Rencontre

68 9 3
                                    

- Je ne m'attendais pas à te revoir... Me dit-elle en me toisant de haut en bas d'un air agacé. Que fais-tu là ?

- J'ai appris le décès de ma mère. Alors je suis venue me recueillir. Répondis-je sans vraiment faire attention au jugement, visiblement négatif, qu'elle portait à mon égard.

- Ça fait déjà six mois qu'elle n'est plus de ce monde. C'est seulement maintenant que tu t'en préoccupes ? Me répondit-elle d'un ton aussi hautain que son attitude et en époustant sa veste vert olive et secouant ses cheveux roux.

Je me tournai vers la sortie et me précipitai dans ma voiture sans même lui répondre. J'allumai le contact, tournai le bouton du chauffage et fondis en larmes sur le volant.

Après avoir laissé ma culpabilité et ma frustration s'exprimer, ainsi que mon maquillage couler, j'appuyai violemment sur l'accélérateur et retournai à toute vitesse dans la maison que ma mère m'avait légué, ignorant le seul feu rouge de cette ville minuscule que j'avais fuis pendant si longtemps.

Tout était encore exactement au même endroit. Les mêmes commerces, les mêmes décorations, les mêmes personnes ... Le temps avait l'air de s'être arrêté dans la bourgade. Même le vieux corniaud du pâtissier était encore là, à surveiller la vitrine et regarder les passants. Et il avait ses têtes ! Il savait exactement que le cordonnier allait lui offrir un morceau de son pavé de bœuf du mercredi, tandis que la petite fille de Madame Riks lui tirerait probablement les poils.

Je souris devant le tableau de ce chien noir affublé de poils blancs assis devant sa fenêtre et continuai mon chemin jusque chez moi. Je stoppai la voiture négligemment devant la porte et entrai. Je jetai lourdement mon sac sur le canapé et, agacée par l'altercation avec Ellie, je me motivai a nettoyer et ranger tout ce bazar. Récurer le plan de travail blanc de la cuisine avait sur moi un effet apaisant. Allez savoir pourquoi, pour moi, la meilleure des motivations restait l'énervement. Je frottais les tâches, déversant ma haine et récitai tout un tas de réponses auxquelles j'avais pensé seulement après coup. Que c'était frustrant de ne pas avoir la bonne réplique au bon moment !

Une voiture vint se garer à côté de la mienne pendant que je me parlais toute seule, puis, quelqu'un vint toquer à la porte d'entrée après avoir essayé d'appuyer sur le bouton de la sonnette qui n'avait jamais fonctionné. J'allai à sa rencontre et ouvris la porte.

C'était un homme, probablement à peine plus âgé que moi. Il avait le bas de son visage emmitouflé dans son écharpe beige et frissonnait sous l'imposante doudoune bleue marine qu'il portait. Je ne pus me retenir de pouffer à la vue de cet énergumène.

- Que puis-je pour vous ? Demandai-je amusée par sa dégaine.

Il se hissa sur la pointe des pieds pour regarder derrière moi et pris un air dégoûté avant de retirer son écharpe et soupirer :

- Cx-557-MB ? Me demanda-t-il d'un ton ennuyé et en refourrant le nez dans son étoffe.

- Ça... C'est... Ma plaque d'immatriculation... Répondis-je interdite.

- Peu importe, je m'en fiche. En revanche, vous êtes passé à un feu rouge et êtes rendue coupable d'un excès de vitesse. M'informa-t-il sur un ton malpoli en me montrant son insigne de police qu'il avait eu du mal à sortir de sa poche.

- Je ...

- Dites-moi... Avant même que je ne gaspille mon temps à vous faire remplir un formulaire que vous devrez ramener au poste avec le chèque au montant indiqué... Vous ne vivez pas ici tout de même ?

Indignée par son impolitesse, je lui claquai la porte au nez et m'adossai à celle-ci en attendant qu'il parte.

- Je suis toujours là vous savez ...

Je ne répondis pas, feignant d'être partie.

- Je vous vois Mademoiselle Cx-557-MB...

Je tournai la tête et le vis me faire signe de la main à travers la petite fenêtre près de l'escalier. Dans l'impossibilité de m'en défaire, je lui ouvris donc la porte et le fis entrer.

Il avança jusque dans le salon et sortit de sa poche intérieure une feuille parfaitement pliée qu'il posa sur la petite table en regardant tout le rez de chaussée avec attention.

- Depuis quand la police se déplace à domicile pour un feu rouge ? Demandai-je en l'observant du coin de l'œil.

- Depuis qu'on m'a assigné à la circulation... Répondit-il de sa voix grave, concentré sur son papier. Dommage, mon service prend fin après demain.

- C'est ça... Murmurai-je en maudissant mon karma.

Une fois qu'il eût fini de tout remplir, il se dirigea vers la cheminée tandis que je préparais un café bien chaud. Il scruta la moindre photo, le moindre objet. Son regard se tourna ensuite à côté de lui, comme si une personne s'y trouvait. Il pivota vers la petite boîte à musique de ma mère, la prit entre ses mains et soufla dessus. Il sembla ensuite absent quelques secondes. Il était vraiment étrange. J'avais beau l'appeler, il ne semblait pas m'entendre, ni faire attention à ma présence. Quelque chose d'autre le captivait. Avec mes deux tasses de café dans les mains, je tournai en rond dans la pièce, essayant de comprendre ce qui se passait en fixant à mon tour tout ce qu'il avait inspecté. Puis, d'un seul coup, il reposa l'objet qu'il avait prit et se tourna vers moi avec un air condescendant :

- Vous devriez nettoyer tout ça rapidement.

- Je viens juste de ...

- Vous avez rempli le formulaire ? J'ai du travail et je dois retourner au commissariat avant de rentrer chez moi, mon service prend fin dans neuf minutes. Dit-il en parlant rapidement et en regardant sa montre.

Je remplis alors le papier en vitesse et le lui redonnai en grommelant. Il me l'arracha des mains et, satisfait, il se dirigea vers la sortie et me balança une dernière réflexion avant de s'en aller :

- Vous devriez appeler un dératiseur... Ça fiche la trouille ces bestioles.

Il claqua la porte puis j'entendis le bruit de sa voiture qui s'eloignait doucement. Quel toupet ! Si mon père avait été là, il n'aurait pas fanfaronné ainsi ! Oui ... S'il était encore là... À cet instant, les souvenirs de mon père, qui avait disparu depuis une dizaines d'années, me revinrent et me replongèrent dans le nettoyage.

Secrets ( 1ère Partie )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant