Chapitre 10

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Mes mains tremblent sur le bois. Ma chemise blanche boit mes larmes malgré elle. Mon torse apparaît. Il est offert aux yeux de tous, il ne peut échapper à personne. Je ne maîtrise plus l'image que je renvoie, elle appartient à ceux qui me regarderaient. Mais il n'y a personne, fort heureusement.

Je regarde vers le chœur de l'église. L'or, les pierres, les vitraux. Ils m'imposent leur divine clarté et la lueur d'un samedi matin. Je suis baigné de lumière, sans sombrer dans mes larmes. Mes mains, humides, ne sèchent pas. Le soleil ne parvient pas à apporter sa chaleur jusqu'à moi.

Je regarde sur ma droite, je regarde sur ma gauche, je ne peux rien faire de plus. La douleur est déjà trop vive. La plaie est sanguinolente, mon cœur envoie bien trop de sang vers elle. Je sens mes épaules se relâcher, elles sont libérées du poids de la réalité, qui est désormais devant mes yeux.

Je ne suis pas venu ici pour prier, ni pour être écouté. Pourtant, je suis libéré. Je retrouve peu à peu mes mouvements. Mes membres reprennent vie, en dépit de l'explosion qui vient de se produire. Malgré tout, malgré la restauration de mes sensations, la plaie béante palpite toujours.

Mon cœur envoie encore à mes yeux des signaux bien trop complexes à gérer. Mon cerveau, quant à lui, gère tant bien que mal la convergence de la lumière sur mes rétines. Les larmes ne peuvent s'arrêter. Même si je suis désormais conscient, pleinement calme, l'écoulement se poursuit.

La tête vers les statues, je souris béatement tout en sentant ce liquide salé parcourir tout mon visage. Mon cou est inondé et les dernières parcelles sèches de ma chemise sont désormais recouvertes. La musique m'emporte dans des univers bien trop ténébreux. Je me suis jeté moi-même dans le piège.

Je savais, en venant ici, que je retrouverais cette atmosphère. J'étais convaincu que je serais ravagé par la douleur et par la vérité. Je devais me sacrifier pour y parvenir. Il fallait que l'un de nous le fasse avant d'être engloutis. Mes larmes sont mes bouées de sauvetage. Il faut nous sauver.

Je suis heureux que nous ne nous soyons jamais fait souffrir de la pire des manières. Il n'y eut jamais d'adultère, jamais de blessure vive. Pas d'attaque à jamais assassine. Simplement le temps qui a abattu petit à petit ce qui nous réunissait. Il ne faudrait pas pleurer, il faudrait se réjouir.

Mon corps m'est peu à peu restitué. Je commence à retrouver l'usage de mes doigts, de mes yeux. Ils s'arrêtent enfin de laisser tomber les péchés de l'univers pour retrouver leur fonction initiale. Je voudrais simplement que sèche cette chemise désormais porteuse à jamais des stigmates de cette journée.

Comme si j'avais soudainement vieilli de plusieurs décennies, me lever du banc me semble plus difficile que prévu. Je dois patienter, apprendre à domestiquer une machine qui a soudainement appartenu à une force supérieure. Celle qui m'a libéré du calvaire dans lequel je m'étais enfermé.

Ma tristesse est à la fois immense et ridicule face à la douleur. Sous ma côte gauche, je sens une tension. Ma main y plonge, comme si un poignard s'y enfonçait. Les yeux encore complètement éteints, je ne distingue sur mes doigts qu'une tâche rougeâtre. Du sang ? Je perds la raison.

L'expérience de nouveau répétée, je me rassure : mes doigts sont secs. Mon attention est détournée. Quelques notes d'orgue commencent à se répandre dans l'église. Je ne rêve pas, non, j'entends le vieil orgue s'activer. Une fugue, un jeu rapide avec les notes. Je sors de ma torpeur et me retourne.

Impossible de voir davantage que la rosace de l'église. Je ne peux que me laisser aller à l'écoute. Les vitraux s'imposent à moi. Je renonce et entends la poésie jouée pour mes oreilles. Je tremble face à une telle rapidité. L'émotion me gagne de nouveau et je ne peux résister. Je tente de me lever.

