Chapitre 7

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Que se passe-t-il, le soir ? Que deviens-je après avoir passé la journée à écouter mes patients ? Puis-je encore écouter quelqu'un d'autre, quelque chose d'autre ? Le son d'une voix, la musique, le bruit sont-ils encore supportables ? Ne faudrait-il pas tout simplement le silence, dans la plénitude qu'il provoque ?

Ce sont des questions que je me suis longtemps posées. Et si. J'ai désormais la réponse. Benjamin n'est plus là, et je suis seul chez moi. Le silence est là, lui, fidèle compagnon qui ne demande qu'à surgir quand tout s'éteint. Le silence ne s'installe que dans le noir. La luminosité l'empêche de nous atteindre.

Tel est le cas à cet instant. Le noir, le silence, l'absence, tout est là. Ils sont là, avec moi, donc je ne suis pas seul. Je ne me sens pas seul. C'est tout ce qui compte. J'en suis convaincu depuis de nombreuses années et je n'ai de cesse de le répéter à mes patients. Ils peuvent se sentir seuls avec leur famille, avec leurs amis.

Le dire ainsi, le rappeler, est d'une tristesse infinie pour la plupart d'entre eux. Je le comprends et le concède bien volontiers. Mais telle est la tâche parfois ingrate du psychiatre. Il faut remettre le réel au cœur de la vie des patients, ce qui signifie souvent leur dire qu'ils ne sont pas seuls responsables de leur situation.

J'ai cessé de compter le nombre de patients qui, contrairement à l'imaginaire collectif, viennent à mon cabinet pour tenter de trouver une solution à leur problème. Parce qu'ils sont le problème, dans leur esprit. La plupart du temps, hélas, seul leur entourage, proche ou éloigné, peu importe, crée les situations difficiles.

L'enfer n'est pas constitué des autres. Mais les autres peuvent créer un enfer si l'on ne se protège pas. Se protéger soi avant de protéger les autres. Il ne s'agit pas forcément de se créer une carapace ou, tel un serpent, de se faufiler dès que cela est possible. Non, simplement une couche mentale supplémentaire, celle qui amortit les chocs.

On parle souvent de la plasticité cérébrale en neurologie ou en psychiatrie. J'aime voir cette peau mentale comme une matière malléable, résiliente, sur laquelle tout rebondit. Je préfère le rebond à l'écoulement. Il ne faut pas laisser s'écouler les problèmes. Il faut les recevoir et les renvoyer.

Qu'en est-il, actuellement, de mon côté ? La réponse est assurément simple. Je suis pris dans des sables mouvants qui vont, doucement, délicatement, me dévorer. Mes doutes commencent à prendre le pas sur mes certitudes. Il n'y a plus de compensation, et de moins en moins d'espoir.

Quel que soit le résultat du travail entrepris par Benjamin, j'entrevois le fin mot. Il se glisse dans mes oreilles, il apparaît parfois dans mes rêves. Serait-ce par crainte ou par prémonition ? Nul ne peut le prédire. Quant à moi, je sais que je m'échappe. C'est déjà une heureuse nouvelle de le constater.

Lui échappé-je également, de ce fait ? Suis-je en train d'amortir le choc, de le laisser couler ou bien de rebondir ? Dans un appartement vide, les lumières éteintes, dans un silence épouvantable, je ne parviens pas à trouver la réponse à ces questions. Et je suis forcé à l'accepter.

Peu à peu, le vent se lève, annonciateur d'une pluie vive qui vient frapper les fenêtres. Cet immeuble est fort heureusement construit de telle manière qu'aucun ressenti ne puisse perturber la vie de ses occupants. A cet instant, pourtant, j'aimerais que tout bouge, tout me ramène sur terre.

Je me suis refusé tout verre d'alcool ce soir. Je suis convaincu que l'état second dans lequel je suis actuellement plongé n'aurait été qu'aggravé par les émanations d'éthanol. A défaut de sentir contre moi les perles de pluie s'écraser contre une peau qui régule assez mal la chaleur, je m'enferme dans la salle de bains.

Dans la douche, je laisse l'eau s'écouler de mes cheveux jusqu'à mes jambes. Petit à petit, je sens ma température corporelle s'abaisser, me permettant alors de retirer quelques degrés supplémentaires. Ainsi de suite, jusqu'à ce que l'eau ne soit trop froide pour être tolérable.

Le Saint Ange (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant