Le pacte

221 53 4
                                    

Assise dans son lit, le dos calé contre le mur et la tête appuyée sur son oreiller, Naola observait le carnet posé sur ses genoux. Son regard glissa sur la bande entourant toujours son bras gauche. La morsure en dessous était très probablement cicatrisée et guérie, mais Mordret insistait pour qu'elle garde le pansement, tout comme il refusait catégoriquement qu'elle se lève.

« Je vous ai laissé si exsangue qu'il est tout à fait surprenant que vous ayez survécu », lui avait-il expliqué lors de son premier réveil.

L'adolescente bougea la main et plia doucement les doigts. Elle répéta l'opération plusieurs fois, sans grimacer. Ce simple geste, quelques heures plus tôt, la faisait grogner de douleur. Les dents du vampire avaient causé beaucoup de dégâts. Il lui avait perforé l'os et le bleu formé par le choc avait rendu tout son avant-bras violet. Mordret avait trouvé un médic' pour la soigner.

« Il est heureux que j'aie disposé ici d'une réserve plus que conséquente d'échantillons sanguins à transfuser », avait ajouté la créature lorsqu'elle avait évoqué l'intervention du guérisseur.

Trois jours s'étaient écoulés depuis son premier réveil... presque une semaine depuis le retour du patron dans son établissement. Naola baissa de nouveau les yeux sur le journal. La couverture noire, usée sur la tranche, était bosselée à cause de l'humidité. Elle avait trouvé l'objet par hasard, en déballant très lentement son sac de voyage. Mordret était allé le chercher dans la grotte où les mécamages en fuite l'avaient abandonné.

L'adolescente ouvrit le carnet à la dernière page et relut les toutes dernières lignes, celles que Maden avait écrites dans leur refuge. Les derniers mots, juste avant d'affronter le Baron. Ses derniers mots pour elle.

On peut plus attendre, Nao.

Ta protection faiblit, on ne peut pas rester là, sinon, quand elle disparaîtra, on sera coincés. Le garde, on va tenter de l'avoir par surprise.

Si tu lis ces lignes et que je suis pas avec toi, je pense que je serai mort. Et si je suis mort, j'espère que tu liras ces lignes, car ça voudra dire que tu t'en seras tirée.

Alors c'est un adieu, en quelque sorte.

Merci d'avoir essayé.

Si, par miracle, Kímon s'en sort et, si tu le peux sans risque, ce dont je doute, veille sur lui. Même de loin. S'il te plaît.

Merci pour tout. Merci d'avoir essayé. Je t'aime. C'est plus facile à écrire qu'à dire.

Maden

Comme à chaque lecture, Naola s'essuya les yeux d'un revers de la manche.

Maden avait survécu, il l'attendait probablement à Niémen, mais elle ne le reverrait plus. Mordret avait raison.

« Vous n'avez rien à faire là-bas, avait-il lâché, sans émotion, lorsque, à peine capable de parler, elle avait évoqué l'idée de rejoindre le mécamage. Niémen est un fief mécamage administré par la Fédération. Réfugiez-y-vous et vous y vivrez isolée des presque-organiques, car vous êtes sorcière, et isolée des sorciers, car vous fréquentez les presque-organiques. Votre amourette adolescente ne survivra guère plus de quelques années à la rigueur de la vie qui vous attend là-bas et aux regards et jugements que vous affronterez. »

La jeune fille, trop faible pour se mettre en colère, avait tenté d'argumenter :

« Vous êtes un vampire, vous n'y connaissez rien en sentiments et vous ne pouvez même pas envisager d'imaginer...

— Quand bien même, à quoi bon sacrifier votre avenir à ce risque ? Pour un garçon ? Pour une relation à peine née et dont vous ne pouvez prédire la pérennité ? Fréquenter les mécamages est une mauvaise idée, mademoiselle. Déménager n'y changera rien, et lorsque l'amertume aura fini de ronger votre affection, vous vous retrouverez définitivement seule et sans moyen de faire machine arrière. En outre, vos parents ne méritent pas le sort que vous leur réserviez à fuyant à nouveau. »

Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant