Chapitre 29

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Je n'ai de cesse de me rappeler de cette journée. Il y a une semaine, Monsieur Lassard se montrait particulièrement réceptif à l'hypnose que je lui proposais. Dans quelques instants, il sera là, dans le cabinet, pour m'annoncer si, oui ou non, il a pu éclaircir les souvenirs émergeant dans son esprit.

Il y a une semaine, j'ai aussi pris la mesure de l'immensité de ce qui venait d'arriver. Le psychiatre que je suis, tout à la fois médecin et scientifique, rationnel avant tout, ne peut que prendre acte de ce qui advient sous mes yeux, avec moi, en moi. Le temps de l'amour est arrivé à son terme, et ce même si je ne perds pas l'homme que mon futur ex-mari était.

Surtout, il y a une semaine, j'ai compris que cette fin avait conduit à un début. Les faits sont là, ils sont devant moi, ils sont bien trop évidents. La monumentale entrée de Nathan dans cette église est devenue bien davantage qu'une métaphore. Elle est le réel, elle est palpable. Nathan est réellement là.

En une semaine nous avons compris. Le démarrage fut délicat. Après tout, ne risque-t-on pas de se brûler, d'éteindre le feu de paille à force de l'allumer avec tant d'ardeur ? Non. C'est ce que j'ai appris. Même spécialiste du sujet, ardent défendeur du concept d'intime et penseur de ce concept, je me suis laissé surprendre.

Quelle est cette chance à laquelle j'accède aujourd'hui ? Je l'ignore. Il suffirait pourtant que, de nouveau, nous nous regardions dans les yeux avec cette profondeur-là. Que rien ne bouge, que le temps s'arrête et que l'évidence fasse son œuvre. La chance, c'est celle-là. C'est celle où les questions n'ont plus de sens.

Non pas parce qu'elles n'auraient pas de réponses, mais seulement parce que ni celles-ci ni les questions elles-mêmes n'ont d'importance. Telle est l'évidence. On ne choisit pas l'intime, on le subit. Il s'impose à nous. Il faut cependant saisir l'opportunité tant qu'elle est encore vivace.

Je saisis donc mon téléphone avant que mon patient n'entre et je n'écris que ces quelques mots. Tu me manques. Je quitte mon bureau pour me diriger vers la porte, alors que Monsieur Lassard m'attend patiemment derrière. Je l'invite à me rejoindre et oublie, temporairement, mes idées.

« Dites-moi, cher Monsieur, comment allez-vous cette semaine ?

— J'y vois plus clair.

— Et puis-je vous accompagner dans cette clarté ?

— J'ai eu un souvenir précis durant la séance d'hypnose... Et je ne voulais pas vous en parler tant que je n'avais pas eu la confirmation de sa véracité.

— Qu'en est-il, alors ?

— Je me suis souvenu d'une salle au sein de laquelle j'étais seul.

— Où se situait-elle ?

— Dans la maison de mes parents.

— Il s'agit donc d'un souvenir d'enfance ?

— Oui. J'y étais seul pendant parfois plusieurs heures.

— Votre famille n'était pas avec vous ?

— Elle était partie ».

Je prends une inspiration profonde. Je crains comprendre bien trop rapidement où il veut en venir.

« Partie de la maison, donc.

— Oui. Je me suis souvenu de cela. Alors j'ai demandé à mes parents.

— Directement ?

— Oui. Est-ce que vous me laissiez parfois dans la pièce au fond du couloir ? Ils ont dit oui.

— D'accord.

— Quand je n'étais pas sage, au début. Quand je les dérangeais, ensuite. Puis par habitude. Parfois par oubli.

Le Saint Ange (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant