La soirée passée avec Sébastien fut douce et calme. L'étrange sensation d'un autre homme dans cette demeure a rapidement été balayée par l'échange honnête, sans détour, sans arrière-pensée qui s'est développé. Je l'ai recruté pour cette raison. Je l'avais senti, je l'avais perçu.
Derrière l'humour, derrière le jeu de mot apparait une fluidité que le concerné craignait ne pas connaître. Son obsession pour sa prédécesseure commence doucement à s'éteindre, laissant peu à peu la place à une confiance en lui. Elle est indispensable pour que les patients la perçoivent.
Je suis convaincu que le cabinet entier participe à la thérapie. Dès leur entrée dans l'immeuble, ils doivent se sentir en sécurité. Dès qu'ils franchissent le pas de la salle d'attente, il faut les rassurer, les accueillir, leur rappeler que rien ne peut arriver ici. Tout n'est qu'une enveloppe protectrice.
Je me suis toujours assuré que cet environnement se développe jusque dans mon bureau, jusque dans l'image qu'ils peuvent avoir de moi. Comme si entrer dans l'immeuble revenait à accueillir une sorte de matière ni solide ni liquide qui viendrait entourer le corps et l'esprit. Une enveloppe qui apparaîtrait pour rassurer.
Certains diront qu'il s'agit d'une aura, d'une projection mentale ou d'une forme de spiritualité. Je ne les contredirai pas et laisserai chacun choisir son inspiration. Qui serais-je pour donner un avis sur ce qui relève de la profondeur de l'esprit et de l'âme. Mon avis est réservé aux questions médicales.
Toujours est-il que l'échange d'hier soir avec Sébastien fut salvateur. Une forme de seconde rencontre indispensable à la construction d'une relation professionnelle saine mais complice. Il comprend qu'il ne me dérange pas, qu'il peut me solliciter sans problème entre deux patients.
J'ai appris à le connaître, de la même manière qu'il a pu percer au jour les difficultés que je peux rencontrer de mon côté. Inutile de rappeler que Benjamin demeure toujours aussi silencieux, tandis que je m'efforce de ne pas laisser mon esprit divaguer. Aucun scénario n'est pertinent quand il s'agit de penser à l'amour.
Sébastien a quitté mon domicile vers vingt-deux heures. Je me suis assuré de lui commander un taxi, refusant qu'il rentre en transports en commun après quelques verres de vin et à une telle heure. Après tout, la proposition venait de moi. Il accepta sans même feindre une gêne.
Quant à moi, j'ai relu les notes de ma journée pour tenter d'éclaircir quelques enjeux ouverts par mes patients. Rien de bien concluant n'émergea, alors je laissai définitivement le travail quelques étages en-dessous pour me concentrer sur ma propre vie personnelle, intime, libidinale.
L'absence de Benjamin se projette évidemment sur tous les aspects de ma vie, de mon corps. La légère ivresse d'une nuit il y a quelques temps n'a pas suffi. J'ai donc succombé à de vieilles pratiques, que je n'avais pas connues depuis de nombreuses années, même si elles n'ont rien de bien surprenant.
Une fois cette tâche accomplie, comme si elle avait été cochée sur mon agenda, j'ai, sans aucune forme de conscience, pris une douche, me suis brossé les dents. J'ai regardé mon reflet dans le miroir, alors que les murs noirs qui entourent notre salle de bains ne peuvent que souligner la blancheur de mon corps.
Je me suis observé, satisfait de mon corps pour un quarantenaire. Point de flatterie, une simple acceptation du temps qui passe. J'ai compris avec le temps que ce qui ne me plaisait pas pouvait plaire. J'ai accepté les quelques imperfections qui ne me convenaient pas. Je les ai laissées de côté et désormais je me surprends à les apprécier.
Ce grain de beauté, cet excès de gras, ce muscle étrangement proportionné, tous ne sont désormais que des détails desquels je me défais bien volontiers. J'espère garder cette attitude aussi longtemps que possible. L'inspection menée, je me suis allongé et j'ai laissé libre cours à mes pensées.
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Le Saint Ange (BxB)
General FictionAlban, psychiatre, connaît un certain succès avec son cabinet. Ses patients sont plus ou moins connus et plus ou moins reconnaissants. Mais le succès professionnel ne se suffit pas à lui-même. Un patient difficile, une vie privée qui s'effrite, Alba...