Le banc devant moi fait un fracas monstre. Les notes s'arrêtent. Une porte claque. Je suis triste. Je n'entends plus que les quelques morceaux joués par les enceintes. Rien de comparable à ce qui, pendant quelques minutes, fit mon bonheur. Je me rassois et attends, sans rien espérer.

Je ferme les yeux et tente de laisser mon corps se reposer. Je ne pleure plus, je n'ai jamais saigné, tout ira bien. Le crochet ferrailleux de l'entrée est cependant bougé. Je trouve la force mentale et non physique de me retourner. Le soleil m'empêche de voir ce qui est en train de se passer.

Je suis soumis à la lumière solaire qui vient soudainement d'offrir à cette église un tapis rougeoyant. Je ne suis désormais plus le centre de l'attention. Non, les faisceaux des vitraux, l'or, les rayons du soleil, tous se concentrent en un point. Je suis aveuglé par une silhouette qui avance vers moi.

Je n'ai plus le temps de m'enfuir, je ne peux qu'accepter mon sort.

« Monsieur ? Tout va bien ? ».

La porte de l'église se ferme petit à petit. La lumière disparaît. Je ne peux que découvrir l'individu devant moi. Je ne lève pas encore la tête.

« Je suis désolé, je pensais être seul ... Sinon ... Je ne me serais pas installé à l'orgue... ».

Une silhouette tout à fait inconnue se dresse devant moi. Je dois faire face. Je pose la main sur le banc et lève la tête. Un jeune homme m'observe.

« Ne soyez pas désolé. Reprenez. S'il vous plaît ».

L'étranger m'observe avec surprise. Quelle image doit-il observer. Un homme, en costume, à la chemise à peine séchée.

« Avec plaisir, Monsieur ».

J'entends ses pas enjoués s'éloigner. Il accélère le rythme. La porte s'ouvre, il monte des escaliers. Les notes reprennent. Des minutes durant, l'orgue baigne de sa splendeur l'église devenue dans mon esprit cathédrale. Le génie musical rejoint le génie architectural. Je pourrais rester ainsi des heures.

La lumière est désormais accompagnée de la musique. Je peux me lever, je suis accompagné. Je parviens à me hisser jusque dans le chœur. Je vois ainsi l'homme blond de tout à l'heure jouer. Je suis debout, au milieu de l'église, la tête penchée en arrière pour au mieux le voir.

Je tremble de nouveau, cette fois-ci subjugué par les tuyaux de l'orgue. La musique s'arrête petit à petit et, cette fois-ci, j'apprécie le spectacle qui s'offre à moi. L'organiste refait son entrée angélique, baigné de lumière.

« Vous appréciez l'orgue ?

— Bien plus que vous ne pouvez l'imaginer. Je suis navré de ... ceci. »

Je ne termine pas ma phrase et m'observe moi-même. Quelques parties de la chemise sont encore humides.

« Vous êtes venu ici peut-être pour cela. Même si, en général, on ne vient pas en costume ».

Il m'offre un sourire sincère et franc, tandis que je descends les marches du chœur pour éviter que nous ne soyons à des hauteurs différentes.

« Vous ne pouvez imaginer à quel point vous avez vu juste.

— J'espère que, malgré le goût pour l'instrument, je ne vous ai pas dérangé dans vos réflexions...

— C'est plutôt moi qui vous ai importuné par ma présence. Je devrai partir pour vous laisser ici, tranquille.

— Je ne devrais pas être ici, théoriquement... Mon regard interrogateur le pousse à continuer. Je suis bénévole dans une association de restauration des monuments religieux. Nous travaillons ici et, parfois, je viens jouer de l'orgue...

— Quelles nobles activités...

— Nathan, enchanté, Monsieur !

— Alban.

— Le premier martyr d'Angleterre, qui se sacrifia pour protéger un prêtre.

— Vous avez une belle culture religieuse, de ce que je comprends ».

Il sourit et soulève les épaules. Nathan, l'un des premiers prophètes.

« J'imagine donc que vous connaissez la traduction de votre prénom.

— Évidemment ! Ce qui est d'autant plus amusant en sachant que mon nom est Trouvé !

— Saint-Ange, de mon côté ».

Nathan, le don ainsi trouvé, me serre la main, légèrement amusé.

Le Saint Ange (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant