Mon mal de cou s'accentue de nuit en nuit. A chaque réveil, je ressens une tension supérieure s'exercer sur mes muscles. Il faut dire que les nuits commencent à avoir une saveur amère. Je suis sorti du cabinet hier soir à vingt heures. Je savais, en montant les escaliers, que je serais seul.
Depuis maintenant une semaine, Benjamin a décidé de ne plus dormir chez nous. Depuis une semaine, donc, je dors seul, en sachant qu'il est sur le canapé d'une de ses amies ou encore d'une de ses sœurs. Notre dernière discussion a été très claire et j'ai parfaitement compris que, pour l'instant, je n'avais rien à faire.
Aussi complexe soit une telle demande, je la respecte. Benjamin a besoin de temps et de distance. La seconde lui a été familière pendant de nombreuses années. Si j'avais des difficultés à accepter de nouveaux patients à cause d'un emploi du temps trop chargé, ceci signifiait également que je n'étais que peu ici, voire en ville.
Quand j'étais présent, il m'attendait le soir avec une certaine anxiété, ignorant si je serais épuisé ou non. Il espérait que je pourrais tout de même l'écouter me raconter sa journée. J'ai toujours essayé de tenir cet engagement. D'ailleurs, il ne m'a jamais reproché mes choix professionnels.
Quelque part, au moment de notre rencontre puis de notre mariage, Benjamin savait qu'il prenait un risque. Me suis-je trop appuyé sur cette idée ? Je l'ignore. Je n'ai jamais annulé nos déjeuners, nos rendez-vous ou nos week-ends. Je me suis toujours promis d'en faire ma priorité.
Cependant, la priorité au sein du temps libre ne suffit pas toujours. Je n'ai pas de message de mes patients en-dehors de nos rendez-vous, mais j'ai parfois dû placer quelques personnalités politiques tard dans la soirée pour éviter que leur présence ne soit aperçue par les médias ou par d'autres patients dans la salle d'attente.
Benjamin et moi sommes mariés depuis maintenant onze ans, quelques mois après mon installation en tant que libéral. La stabilité nous avait rassurés et nous nous étions offerts un beau mariage ici même. Benjamin avait l'habitude, alors, de descendre sur ma pause déjeuner pour me voir.
Bien évidemment, ces déjeuners n'étaient possibles que lorsqu'il n'était pas en mission. Sa profession nécessite une inspiration que j'admire, puisqu'il conseille les organisations en pleine transition de marque ou stratégique pour que leur design, leur image ou encore leur logo soient les plus adaptés.
En somme, mon mari oscille entre management et graphisme, entre gestion et stratégie. La multiplicité de ses activités et de leurs implications m'a toujours fasciné, tout en me laissant tout à fait extasié devant sa capacité à naviguer entre chacune d'entre elles. Je suis convaincu que ses clients sont chanceux.
Nos rythmes ont donc longtemps été synchronisés : tous deux particulièrement mobilisés la semaine, tout en ayant l'esprit embrumé le soir et le week-end par des activités intellectuelles dont nous avions du mal à nous défaire. Puis, Benjamin, grâce à ses qualités, a pu évoluer.
Très rapidement, le consultant est devenu conseiller, puis directeur d'une grande partie des travaux. Son ascension professionnelle ne lui a pas permis, contrairement à ce que nombre de mes patients pensent d'ailleurs, d'être heureux. Au contraire, il a rapidement senti que sa place n'était pas à de telles fonctions.
Il a donc quitté l'entreprise qui l'employait pour ouvrir son propre cabinet, dans lequel il est à la fois le chef et l'artisan. Il s'est entouré d'une petite équipe, mais il a conservé l'essentiel de ses clients et continue à jongler entre les activités managériales et artistiques. Sans doute les dernières lui manquaient-elles bien trop.
En conséquence de ce choix audacieux, et grâce à mon salaire ainsi qu'au sien lors de ses précédentes fonctions, Benjamin a pu diminuer son rythme professionnel. J'étais moi-même en plein pic quand il a pris cette décision. Elle a assurément guidé la mienne : je souhaitais moi aussi regagner une forme de sérénité.
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Le Saint Ange (BxB)
General FictionAlban, psychiatre, connaît un certain succès avec son cabinet. Ses patients sont plus ou moins connus et plus ou moins reconnaissants. Mais le succès professionnel ne se suffit pas à lui-même. Un patient difficile, une vie privée qui s'effrite, Alba...