Les plans du vampire

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Le vampire veillait. Les sens aux aguets, il écoutait la nuit murmurer, insensible à ses berceuses.

À l'heure la plus noire, le ciel couvert et froid se dégagea. La lune inonda la forêt de ses rayons d'argent, magnifiant de clair et d'ombre le paysage endormi. Les arbres, statues sombres dégarnies par l'hiver, se drapèrent d'une lumière qui ondulait doucement, de leur cime jusqu'aux fougères du sous-bois.

Si les mécamages avaient été éveillés, peut-être se seraient-ils émerveillés par la beauté sereine de l'endroit. Mordret ne disposait plus des émotions nécessaires pour apprécier ce genre de distraction. Pour lui, la quiétude n'était qu'un mirage grossier, une illusion qui dissimulait mal les carnages perpétrés par les prédateurs nocturnes, toutes espèces confondues.

Assis en tailleur près du feu moribond, les yeux mi-clos levés vers les cieux, il se prit à savourer l'ironie presque poétique de cette constatation : que la nuit soit d'encre ou de lumière, ceux qui tuaient n'en avaient que faire. Un meurtre serait-il plus beau sous une voûte étoilée ?

Son attention se porta sans hâte vers le prisonnier, toujours étendu en bordure du camp. Le poison le maintiendrait léthargique jusqu'au moment où le vampire l'achèverait. Il ne souffrait pas, quoi que Mordret se demandât quels effets les recharges des deux mécamages avaient bien pu provoquer sur le métabolisme ralenti du sorcier.

Maden s'était finalement résigné à alimenter partiellement ses artifices. Raisonnable décision qu'il avait tenté d'amoindrir en ne prenant que le minimum du tolérable. Ce comportement inconséquent agaçait le vampire qui émit un grognement sec en se le remémorant. L'homme allait mourir : ne pas utiliser tout son potentiel n'était que gâchis. Un sentimentalisme contre-productif proche de ce que Mordret avait déjà constaté chez sa petite serveuse. Ces jeunes gens n'étaient pas malhabiles, ils avaient la tête bien faite, mais leurs états d'âme les empêcheraient d'accomplir quoi que ce soit d'intelligent. Ces deux là, en un sens, s'étaient bien trouvés et c'était sans doute regrettable qu'ils soient contraints de se séparer si brutalement.

L'aube colorait l'horizon de timides teintes pastel lorsque l'enfant bougea enfin. Mordret, au rythme de sa respiration, le savait éveillé depuis des heures, mais, lové contre son frère, il était resté immobile. Avec mille précautions, le gamin s'écarta de son aîné. L'aisance avec laquelle il usait de ses multiples mécartifices forçait à la fascination. Legibovna, le vampire devait bien l'admettre, avait fait un travail remarquable sur ce prototype. Si on exceptait sa manifeste aspiration à la liberté et les reliquats d'attachement émotionnel, le webster ne souffrait d'aucun des défauts que l'on retrouvait fréquemment sur les modèles contrefaits. Ni lenteur, ni saccades, ni, et c'était heureux pour lui, souffrance démesurée.

Il se déplaçait en usant de ses filins plus que de ses jambes. Sa démarche rampante ne produisait pas le moindre son, ce qui n'avait rien de surprenant pour un être à qui on avait imposé la discrétion. Il s'immobilisa en passant à proximité de Mordret, étonné de le trouver éveillé. L'enfant se redressa et, lentement, rétracta ses câbles, mécanismes et artifices pour tendre de nouveau vers une enveloppe corporelle presque-organique. Une apparence de convenance. Il s'inclina légèrement, pour saluer la vieille créature. Mordret le vit couler un très bref regard vers leur prisonnier, puis se figer, les yeux au sol, dans une position d'attente.

« Rechargez-vous », murmura le vampire, offrant à son interlocuteur l'ordre qu'il espérait.

Kímon glissa jusqu'au sorcier et s'exécuta. L'homme gémit faiblement, sans reprendre conscience.

« Rechargez-vous, jusqu'à votre limite, puis transférez la moitié à votre frère et rechargez-vous à nouveau », précisa Mordret au bout de quelques minutes.

Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant