Le Saint Ange (BxB)

Chapitre 6

Quelques jours se sont écoulés depuis la venue inattendue de Benjamin. Il est depuis retourné chez ses proches, afin de respecter le principe de la trêve qu'il avait souhaitée. Le retour du départ était logique, légitime et attendu. Mon silence cachait à peine mon acquiescement.

Prendre de telles décisions implique pour nos vies de profondes et réelles répercussions, au niveau matériel, au niveau mental, au niveau physique. La fissure de l'autre nuit ne signifie pas que la vie reprend et qu'il faut balayer l'épisode difficile. Elle peut être une lueur d'espoir, c'est vrai, mais ne demeure pas plus qu'un brasillement.

J'ai donc repris le cours de ma vie sans Benjamin comme si la parenthèse étincelante n'avait pas été. J'ai appris qu'il avait approché quelques confrères psychiatres, dans l'attente que l'un d'entre eux daigne accepter sa demande. Je ne suis pas le seul à avoir des difficultés à accepter de nouveaux patients, assurément.

Je l'ai invité à ne pas désespérer, à ne pas se résigner. Il doit persévérer s'il souhaite réellement mener un travail profond sur lui. Dans mon esprit, nous observons en ce moment un moratoire, nécessaire pour que chacun puisse cheminer. Je crains simplement que Benjamin ne soit convaincu que sa décision sera suivie d'une acceptation.

Suspendre, malgré l'accroc récent, notre relation n'implique pas que j'accepterai de revenir. Je respecte mais je prends aussi acte de la réalité. Je la vois et je l'affronte. Tout ce qu'elle crée chez moi implique aussi une réflexion, des mutations, des modifications. Si Benjamin revient en pensant que rien n'aura changé, il aura tort.

Je compte sur son futur nouveau thérapeute pour lui faire comprendre. Si jamais tout ceci n'advenait pas, alors je devrai m'en charger. J'ignore quel sera l'avenir, quelle sera ma propre réaction. Il doit la prendre en compte dans l'équation, au risque de provoquer l'effondrement total de notre relation.

Le caractère aigu et soudain de la tension passionnelle ne cache pas la soudaineté et la profondeur du malaise de la distance. Cette suspension préserve les fondations de nos vies et de notre mariage, mais elles pourraient être sapées si jamais quelques principes simples ne sont pas respectés.

Attendre qu'il s'en rende compte n'est pas la solution idéale, j'en ai conscience. Pourtant, pour l'instant, je suis strictement incapable de lui parler de ces sujets. Tout simplement parce que je manque encore de distance, de clarté et de pleine maîtrise. Quand ce sera le cas, je n'hésiterai pas.

A vrai dire, j'ignore si ces propos sont réels ou sont une invention de l'esprit pour me préserver de l'idée effrayante suivante : même un psychiatre succombe aux bas instincts du silence et de la passivité. Nombre d'expressions françaises illustrent ce phénomène. C'est ainsi, je l'admets.

Mes pensées parasitent mon action matinale alors que je suis attendu. Je termine donc mon café et, rapidement, j'enfile une chemise blanche et mon costume marron. Mal rasé, je me moque de mon apparence puisqu'aucune captation vidéo n'est attendue pour mon intervention. Seule ma voix portera.

Le taxi commandé par la station de radio est déjà arrivé quand mon ascenseur sonne le rez-de-chaussée. Je m'empresse de monter et attends patiemment qu'un autre immeuble en verre m'accueille en son sein. Je n'ai guère besoin de préparer cette émission puisqu'il s'agit de parler d'un sujet que je maîtrise.

Je suis installé, seul, dans une salle sombre, dans l'attente que l'animateur de l'émission daigne m'honorer de sa présence. Les lumières progressivement s'allument alors que deux personnes entrent. Nous nous installons et, soudainement, la musique est lancée. Je comprends que je devrai parler sous peu.

« Bienvenue à celles et ceux qui nous rejoindraient en cours d'émission ! J'accueille désormais le Professeur Saint-Ange, psychiatre. Il nous parlera de son expérience de médecin en libéral ainsi que du thème du jour. Mais, juste avant, quelques publicités ! ».