Notes, page vingt-trois

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J'ai trouvé mon frère. Enfin, je crois. En tout cas, j'ai retrouvé Kímon. Mais est-ce que c'est encore mon frère après ce qu'ils lui ont fait ?

C'est difficile à décrire et je ne comprends pas tout, parce que tout le monde ici parle fédéral et non le français, comme à Paris.

Retrouver sa trace a été plutôt simple, une fois que j'ai trouvé le quartier méca. Il y a plus de sorciers à Stuttgart, et la différence entre les avec et les sans magie est encore plus marquée qu'à Paris. Quand Serge m'a déposé au centre de commandement général de la capitale (qui est aussi le centre de commandement général de toute la Fédération), il m'a donné un laissez-passer, et un de ses hommes m'a conduit dehors. Il m'a dit d'aller à la bourse aux Boulons, m'a indiqué une direction et s'est empressé de rentrer se mettre au chaud. Le froid ici est plus sec et plus mordant, il s'insinue moins qu'à Paris.

La rue principale de Stuttgart est une rue couverte, bordée de boutiques chics et de restaurants. Quand je l'ai remontée, tous les passants ont eu la même réaction : me dévisager puis détourner les yeux en pinçant les lèvres. Comme si j'avais pas le droit d'être là. Sous leurs regards, j'ai eu honte de mon méca tout neuf.

Je suis plus jamais repassé par là-bas depuis.

À la bourse aux Boulons, j'ai rencontré le Baron, le chef de la corporation des mercenaires mécamages de Stuttgart, qui s'occupe de trouver du taf aux presque-organiques, comme nous appellent les sorciers. C'est un peu le Lars de Stuttgart. Sauf que Lars est un gars bien, alors que le Baron, clairement, non.

Déjà, faut voir sa dégaine. Il n'a plus un membre de naturel et il a le cou et les épaules renforcés par des plaques. Son nez est en métal et, quand il parle, certaines de ses dents et une partie de sa mâchoire brillent.

Ensuite, Kímon, il le connaît et il m'a même indiqué où le trouver. Et s'il savait aussi bien d'où Kímon et moi on venait, c'est parce que c'est lui qui a organisé en partie la rafle. Quand j'ai compris ça, j'ai essayé de lui mettre mon poing dans la gueule. Il ne m'a pas laissé le temps. J'ai vraiment cru qu'il allait me péter le mécartifice. Y a des endroits où, tu vois, faut pas trop toucher, sur un méca. Surtout quand ça fait pas un bail que tu l'as. Le Baron s'est pas privé de me le rappeler. J'en ai gerbé de douleur.

Kímon ne m'a pas reconnu. Enfin, moi non plus, au début, je ne l'ai pas reconnu. Des gamins qu'ils ont enlevés, au village, j'ai appris depuis qu'ils en avaient vendu certains à des vampires, que d'autres avaient été expédiés aux cités-États de l'est. La Vieille Naine, la commanditaire du rapt, s'en est gardé quelques-uns. Pour faire des expériences.

Donc, Kímon est devenu une expérience qui doit pouvoir se résumer à « comment transformer un enfant en légume-esclave ». Les sorciers ont des esclaves-légumes qu'ils appellent websters. Je me suis renseigné depuis. C'est une race particulière, comme ils disent. Ça coûte très cher, et leur mise en service est très contrôlée. Kímon, c'est une tentative de webster de contrebande.

Le Baron m'a conduit jusqu'à lui, dans le sous-sol d'un entrepôt où ils parquent leur « main-d'œuvre ». Il est allé le chercher lui-même, au milieu d'autres gosses, en m'expliquant que c'était pas pratique, car il ne répondait plus à son nom.

J'avais envie de les tuer. Le Baron pour ce qu'il avait fait, parce qu'il riait de me voir chialer. Kímon, aussi, je voulais le tuer, juste pour qu'il arrête d'être ce qu'il est devenu. Qu'il ne souffre plus. Y a déjà plus de vie dans son regard.

Le Baron m'a dit : « Gars, t'es plutôt bien fait, t'as pas l'air con et avec ton bras, tu pourrais être utile. Tu bosseras pour nous, et, ton frangin, je fais en sorte qu'on le traite au mieux, vu son cas. L'est fragile et l'a besoin d'un traitement particulier, donc si tu veux pas, je doute qu'il vive encore très longtemps. »

J'ai dit oui. Qu'est-ce que je pouvais dire d'autre ? J'ai demandé qu'il me laisse quelques minutes avec mon frère, et il l'a fait.

J'ai pas eu le courage de le tuer. Je suis resté tout le quart d'heure à parler à Kímon. Lui raconter mon voyage. Lui parler des mouettes et du village. Il ne réagissait pas. Il disait rien. Il me regardait même pas. J'avais sa main dans les miennes et je ne pouvais pas m'empêcher de pleurer. Ça lui faisait rien du tout.

Poutant, quand j'ai voulu m'écarter, au moment où le Baron revenait, j'ai senti ses doigts se refermer dans les miens et les retenir. Ça me redonne espoir. Un webster, ça s'achète. Je bosserai jour et nuit s'il le faut, mais je trouverai les dens pour racheter Kímon.

On rentrera au village, et on ira aux mouettes, voler les œufs dans les nids.

Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant