« Que dois-je comprendre de ces remerciements si appuyés ?
— Même si vous m'avez raccompagné jusqu'ici, même si vous m'avez laissé l'opportunité d'entrer dans votre esprit de manière temporaire dans cette église, rien ne me garantissait que nous pourrions nous revoir.
— Malgré mon numéro de téléphone, mon lieu de travail ?
— Vous n'imaginez pas le nombre de personnes qui, à un moment ou à un autre, se dérobe.
— Sans doute par déformation professionnelle vous aurais-je dit la vérité si je n'avais pas eu la volonté de vous revoir.
— Vous savez donc pourquoi je vous remercie.
— Je prends bonne note de votre sensibilité sur ce point.
— Effectivement, je retrouve là votre posture professionnelle ».
Je laisse échapper un petit rire jaune. Il n'a pas tort, j'ai effectivement eu un réflexe peu habituel pour un tel contexte, au sein d'un bar.
« Disons que c'est une mauvaise habitude. Par sensibilité, je pensais surtout à l'importance que ce manque de politesse et de bienveillance peut avoir pour vous. Rappelez-vous, désormais, c'est à moi d'apprendre à vous connaître.
— Joli rattrapage. Dix sur dix aux Jeux Olympiques.
— Ne soyez pas moqueur.
— Pardon, alors, Alban ».
Saisissant son verre, il me sourit avec une sincérité que n'importe quel client pourrait percevoir. Le choc des deux matériaux fragiles m'oblige à moi aussi consommer mon jus de fruits.
« Avez-vous vu votre mari depuis samedi ? ».
La question est ironique. Je pense à nos moments charnels, à notre discussion, à notre décision étrange. Je sens ma tête s'alourdir alors je ne peux que la relever pour affronter l'interrogation.
« Il est actuellement en train de transférer quelques-unes de ses affaires. Nous avons décidé de divorcer, tout en restant en bons termes.
— Il déménage pendant que nous sommes ici ? ».
J'éclate de rire. Effectivement, la logique voudrait que Benjamin soit en train de préparer son départ. Non, il est en plein retour. Le regard perdu de Nathan m'oblige à expliquer mon comportement.
« Il ramène chez nous ce qui lui manquait. Nous ne nous séparons pas en de traditionnels termes. Notre relation s'est raffermie depuis que nous avons compris que nous n'avions plus à être mariés. C'est étrange, je le sais. Mais disons que nous nous sentons libérés.
— Un peu comme quand je vous ai trouvé dans l'église : vous aviez compris, vous étiez délesté d'un poids invisible.
— C'est une synthèse à laquelle je souscris.
— Au fond, c'est beau. Beau de savoir que l'on peut se séparer sans pour autant que tout vole en éclats.
— J'imagine que ceci n'est possible que lorsque la relation que vous entretenez avec l'autre dépasse le seul stade marital ou affectif. Quand tout se mélange, l'affection, l'amitié, l'amour, le désir.
— Je m'en réjouis pour vous, en tout cas.
— Si cela ne vous dérange pas, nous pourrions peut-être nous tutoyer. Je sais bien que nous avons un léger décalage d'âge, mais...
— Avec joie, ça devenait compliqué... ».
Joignant le geste à la parole, Nathan en profite pour boire une gorgée et retirer un des boutons de la chemise blanche. Rien de bien extravagant puisqu'il s'agit d'un bouton que je n'ai moi-même plus depuis longtemps. La musique prend quelques décibels, nous obligeant petit à petit à augmenter le volume de notre discussion.
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Le Saint Ange (BxB)
General FictionAlban, psychiatre, connaît un certain succès avec son cabinet. Ses patients sont plus ou moins connus et plus ou moins reconnaissants. Mais le succès professionnel ne se suffit pas à lui-même. Un patient difficile, une vie privée qui s'effrite, Alba...