper la gorge, lui avait brisé les os et cloué la main au sol. Un moindre mal.

Incertain, il se dirigea vers Maden. Le libérer. Rentrer. Le premier pas lui tira un grognement de douleur étouffé. Sa hanche en miette rendait sa démarche bancale, hasardeuse. Il baissa les yeux sur son ventre et soupira. La Naine avait trouvé le moyen de le taillader à coup de lames en argent. L'une d'elles, plantée entre ses côtes, avait abîmé ses poumons. Si aucun des dégâts encaissés n'inquiétait pas réellement ses capacités hors normes de guérison, la présence du métal dans son organisme l'affaiblissait.