Épilogue

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Naola observa la condensation se former sur les bords extérieurs de son verre, la fraîcheur insolente de sa citronnade défiant la chaleur lourde et inhabituelle du mois de juin. Jérôme, assis en face d'elle, se servit à son tour dans un mélodieux glouglou ponctué du tintement des glaçons qui survivaient vaillamment dans le pichet.

Pour lutter contre la canicule, ils avaient sorti la planche qui constituait le bureau de l'antiquaire et l'avait installé directement dans le petit parc en face de l'échoppe. Le vent, même tiède, restait plus agréable que l'atmosphère confinée du magasin, dans lequel Jérôme refusait d'utiliser des sortilèges climatiseurs, de peur qu'ils viennent dégrader ses collections.

« Bon alors, tu fais quoi de tes vacances ? demanda le jeune homme en se penchant vers elle.

— Aucune idée. Avec le pub, j'en a pas vraiment, tu sais. »

Naola sourit et se laissa aller au fond de sa chaise. L'année scolaire s'était enfin terminée et elle n'était pas mécontente d'être libérée de la contrainte des cours.

Sur les conseils de Mordret, elle avait raconté une partie de ses mésaventures à ses parents : sa tentative désespérée pour sauver Maden, l'état de Mordret à son retour, l'état dans lequel il l'avait mise, elle... Son père et sa mère, devant sa détresse et sa tristesse encore palpable, s'étaient abstenus de l'engueuler et l'avaient même remerciée pour sa franchise. Ils s'étaient occupés de contacter son école et lui avaient inventé une excuse sur fond de décès d'un cousin éloigné dans la famille pour justifier sa longue absence, ainsi que les entraînements et la compétition qu'elle avait ratés — course que, d'ailleurs, son équipe avait perdue.

Le subterfuge, cependant, n'avait pas suffi à ce que Seda et les autres lui pardonnent complètement ses manquements. L'adolescente avait terminé l'année scolaire dans une ambiance dégradée par des non-dits et des reproches voilés.

C'était sa faute, en même temps : nul doute que ses amies l'auraient comprise, si elle avait trouvé le courage de leur raconter son histoire avec Maden. Mais du courage, elle n'en avait plus. Parler de lui et de leur séparation avec ses parents l'avait plongée dans un état de profonde tristesse dont elle avait mis plusieurs semaines à se sortir.

Seule Teija, qui la connaissait bien, avait saisi son malaise. Elle ne lui avait posé aucune question, bien sûr, elle était bien trop polie pour cela, mais elle l'avait prise à part et lui avait assuré que, si un jour elle voulait discuter de tout ce qui lui était vraiment arrivé, elle serait là. Teija, c'était une fille bien. Sa seule amie à l'école à présent.

Naola avala une longue rasade de citronnade pour dissiper la boule d'amertume qui lui serrait la gorge.

« Pourquoi tu me demandes ça ? » fit-elle à Jérôme qui, comme toujours, avait respecté son silence tendu avec bienveillance.

Elle avait passé beaucoup de temps avez lui, ces deux derniers mois. Lui non plus n'avait pas trop posé de question, mais, à la différence de Teija, il vivait près des Halles Basses et n'avait eu qu'à écouter leurs rumeurs pour reconstituer sa mésaventure. Ils n'en avaient parlé qu'une fois, à demi-mot, puis n'avaient plus jamais abordé le sujet. Naola se sentait réconfortée à l'idée qu'il était là et qu'elle pouvait compter sur lui.

« J'aurais peut-être un ou deux plans à te proposer... pas sur plus d'une journée ou deux. Mais j'ai peut-être une piste pour une tombe préantique, en Éphénie. Ça se vend très bien, en ce moment, les vestiges éphéniens.

— À voir, répondit Naola en plissant les yeux. Lawrence, il fait déjà partie de tes combines ?

— Je ne lui en ai pas encore parlé... mais oui, on ne serait pas trop d'être tous les quatre, Niles, lui, toi et moi. »

Naola grimaça. Un arbre-à-pattes, tout juste sorti du bosquet où sa petite troupe tentait de se protéger de la chaleur, s'approcha de leur table improvisée avec méfiance. La jeune fille, heureuse de cette diversion, descendit lentement de sa chaise pour s'accroupir. Le rustique végétal accusait le coup de la sécheresse : ses branchages qui, à cette époque, auraient dû être recouverts d'un luxuriant feuillage, étaient clairsemés et brunis. Naola sifflota une mélodie pour attirer son attention puis fit couler un filet d'eau de son concentrateur. L'arbuste, une fois sa méfiance passée, s'en délecta et l'adolescente se retrouva rapidement entourée de tout le bosquet.

« Ça fait deux mois, Nao, il est grand, tu sais, il s'en est remis. Et puis, quand tu l'as plaqué, il se doutait depuis un moment que ça ne fonctionnait plus entre vous.

— Tu sais très bien qu'il n'y avait pas que ça, répliqua-t-elle sèchement.

— Ouais, je sais. Mais lui n'a pas besoin de le savoir. Allez, franchement ça ne te tente pas, une petite escapade de deux jours, entre potes, à la recherche d'un trésor perdu ? Ça te changerait les idées. »

Naola sourit à demi et, avec beaucoup de précautions, tendit la main pour toucher la pousse la plus proche d'elle. Le végétal, tout à son allègre irrigation, se laissa gratouiller les frondaisons en frémissant des ramures. Son feuillage bruni reprenait peu à peu une teinte vert tendre. La sorcière se redressa doucement. D'un charme, elle avait créé une petite retenue d'eau dans laquelle les arbres-à-pattes pataugeaient joyeusement. Elle reprit place en face de Jérôme, descendit les trois quarts de son verre puis lui adressa un sourire franc.

« T'as raison, ça me changera les idées. »

Fin

Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant