Amis d'enfance

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Elle s'approcha de moi les larmes aux yeux. Comprennant qu'elle s'apprêtait a me faire ses adieux, je reculai. Mais Wilson me retint, posant délicatement sa main chaude dans le creux de mon dos. Il posa sur moi un regard bienveillant que je ne lui avais encore jamais vu mais qui me sembla tout à coup familier. Amélia me prit les mains entre les siennes. Les larmes semblaient couler sur son visage devenu translucide. Un halo l'illumina et soudain je me souvins. Je me souvins de la manière où tout avait commencé.

Enfant, je n'avais jamais vraiment eu l'occasion de m'attacher ou de me faire des amis. Mes parents déménageant beaucoup trop souvent, j'avais été condamnée à la solitude. Jusqu'à ce que finalement ils décident de s'installer dans cette maison en bordure de forêt. Mais ma timidité était telle, que je préférai rester seule. Et puis, de toute manière, j'étais pour les autres la fille bizarre qui avait peur de tout, celle qui parlait dans le vide. Déjà à l'époque je pouvais les voir, les entendre, les toucher comme s'ils étaient vivants. Mais la plupart du temps j'en étais si effrayée, que lorsqu'ils venaient me voir je me mettais alors a hurler et pleurer, peu importe l'endroit où je me trouvais. Pour beaucoup de psychologues j'avais simplement peur lorsque j'étais entourée. Ce n'était pas totalement faux à vrai dire. Mais ce n'était pas les vivants qui me terrorisaient. Puis, un jour, un homme défiguré et boiteux s'approcha de moi et s'adressa à moi d'une voix rauque et grasse. J'eus si peur ce jour là que je restai prostrée dans un coin de la cour de récréation sans pouvoir bouger. Ce fut à ce moment là que je rencontrai Amélia.

- Tu vois pas que tu lui fais peur Stan ? Lui dit elle exaspérée.

- Pauv' petite. Faut pas 'voir peur d'moi tu sais. Essaya-t-il de me consoler. J'suis pas bien méchant.

Elle prit mon visage entre ses mains et me dit avec un sourire bienveillant :

- Imagine le avec le nez et la perruque d'un clown !

Imaginant le fameux Stan avec son gros nez rouge et une moumoute arc-en-ciel je fus prise d'un fou rire incontrôlable.

- Ben voilà ! J'aime mieux ça ! Dit elle en souriant de satisfaction.

Stan ria avec nous. Depuis ce jour ces deux là vienrent me voir de plus en plus souvent jusqu'à ne plus me quitter. Les adultes parlaient alors d'amis imaginaire, que c'était normal. Mais lorsqu'ils se rendirent compte que cela durait au fil des années, ils commencèrent a s'inquiéter. Mais pour ma mère, j'étais victime d'une malédiction. J'incarnais le mal. Lorsque j'entrai en première année du cours élémentaire, mon père m'emmena me promener au bord du lac, accompagné de Bryan. Occupée à jouer avec Amélia, je ne me rendis pas tout de suite compte que plus loin, l'ami de mon père était lui aussi venu accompagné d'un garçon aux cheveux noirs et au teint légèrement hâlé,  un peu plus âgé que moi. Celui-ci se posta derrière moi sans rien dire pendant un moment, puis nous demanda :

- Je peux jouer avec vous ?

Amélia lui répondit avec un sourire et tous les quatre nous jouâmes sur le ponton du lac, sous la surveillance de mon père et de William. Après ce jour, Stan disparut et il ne me resta plus qu'Amelia. Avec le temps, j'oubliai qu'elle fut un esprit et commençai à la considérer comme quelqu'un de vivant. Je ne revis plus le garçon avant deux ou trois ans. Jusqu'à cet incident. Nous nous retrouvâmes sur le ponton du lac, comme la dernière fois que nous nous étions vus. L'orage menaçait au loin et l'ambiance se fit de plus en plus morbide. La surface de l'eau était noircie par le ciel et quelques gouttes de pluie commencèrent à troubler le silence. Ce jour là Stan revint me voir. Mais il avait quelque chose de changé. Il ne se souvenait plus de moi et son regard ne reflétait plus que la colère, il dégoulinait de vase et semblait avoir des difficultés a parler. La seule chose qu'il fut capable de dire fut :

- Tout ça, c'est de ta faute !

Je fus pétrifiée. Amélia tenta de le calmer et le garçon dont j'avais oublié le nom se posta devant moi. Il me prit la main d'un geste rassurant tendis qu'un vent chaud et violent commençait a souffler, et me tira avec lui dans une course effrénée à travers les bois, se retournant de temps en temps. Mais Stan n'eut pas besoin de beaucoup d'efforts pour nous rattraper et, alors qu'il se jetait sur nous, je fermai les yeux l'espace d'un instant. Lorsque je les rouvris, la pluie s'abattait avec ardeur sur nous, et le garçon  tenait son visage en sang. Amélia, qui s'en voulait terriblement, nous raccompagna jusqu'à la maison. Ce fut la dernière fois que je vis ce garçon. Et avec le temps et d'innombrables séances chez un psychologue, j'en vins a oublier cet incident et considerai Amélia comme quelqu'un de vivant. Chaque fois qu'il m'arriva de douter, je ne cessai de me répéter :

- Les fantômes n'existent pas !

Ces souvenirs s'étaient précipités comme un flash. Et à peine eus-je cligné des yeux qu'Amélia était partie. Soudain tout eu un sens. La photo sur le réfrigérateur de Wilson, son oeil, l'animosité de ma mère et la protection d'Amélia à mon égard. Je restai immobile un instant, le temps de remettre mes pensées en place.

- Vous allez bien ? Me demanda Wilson inquiet.

Je me tourna lentement vers lui. Les larmes avaient commencées a couler sur mes joues. Je caressai le dessous de son oeil aveugle avec toute la délicatesse dont je fus capable et ne fut capable que d'articuler :

- C'était toi !

Secrets ( 1ère Partie )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant