Chapitre 11

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   Ça y est, m'y revoilà. Comme dès que j’ai un moment d’inattention ou de faiblesse, je suis plongée dans le même rêve. Dans le même cauchemar. Dans le même souvenir. Et ça se passe tout le temps de la même manière.

   Je suis au milieu de rien. Il fait tout noir. Seule ma silhouette est là. Puis, une porte apparaît. Elle est verte foncé. Je ne maîtrise pas mes mouvements et l'ouvre. Derrière se trouve une petite fille de 10 ans à peine. Moi... On était encore pendant les vacances de Toussaint. Je venais de déménager à Landogne. J'étais triste car j'avais dû quitter tous mes amis. Surtout pour Anaëlle et Dave. Mais je n’avais pas la tête à me morfondre dans mon coin : j’étais excitée car dans la semaine qui allait arriver, ce serait ma rentrée dans ma nouvelle classe de CM2.

   J'étais surexcitée même, et je courrais partout. Mes parents, qui ne voulait pas que je réveille d’une sieste ma petite sœur qui n'avait encore que cinq ans, m'avait envoyée jouer dans le parc. Je le connaissais déjà par cœur pour y avoir passé la majeure partie de mes vacances, pendant que mes parents géraient le déménagement. J'avais donc traversé la rue et je m'y étais rendue. Comme toujours, il n'y avait pas un chat. Cet endroit n'était pas très fréquenté vu le petit nombre d'habitants. Il n'était pas très grand non-plus : une superficie d'une vingtaine d'hectares. Il formait un rectangle que l'on pouvait traverser avec un petit chemin en gravier, mais dès que l’on s’écartait du sentier, on découvrait un petit étang. A ses bords était planté un magnifique arbre recouvert de feuilles vertes et de petites fleurs blanches. Il y en avait tellement qu’il m’était impossible de distinguer le tronc derrière cette masse végétale. Peut-être était-ce un cerisier, mais ils n’étaient jamais aussi grand : celui-ci atteignait presque les quinze mètres. Et ils n’étaient pas sensés fleurir à cette époque de l'année. Il était comme un phare parmi les autres arbres aux feuilles rougeoyantes. Certains commençaient même à les perdre, lui semblait dans son plus beau mois de printemps.

   J'ai sorti le cerf-volant que j'avais emmené. C'était mes amis qui me l'avaient donné avant mon départ, pour l'anniversaire de mes dix ans. Je l'ai déroulé doucement et j’ai attrapé les manettes. Je l’ai lancé en l'air le plus fort que j'ai pu. La troisième fois, j'ai réussi à courir assez vite en arrière pour le faire voler. Je lui ai fait faire des figures dans le ciel pendant de bonnes minutes.

   Puis, un coup de vent inattendu l’a fait atterrir profondément dans le cerisier. J’ai eu beau tirer dessus, je n’ai pas réussi à le décoincer. Il faisait tache avec ses couleurs vives au milieu des fleurs pale. J'ai eu très peur car je savais que mes parents allaient me gronder. J’ai donc eu la mauvaise idée d'escalader cet arbre. J'ai vérifié qu'il n'y avait personne pour me voir, je me suis agrippée à la première branche en sautant, et j'ai grimpé, le long du tronc.

   Plus je montais, plus l'odeur et les gouttes de sève augmentait. Je me suis arrêtée en milieu d’ascension, j’ai regardé le sol, puis mon jouet, et je me suis décidée à poursuivre, ignorant ma peur. En plus du besoin de le récupéré, il y avait ce que j’ai assimilé à l’adrénaline qui coulait dans mes veines et m’encourageait. En quelques minutes, j'étais arrivée au niveau de mon cerf-volant, tout en haut. A part mon cerf volant et les branches des arbres, je ne voyais que le blanc des fleurs. Je me serais presque crue dans un petit nuage. Le vent décrochait des pétales qui tourbillonnaient autour de moi et faisait tanguer l'arbre. Où étais-ce le monde qui bougeait ? J'étais très excitée et j'avais des frissons. La beauté de cet univers à part entière qui m’entourait recouvrait tout le danger d’y être sans précautions ni expérience. Bien sûr, je n'étais jamais monté aussi haut, et si mes parents l’apprenaient, je serais dans de beau draps ! Je devais faire vite. J'ai pris une grande inspiration, et je me suis penchée vers mon jouet. Je suis avancée petit à petit, prudemment. Je sentais la branche sur laquelle j'étais debout plier sous mon poids. Étant toute proche, j'ai tendu mon bras. Il manquait encore quelques centimètres, alors je me suis inclinée vers l'avant. Mais je n’ai pas eu assez de force, ma main a lâché la branche à laquelle je m’étais agrippée et j’ai basculé en avant.

   Tout n’a duré qu’un instant. Dos au sol, j’ai juste crié, comme un ultime réflexe de survie. Après, une chose s’est produite et elle a changé ma vie à tout jamais. En un instant, les branches et les racines du cerisier se sont enroulés autour de mon corps, pour stopper ma chute à quelques mètres du sol. Cet arrêt inespéré ma coupé le souffle. Je n’osais à peine respirer, encore moins bouger. Lentement, en grinçant, l’arbre m’a reposer délicatement par terre avant de reprendre sa position initiale comme si rien ne s’était passer. Je suis restée un moment silencieuse et sans ciller, jusqu’à avoir une crampe au bras. Puis, je me suis relevée en continuant de fixer l’arbre. Je n’en revenais toujours pas d’être en vie.

   Pendant que je secouais mes vêtements pleins de brindilles, je me suis souvenue de tous les contes que mes parents m’avaient lu où dans les arbres vivaient des esprits. J’ai dévisagé le tronc mais l’écorce ne me révélait aucun visage. Je suis restée confuse… Je n’arrivais pas à déterminer clairement ce qu’il c’était passé. Etait-ce moi qui avais fait ça ou ce cerisier qui m’avait sauvé ? Pour répondre à cette question, l’idée m’est venue de faire descendre mon cerf-volant qui était toujours coincé dans l'arbre. J’ai commencé à m’agenouiller entre ces racines noueuses, puis lui ai demandé comme si je lui adressais une prière :

-S’il vous plaît, ô grand cerisier. Excusez-moi si je vous ai dérangé mais pourriez-vous me rendre mon cerf-volant. Et je ne vous embêterais plus c’est promis.

   J’ai attendu plusieurs minutes, en tentant avec d’autres formulations mais aucune de fonctionna. Plan et deux. Je me suis levée en reculant de plusieurs pas pour bien voir mon jouet qui n’avait pas bouger d’un pouce. J'ai tendu mes mains vers lui, et j’ai attendu, sans plus de résultat. Je commençais à me demander si je n’avais pas halluciné. Je me suis mise à marcher en long et en travers, jusqu’à trébucher. Alors que j’aurais dû m’étaler sur une racine, celle-ci c’est amolli en amortissant ma chute. Je me suis redressée et j’ai inspecté l’écorce de plus près. Elle avait pourtant un aspect parfaitement normal quand je la touchais avec ma paume.

   Je me suis à nouveau éloignée et me suis assise par terre, en regardant fixement mon jouet dans l’arbre. Pendant un temps que je n’ai pas su déterminer, j’ai examiné le cerisier jusqu’à avoir chaque petit détail imprimé sur ma rétine. Puis, comme un instinct qui venait de se révéler, j’ai su comment procéder. J'ai tendu lentement mon bras et j’ai fermé les yeux pour me concentrer. J’ai visualisé un fil qui partait de mes doigts et rejoignait mon cerf-volant, puis qu'il se rembobinait en revenant vers moi.

   J’ai sentis comme un courant électrique me traverser, ainsi qu'un frottement dans ma main droite. Lorsque j'ai soulevé mes paupières, mon cerf-volant s’y trouvait. J’ai poussé un cri de joie en sautant partout, puis j’ai regardé autour de moi. Heureusement, il n'y avait personne.

   Je suis rentrée en courant chez moi, me promettant de revenir dès le lendemain pour continuer mes expériences et de ne rien révéler à personne.

Naléiss FreedsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant