Chapitre 23

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** En dépit du Short Edit disponible ici, je vous invite à écouter les 18 parties d'Exiles de Max Richter**


L'heure de la diffusion sonne. De mon côté, je me refuse à la visionner. Je suis donc installé sur le lit, seul, sous la couverture, peu habillé. Benjamin est devant l'écran de son ordinateur dans le salon, mais avec un casque. Je lui ai demandé cette faveur afin d'éviter toute interférence avec mon activité du soir.

J'essaie en effet, en cette période quelque peu chargée émotionnellement, de renouer avec une certaine sérénité. Je l'ai connue avec Nathan, évidemment. Un calme, une forme de légère douceur. Comme une goutte d'eau qui viendrait glisser paisiblement au lieu de s'écraser contre ma peau.

Nathan correspond assez bien à cette métaphore. Loin du supplice de la goutte d'eau, loin du torrent, loin de la vague submersive, Nathan distille une vapeur, un nuage, une humidité cotonneuse. La goutte est une plume. Dans mon esprit, il est en passe de devenir le saint ange que même moi je n'espérais plus.

Mon nom fut toujours sujet à remarques. Lorsque mon orientation professionnelle s'affina, mes confrères s'amusaient de ce choix qui, selon eux, faisait écho au caractère angélique du psychiatre, dans la protection qu'il apporte et dans l'espoir qu'il peut conférer à ses patients.

En soi, je comprends avec le recul leur ironie. Du moins, je croyais qu'il s'en agissait. En réalité, l'ange, dans ce qu'il a d'annonciateur, de révélateur et parfois de providentiel, est bien aux côtés de celui qui l'écoute. Dans un sens, alors, je le reconnais, un psychiatre ressemble parfois à cette figure spirituelle.

Qu'en est-il alors de Nathan ? Peut-être réussit-il aujourd'hui ce que tous les superviseurs que j'ai pu connaître n'ont jamais pu atteindre. Il faut dire que lui, contrairement à eux, dispose d'armes bien plus efficaces. La proximité, la sincérité, l'échange, le partage. Par définition, aucun autre psy ne peut l'apporter.

A cette heure, donc, alors que mon propos fait éminemment référence à tous ceux qui sont dans ma vie en ce moment, je fais le choix du silence mental. J'adopte en revanche une musique légère, progressive, gravissant l'escalier magistral des sons. Je ferme les yeux et pense ... à rien.

Cette séance d'autohypnose n'est en rien une première pour moi. Elle est plutôt la réminiscence d'une pratique profonde et ancrée en moi. Les vibrations de l'enceinte bercent mon corps qui, petit à petit, quitte la pleine conscience de cet appartement. Actuellement, je suis simplement dans un autre pays, dans un autre espace, dans un autre temps.

Benjamin a l'interdiction d'entrer dans la chambre tant que je ne l'y aurais pas explicitement autorisé. J'ai besoin de cette protection, de cette couverture, pour parvenir à entrer dans cette transe. La musique m'emporte malgré moi et, je le sais déjà, c'est aussi elle qui me conduira à en sortir.

Je gravis avec elle les échelons d'une pensée sauvage, d'un inconscient perdu. Je sens le sang couler progressivement de mon cœur à mes mains. Elles ne bougent pas, elles sont scellées jusqu'à ce que je me décide à les séparer. Mais, au fond, je ne le veux pas encore. C'est trop tôt.

La musique ralentit. C'est bientôt fini. Je dois sortir de la torpeur. Retrouver ma place dans le monde tel qu'il est réellement, ou du moins tel que je le perçois. Les lumières bleues et blanches se dissipent. Je suis de nouveau là, entre quatre murs, aux côtés d'un homme qui ignore que je viens de revenir.

En dépit de la reprise de mes pleins moyens, je reste silencieux et choisis de me saisir de mon téléphone qui doit déjà me conduire vers une autre musique hypnotique. Je la stoppe et constate l'heure. Plus de cinquante cinq minutes de transe. C'est une belle nouvelle. J'en avais besoin.

Le Saint Ange (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant