Chapitre 5

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Une nouvelle journée débute mais, contrairement aux précédentes matinées, je ne suis plus accompagné de la seule étoile diurne. L'appartement est baigné de lumière, mais aussi de soupçons et de questionnements. Benjamin a passé la nuit ici. De nouveau donc. Il est de retour chez lui.

Après ce baiser fougueux dans mon cabinet, mon mari m'a patiemment attendu dans l'une des salles de l'étage. Il n'est pas monté chez nous, comme s'il fallait que je sois avec lui pour l'autoriser. Sa patience fut récompensée car je me suis assuré de terminer à l'heure promise, c'est-à-dire dix-neuf heures.

Grâce à Sébastien et sa prévenance désormais quotidienne, un repas nous a été livré. Nous sommes rentrés chez nous et sans attendre davantage, nous avons terminé nus sur l'un de nos sofas. Je reconnais à Benjamin une fougue que je n'avais pas soupçonnée ces derniers temps.

Qu'en dit ma libido ? Rien, elle est comblée et satisfaite. Qu'en dit mon cœur ? Que mon mariage ne semble pas encore effondré ou englouti. Que dit mon cerveau ? Que nous avons franchi une ligne jaune dans le chemin qui aurait dû nous mener à une réflexion plus saine. Que, parfois, mon patronyme n'est pas toujours adéquat.

Après cette soirée empreinte de plaisirs, Benjamin et moi avons dîné, en discutant de notre vie quotidienne ces dernières semaines. Il a donc appris que, sans lui, je n'ai finalement que poursuivi mes habitudes, continué à agir en professionnel au cabinet et en mari esseulé le reste du temps.

Quant à lui, le néant, dans sa forme la plus nue, la plus simple. L'agence a continué de fonctionner sans qu'il ne prenne part aux affaires et ses proches se sont finalement révélés tout aussi pesants que le reste de sa vie. La révélation vint alors : quand tout devient insupportable ou lasse, peut-être la conscience est-elle précisément le problème.

Même si, au fond, je ne suis pas convaincu qu'un problème germe au cœur de Benjamin. A notre âge, sans vouloir à tout prix verser dans les banalités, de tels raisonnements me semblent tout à fait naturels. Tout remettre en cause, tout questionner. Les proches disparaissent ou passent, tandis que la vie professionnelle devient le rameau salutaire.

Quand celui-ci rompt, que reste-t-il à part soi et, éventuellement, les intimes. Ceux qui savent et qui voient sans que l'on parle. La dépendance à ces intimes est insupportable, insurmontable, au premier abord. Ils sont souvent bien plus informés que nous de ce qui nous arrive.

Alors l'urgence est là : il faut échapper à leur regard, à leur jugement ou à leur propre crainte. Il faut changer de proches, changer de carrière, susciter du nouveau, innover. La crise de la quarantaine n'est pas une crise existentielle, c'est une crise de l'intime. Voilà pourquoi mes patients ont, en moyenne, cet âge.

En dépit de mes quelques spécialisations désormais bien connues, je continue en effet à œuvrer pour mon premier amour : penser l'intime. Ce qui est tout au fond, la dernière barrière. Quel mot magnifique pour désigner ce qui nous pousse à regarder à l'intérieur. L'intérieur, le dedans, le moi, là, juste ici, qui échappe aux autres.

Que se passe-t-il alors quand plus rien n'est soustrait aux autres car, de toutes manières, l'intérieur, le fond, ne les intéresse plus ? A quarante ans, l'étiquette professionnelle prend le pas sur le reste. Le couple est le passage obligé. Pourtant, en même temps, le couple n'est plus forcément refuge car les corps changent et la passion ou la tendresse ne sont plus exactement les mêmes.

Je ressens toujours une profonde tristesse quand mes patients ont mon âge. Je ne suis en rien exempt de leurs problématiques ou de leurs questionnements. Je suis ramené à mon statut de psychiatre. Nous sommes les « Saint-Ange – Ramiro ». Et mon mari est en pleine tempête personnelle.

Le Saint Ange (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant