Chapitre 13

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   Ça a été comme ça jusqu'en quatrième. Jusqu'à ce que je rencontre Nelly.

   La première fois que je l'ai vu, c'était pendant les vacances de Toussaint, par ma fenêtre, dans le jardin des nouveaux voisins. Elle était là, allongé sur l'herbe malgré la fraîcheur du soir, la tête sur ses mains. Elle admirait le ciel. Mais sa mère l'a appelé d'une voix en colère, ce qui l’a fait se lever avec un soupir. Elle avait jeté un dernier coup d'œil dehors avant de rentrer chez elle par sa porte-fenêtre.

   Je l'ai revue une semaine plus tard, dans le bus qui nous emmenait au collège le jour de la rentrée. Il était encore tôt, le soleil était en train de se lever. Mais aujourd'hui, il avait décidé de s'embrasser : un éclat rouge sang montait jusqu'en haut du ciel. Je restais bouche bée devant un tel spectacle. Mais j'avais l'impression d'être la seule : les autres passagers (qui étaient pratiquement tous des collégiens, ou des lycéens) discutaient entre eux, ou étaient sur leur téléphone. Personne ne regardait la beauté de ce qui se trouvait de l'autre côté de la fenêtre. Personne sauf elle. Nelly. Elle avait un coude sur le rebord de la vitre, et la tête posée dans le creux de sa main.

   Elle paraissait hypnotisée. Je l'ai observé du coin de l'œil pendant tout le trajet, en me demandant quel genre de fille c'était. Ses cheveux étaient châtains, tenus en queue de cheval haut. Elle avait de grands cils autours de ses yeux bleus. Elle portait un pull tricoté gris avec une jupe qui allait jusqu'à ses genoux. On ne voyait pas ses jambes qui étaient couvertes par des collants noirs épais.

   Une fois arrivé à notre arrêt, elle a détourné les yeux en croisant les miens. J'ai baissé immédiatement le regard, comme prise la main dans le sac, mais j'ai remarqué qu'elle semblait presque amusée. Elle a fini par disparaître à grand pas dans la rue qui menait à l’établissement.

   Et une fois arrivé en classe, je ne dis pas quelle a été ma surprise quand je l’ai découverte adossé au tableau, en train d'attendre. Comme pour moi en CM2, elle s’est présentée : son nom était Nelly Stimax, elle avait quatorze ans, et venait de la petite ville de Lorince. Elle a eu également le même blabla de la prof de math, qui demandait que l'on soit gentil et prévenant avec elle. Puis, Nelly est venue s'asseoir à la seule place libre : au troisième rang, côté fenêtre, près de moi.

-Bonjour voisine, m'a-t-elle salué.

   Je me suis demandée si elle me disait cela vis-à-vis que l'on soit voisine de chaise ou de maison. L'avait-elle seulement remarqué ?

-Comment tu t'appelles ? a-t-elle reprit.

-Naléiss, ai-je répondu sans entrains.

   Nelly n’a pas persisté et n’a plus rien dit de plus jusqu'à la fin de l'heure. Malheureusement, dans la plupart des cours, j'étais seule à ma table. Je me suis donc retrouvée avec elle, choix des professeurs qui devaient sûrement espérer que nous créerons des liens. Mais ça faisait deux ans et demi que j'étais réticente à me lier avec les autres, et ça ne changerait pas aujourd'hui. Je savais que ça ne pouvait que finir mal.

                                                            *

                                                      *        *

   On était jeudi et, comme le mardi, j'avais deux heures pour manger. Alors, j'ai décidé comme à mon habitude, de filer en douce après avoir mangé : je me suis dirigée vers le grillage blanc d'environ deux mètres, dans un coin de la cour, et je l’ai escaladé sans difficulté. J'ai traversé la ville en quelques minutes pour arriver au complexe sportif. Je me suis rendue au pied d'un chêne, et j’ai grimpé sur les trois premières branches. Une fois assez haute pour être dissimulée par le feuillage, je me suis assise à califourchon, dos contre le tronc. J'étais maintenant tranquille pendant plus d'une heure... D'ordinaire, je lisais ou somnolais sans que personne le vienne me déranger ou m'approcher. J'étais inexistante... 

Naléiss FreedsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant