Chapitre 36

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   Ça avait pourtant bien commencé… Cependant à ce moment précis, on ne pouvait pas dire que je maitrisais la situation. Si la salve de balle qui fonçait sur moi me semblait aller au ralenti, je savais parfaitement que je ne pourrais pas l’esquiver. Mon adversaire, posté en haut de l’immeuble d’en face, avait très bien calculé son coup. Les projectiles étaient chacun espacés d’une distance précise, ne me laissant aucune échappatoire. Mais en même temps, j’étais sûre que si je ne bougeais pas, ils ne feraient que me frôler. Je n’étais pas la cible, je ne rapportais aucuns points contrairement aux deux bulles jaunes qui flottaient tranquillement au-dessus de ma tête. Toutefois, je devais les défendre coûte que coûte. Il m’était impossible de m’écarter sur les côtés ni même de me jeter en arrière, les balles allaient bien trop vite. Il ne me restait plus qu’une solution, aussi bête et risquée qu’elle soit.
   J’ai levé les mains, en même temps d’arrêter mon recouvrement général, pour le concentrer uniquement sur mes paumes. Le choc a été brutal. Tout s’est tout de suite accéléré. L’élan des balles m’a fait décoller en arrière. Comme les pièces étaient symétriques, il y avait une fenêtre derrière moi. Je suis passée par-dessus le rebord et suis tombée du huitième étage. J’ai essayé de diriger ma chute comme je le pouvais avec la lévitation, mais je ressemblais plus à un oisillon apprenant pour la première fois à voler.
   J’ai tout de même réussi à atteindre une fenêtre d’un autre immeuble. J’ai atterri dans la pièce avec une roulade peu contrôlée avec de me plaquer contre un mur pour éviter de redevenir une cible facile. La pièce était comme celle d’avant et comme toutes les autre : vide, carré, avec une ouverture en guise de fenêtre sur chaque paroi. Adossée au mur, j’ai déplié mes doigts en les frottant sur mes jambes. Crispées, mes mains ont fini par s’ouvrir, faisant tomber avec un bruit caractéristique deux balles sur le sol. J’ai inspecté l’état de mes paumes. À part une vilaine brûlure et un gros hématome, je m’en sortais plutôt bien. J'ai entrepris de soigner rapidement mes blessures, le temps d'établir un plan d'attaque, pour retourner la situation. Ça avait pourtant bien commencé…
   J'avais commencé cette seconde épreuve au centre du stade, au côté de mes six adversaires. Puis, on nous a annoncé que l'on disposait d'une minute pour se disperser avant le début de l’épreuve. Un quartier entier formé de bâtisses du ksar, à l’architecture traditionnelle berbère avait été reconstitué sur tout le terrain. Il était composé de tours d’angles carrées de différentes hauteurs mais toutes étaient faites en pise, un matériau composé de terre compressé et d'argile. En poussant la porte en bois d'un petit immeuble, j'ai pu voir que la pièce n’était pas meublée, ce qui faisait ressortir le parquet usé. Seule une échelle en bois décorait un coin pour accéder à l’étage d'au-dessus. Des ouvertures creusées dans les parois servant de fenêtre permettaient d’accéder à l’extérieur, mais elles me faisaient surtout penser aux meurtrières des châteaux fort. J'ai refermé la porte et j’ai repris mon chemin. Pour l'instant, je restais sur l'avenue principale le temps des annonces. La voix de Céleste résonnait de façon métallique dans tout le stade :
-Différentes cibles sont dispersées sur l’entièreté du terrain. Leur valeur varie entre un, cinq, dix, vingt-cinq et cinquante points suivant leur difficulté ainsi que leur rareté. Cependant attention, certaines peuvent vous réserver des surprises.
   Pause
-L’épreuve commence. Maintenant.
   Un silence modulé par les discussions du public a suivi cette déclaration, puis j'ai entendu des coups de feu derrière moi, en direction du centre. La minute était déjà passée ? Je me suis précipité vers la ruelle la plus proche et m'y suis enfoncée pour pas que l'on ne me prenne à mon tour pour cible. Après plusieurs virages, je me suis adossée contre un mur. Les règles de jeu étaient courtes… On ne savait même pas à quel moment l’épreuve s’arrêtait. Peut-être à la fin d'un chrono, ou quand l'un des joueurs aura atteint un nombre de point prédéfini ? Mais combien de temps et combien de points ? Tout devait dépendre du nombre de cibles à cinquante… En levant la tête, j'ai aperçu l'un des écrans flottant qui diffusait le jeu aux spectateurs grâce à des caméras discrètes. Il devait aussi y être affichées toutes les informations dont j'avais besoin mais il était incliné de façon à ce qu'il me soit impossible de les voir. Quelle stratégie adopter ? Trouver une planque et abattre les cibles de loin devait être la méthode la plus sûre, et je n'avais aucun doute sur le fait que certains des immeubles devaient avoir une bonne vue. Mais je n’étais pas une snipeuse. Ma spécialité, c'était plus le combat rapproché.
   Justement, j'ai perçu un mouvement au bout de la ruelle. Je me suis dirigée vers lui à pas de loup. Au carrefour, une petite sphère bleue virevoltait au raz du sol. Elle était translucide et diffusait une lueur pâle, mais semblait faite d'eau, un peu comme mon serpent que Nelly aimait tant. À cette pensée, j'ai serré les poings avant de les tendre devant moi. Des pics de pierre sont sortis du sol pour embrocher ma cible. Je n'avais plus de temps à perdre. Pourtant elle ne paraissait pas du même avis. Avec nonchalance, la bulle s'est déformée pour se dégager et reprendre son petit ballet. J’ai réessayé une attaque de flamme mais elle semblait insensible à ma spécialité. Réfléchissons. J'avais face à moi une sphère d’énergie. Allons au plus simple, on va combattre le feu par le feu. Dans le creux de ma main, j'ai façonné une sphère d'aura pure comme me l'avait appris Sélianne, jusqu’à ce qu'elle dépasse la taille de ma cible et je l'ai projeté. Elle a fait mouche et ont toutes les deux explosé avec une gerbe de paillette bleues et blanches.
   J'ai attendu plusieurs secondes, sans que rien ne se passe. Même si je me doutais que la valeur de ma cible était basse, aucune annonce, aucun signe ne m'indiquait le nombre de points que je venais de marquer. Ils veulent nous pousser à prendre des risques. Déterminée, je me suis engagée dans une nouvelle ruelle. La victoire reviendrait à celui qui aura le plus de point. Pas besoin de stratégies complexe, le plan était simple à suivre : partir en chasse et ne laisser s’échapper aucune cible.
   Je me suis mise à sillonner la ville du désert, abattant toutes les cibles qui entraient dans mon champ de vision. Je descendais la plupart en un coup, les autres en trois et je devais pourchasser certaines jusqu’à les achever. Ces proies, plus petites, plus rapide, plus rare, devaient valoir plus de points, mais elles étaient aussi plus dures à attraper. J’ai dû en poursuivre une à travers tout le stade, en me faufilant dans des ruelles étroites et en sautant par les fenêtres des immeubles. Mais je n'en ai laissé s’échapper aucune. J'ai aussi croisé quelques joueurs, dont un se faisant violemment attaquer par une sphère noire, sûrement la « surprise » qu'avait annoncé Céleste. À chaque fois que je croisais quelqu'un, je disparaissais avant qu'il ne puisse lever le petit doigt, parfois avec le petit plaisir de faire voler en éclats leur cible sous leurs yeux.
   Pendant que je rattrapais une bulle orangée en volant d’étage en étage à travers les ouverture pour les échelles, je réfléchissais. Il devait y avoir entre une et trois cibles de cinquante, peut-être cinq ou dix de vingt-cinq. Vu leur niveau et leur fréquence, celles que je pourchassais devaient valoir entre cinq et dix points et peut-être même une à vingt-cinq. Nouvelle cible atteinte. Mais c’était loin d’être suffisant.
   J'ai vite changé de façon de faire à l'arrivée des sphères Marios. Comme dans les batailles de ballons de Mario kart, lorsqu'un joueur accumulait assez de points, une sphère apparaissait au-dessus de sa tête et la suivait à la trace. J'ai remarqué en levant la tête que j'en avais moi-même deux jaune clair. Et comme dans le jeu, il était possible de voler les points de ses adversaires. De ce que j'avais observé d'une fenêtre, c’était le même principe qu'avec les cibles : il suffisait qu’un joueur tire sur la sphère d’un autre pour se l’approprier. Ces bulles Marios devaient valoir pas mal de points… L’esquisse d’un plan a commencé à se former dans mon esprit. C’était dangereux de s’attaquer à mes concurrents : je n’avais aucunes informations sur leurs spécialités comme elles étaient inefficaces sur les cibles et je risquais de perdre mes propres sphères si je choisissais mal mon adversaire. Mais en même temps, le jeu en valait la chandelle. Je devais passer à la vitesse supérieure, peu importe les risques.
   J’ai sauté par la fenêtre pour atterrir en haut d’un petit immeuble, à quelques rues de l’allée principale. Comme pour tous les bâtiments, le toit était bordé par des créneaux derrière lesquelles je me dissimulais, allongée sur du parquet sableux. Cependant les ondes magiques du stade brouillaient toutes mes perceptions, ce qui m’obligeait à me découvrir pour observer directement les alentours. Une cible n’a pas tardé à pointer le bout de son nez. Le dos courbé, un garçon avançait à longues enjambées parallèlement à la grande route, une sphère verte au-dessus du crâne. Alors qu’il allait dépasser ma planque, j'ai invoqué une bulle qui lui est passée sous le nez. Comme prévu, ma cible a changé de direction pour la pourchasser. Pendant que je guidais tranquillement mon petit âne avec ma carotte, mon œil a repéré deux rues plus loin une sphère qui se laissait flotter paresseusement au-dessus du sol. C’était tellement tentant… Elle semblait si facile à avoir... Mais justement, elle ne devait pas valoir grand-chose, je devais rester concentrée sur le plan.
   Justement, le garçon arrivait à destination. J’ai immobilisé ma bulle au bout de l’impasse, à quelques pas de lui. Satisfait de sa chasse, il a levé les bras pour viser, l’air sûr de lui. Ç’a dû lui faire tout drôle, quand au lieu d’exploser en paillettes, nos sphères se sont dissoutes en un épais nuage de fumée. Et encore plus drôle quand une fois le brouillard dispersé, le garçon a remarqué qu’il était pris jusqu’au bassin dans des sables mouvants. Il n'avait pas dû se sentir aspirer, paniqué par l’épais nuage. Il a commencé à se débattre mais évidemment, il n'a fait qu'empirer les choses. Alors que je m’apprêtais a sauté pour le rejoindre, j'ai senti une tension se former au niveau de mon piège et j'ai vu le garçon commencé à s'extraire. Il essayait de s'échapper grâce à la lévitation. Là, tu rêves ! J'ai développé près de lui un mesquite, arbre parfaitement adapté aux régions sèches grâce à ses longues racines capables d'aller puiser son eau très profondément. Pour l’heure, elles sont juste allées se balader en-dessous du garçon pour l'attraper aux chevilles et le renfoncer fermement jusqu'au cou. J'en ai profité pour le ligoter avant de le rejoindre en un bond. Dès que mes pieds ont touché le sol, j'ai projeté une bulle d’énergie sur la sienne. Presque entièrement enseveli, il a essayé de bouger sa tête mais ça n'a pas suffi. Ma sphère a fait mouche et il m'a lancé un mauvais regard en même temps que je dégarpissais sans demander mon reste. Après avoir traversé plusieurs ruelles et passé divers escaliers, je me suis réfugiée au quatrième étage d'une tourelle. Au-dessus de ma tête flottaient deux jolies bulles jaunes ainsi qu'une verte.
   Mission accomplit ! Cependant je m’étais trop précipité : sur le chemin du retour, j'avais dû esquiver à la dernière seconde le chemin d'un autre adversaire qui passait là par hasard. Si jamais un joueur se ramenait pendant que j'en piégeais un autre, je ne serai pas en mesure de gérer. Je dois être plus prudente pour la prochaine. La chasse aux joueurs était bien plus facile et rentable que celle des cibles : plus facile à repérer, plus facile à attraper et plus de points à amasser. Pour ça, il suffisait de préparer son coup.
   Je suis montée sur le toit pour analyser le terrain. Vers le centre, la tour la plus haute s'élevait sur une bonne trentaine de mètres. Sa petite sœur se trouvait derrière moi, à l’extrémité du plateau. C’était pile ce qu’il me fallait. Avec ses onze étages, elle offrait une vue parfaitement dégagée tout en limitant à 160 degrés la zone à surveiller. J’ai donc mis le cap en direction de cette tour. Mais plutôt qu’y aller en traversant le dédale de ruelles, j’ai préféré avancer à ma manière. J’ai pris un pas d’élan pour sauter du toit et m’accrocher à l’immeuble d’en face en spider man. Cette technique m’avait plutôt bien réussi à l’épreuve précédente, alors pourquoi ne pas la recycler. Et à ce niveau, je risquais moins de faire une rencontre non désirée.
   Pan ! J’étais à trois sauts du grand immeuble quand j’ai entendu un coup de feu. Je me suis immédiatement réfugiée dans la pièce la plus proche, avant de jeter un coup d’œil à travers une fenêtre. Vingt mètres en-dessous de moi, au pied de mon bâtiment, un garçon poussait des injures de tous les noms en pointant du doigt la tour que je visais. Une sphère orange virevoltait jusqu’à son toit, sûrement la sienne – en tout cas, avant qu’il se la fasse dérober -. Alors qu’il menaçait toujours son voleur, celui-ci a dû perdre patience. Un éclair est parti du toit mais cette fois, le garçon était prêt. Il a matérialisé un bouclier qu'il a plaqué devant lui, mais il n’était pas au bout de ses surprises. La balle a fait un arc de cercle pour l’atteindre entre les deux omoplates. Le souffle coupé, il s’est effondré par terre avant que son bouclier ne se volatilise.
   J’ai veillé à être hors de l’angle de vue du tireur, tout en observant le garçon. Il ne saignait pas et respirait encore, il devait juste être évanoui à cause du choc. Son recouvrement avait dû lui sauver la vie. De mon côté, je ne savais pas quoi faire. Essayer de prendre possession de la tour était bien trop risqué, j’avais de grandes chances de perdre en combat éloigné. Mais maintenant que j’étais ici, ce serait perdre un temps très précieux que de faire demi-tour. J’ai songé à attirer le tireur avec une sphère mais vu sa précision, il la toucherait sûrement sans même bouger d’un centimètre.
   J'ai commencé à faire le tour de la pièce, à la recherche d’une idée quand, en regardant par l’une des fenêtres, j’ai repéré quelque chose d’étrange. Dans la chambre du bâtiment d’en face flottait une sphère transparente, presque indiscernable, avec d’étranges reflets. Ca valait la peine d’aller jeter un coup d’œil. Je me suis rapidement penchée à la fenêtre mais je n’ai pas pu repérer le tireur. Bon, je n’avais plus le temps de perdre du temps. J’ai invoqué un vent sur la rue qui a soulevé un nuage de poussière assez épais pour me camoufler puis j’ai sauté. Je me suis accrochée à l’aveugle à la paroi avant de m’engouffrer dans la pièce avec l’allure d’une araignée. Je me suis redressée en m’essuyant les yeux pour chasser les derniers grains de sable. La sphère était toujours au centre de la pièce et tournait sur elle-même avec des reflets arc-en-ciel. Quand je me suis approchée, elle a accéléré, adoptant une forme parfaitement ronde. Avec la vitesse, elle semblait prendre une teinte blanchâtre. Bientôt, elle allait si vite qu’elle paraissait immobile.
   Faite que ce soit une cinquante… ai-je demandé en approchant une bulle d’aura du bout des doigts. À leur contact, il s’est écoulé quelques secondes puis la sphère toupies a absorbé la mienne. Je n’ai pas eu le temps de lever un sourcil qu’elle a fusé dans ma direction. Merde ! Mauvaise pioche… Je me suis protégée en augmentant mon recouvrement, mais tout comme avoir placé mes bras devant moi, ç’a été inutile. La sphère est passée au-dessus de ma tête pour finir dans le coin de la pièce. Elle ne m’avait pas raté, au contraire elle m’avait eu dans le mille. Sa teinte blanche avait été remplacée par du vert, comme celui de la sphère mario que j’avais initialement. Un rapide coup d’œil m’a confirmé qu’elle ne s’y trouvait plus. J’ai reporté mon attention sur la surprise. Elle semblait avoir encore accéléré sa rotation. Ses déplacements par à-coups à la manière d’une guêpe prête à me piquer étaient aléatoires et impossibles à prévoir. Elle s'est ruée vers moi, puis ne s’est plus arrêtée. J’arrivais à échapper à ses assauts seulement grâce à mes réflexes que j’avais longuement aiguisés. Mais ça ne pouvait pas durer indéfiniment.
   Après une nouvelle esquive, je me suis retournée d’un mouvement pour lui envoyer une bulle d’énergie concentrée. J’ai touché ma cible mais ça n’a pas eu le moindre effet. Ou peut-être que j’avais réussi à l’énerver car elle a repris ses attaques avec encore plus de vigueur. Et cette fois, elle ne se contentait pas de s’en prendre à mes deux dernières sphères. Sans que je ne m’y attende, elle m’a heurté en plein ventre. J’ai été projeté contre le mur où je me suis affalée. Mon recouvrement avait absorbé la majorité du choc mais je devais reprendre mon souffle. La sphère n’était pourtant pas de cet avis. J’ai roulé juste avant qu’elle ne fonce dans le mur. Malheureusement, elle ne s’est pas encastré dans la paroi pour y rester à jamais. Elle a rebondi pour reprendre de l’élan et m’attaquer, encore et encore. J’essayais de riposter, mais que ce soit les flammes, les pics ou des rafales de vent, rien n’avait d’effet, à part peut-être gâcher mes forces. J’ai songé à geler cette satanée bulle or vu sa vitesse, la glace n’arriverait sûrement jamais à se former.
   Pendant que je me tordais en deux pour une nouvelle esquive, je pensais avec agacement qu’il était temps d’en finir avec cette partie de balle aux prisonniers, peu importe la manière. Si je ne pouvais détruire cette sphère, je devrais la contenir, au moins le temps pour que je puisse m’éloigner assez et qu’elle m’oublie. La pièce devrait lui suffire. J’espérais qu’elle était trop occupée à vouloir me réduire en charpie pour remarquer que les quatre fenêtres et l’ouverture pour l’échelle dans le sol étaient en train de se reboucher. Il faisait de plus en plus sombre mais ça ne semblait pas la gêner. J’ai réussi à tenir le temps que toutes les issues soient refermées. Dès que je fus sûre qu’elles étaient hermétiques, je me suis placée au niveau de l’échelle pour attirer la sphère. Juste après l’avoir esquivé, je me suis remise au centre de la pièce. La sphère m’a pour l'ultime fois chargé. Avec un pas sur le côté, j’ai pivoté pour la laisser passer puis j’ai bondi en arrière jusqu’à la dernière ouverture. J’ai mis tellement d’énergie dans mon saut que je n’ai pas pu le ralentir. C’est donc le dos plaqué contre le plafond et les bras tendus vers le trou de l’échelle que je l’ai refermé en un éclair.
   Une fois le passage entièrement recouvert de diverses couches de matériaux, j’ai soufflé en abaissant les bras – ou plutôt en les détendant -, exactement à l'instant où je suis tombée du plafond. J’ai réussi à amortir ma chute mais je me suis relevée en titubant. Il fallait que je reprenne mes esprits. Où j’en étais ? Ah oui. Trouver des cibles qui ne veulent pas ma peau, le tout loin du sniper. D’ailleurs, le tireur qui m’empoisonnait la vie, il était où déjà ? Normalement… au sommet de l’immeuble d’en face. Là où je venais d’apercevoir un éclair lumineux. Pan ! Et merde…

   Voilà où j’en étais. C’est-à-dire en train de soigner mes mains, sans aucun plan pour la suite, mais avec deux sphères marios. J’essayais de me rassurer, en me disant que tous les joueurs dont j'avais croisé le chemin avaient maximum une seule sphère. Mais ce sniper m’inquiétait. J’ai reposé ma tête contre le mur. Un plan… Un plan… Il me faut un plan... Je pouvais m’établir au sommet de la tour centrale, d’où j’aurais une vision assez dégagée pour repérer sans aucun soucis tous les joueurs avec des sphères. Et pour couvrir mes arrières à cet emplacement aussi exposé, je n’avais qu’à créer un brouillard à mon étage. Comme ça, aucuns de mes adversaires ne pourraient m’atteindre de loin car ils ne pourraient pas définir ma position exacte ! Mais derrière mon nuage, je ne pourrais pas les voir non plus… Je sais ! Il me suffirait de trouver une bonne planque et sonder le sol jusqu’à trouver un joueur. Après, je le piègerai dans des sables mouvant… Et quoi ? Je ne peux rien faire à distance… J’aurais beau réussir à immobilier quelqu’un, pour peu que j’arrive à le rejoindre sans encombre et avant qu’il ne s’échappe, je ne pourrais même pas être sûre que ma prise vaille le coup….
   Ah putain ! Je me suis tapée la tête, espérant produire une connexion entre deux neurones ou un éclair de génie, n’importe quoi qui me soit utile. Une idée, une idée… Mais rien ne venait. Je me suis mise à hyperventiler, face à l’impasse dans laquelle je me trouvais. J’ai enfoui ma tête entre mes jambes. À mes pieds se trouvaient toujours les deux balles. Même si elles paraissaient être des plombs classiques, je les sentais imprégnées d’énergie pure. Je les ai fait tourner entre mes doigts avant de les serrer dans mes paumes que je venais de rafistoler. Les deux billes étaient encore chaudes. Petit à petit, ma respiration s’est calmée et j’ai pu me lever avec un peu plus d’assurance. J’étais venue jusqu’ici pour monter en haut de cette tour et ce n’était pas ce sniper qui allait m’en empêcher. Il m'avait peut-être raté mais moi, je n’allais pas le louper.
   J’ai jeté un coup d’œil par la fenêtre. J’étais dans l’angle mort du sniper, juste derrière l’immeuble dans lequel je me trouvais juste avant. Parfait. D’un bond, j’ai sauté à l’intérieur. Je voulais y rester le moins de temps possible, de peur que la méchante sphère qui devait se trouver au-dessus de ma tête trouve un moyen de me rejoindre. Je me suis placée près de l’ouverture donnant sur à la tour du sniper. D’un geste de la main, une bourrasque a traversé la rue qui nous séparait. J’ai une nouvelle fois sauté à travers la poussière et j’ai infiltré le bâtiment. Du sable a crissé sous mes pieds. Je me suis approchée de l’échelle. Là-haut, l’accès à la terrasse semblait être bloqué, mais je pouvais monter jusqu’au dernier étage. Pour être la plus discrète possible, j’ai préféré ne pas utiliser ma magie et grimper par l’échelle en bois. J’ai eu peur qu’elle grince mais elle était solide. Parvenue en haut, je me suis approchée sur la pointe des pieds de la fenêtre tournée vers le centre du terrain. J’ai pris mon courage à deux mains et je me suis penchée en avant. Comme je m’y attendais, un long canon de fusil de précision dépassait du rebord juste au-dessus de ma tête. J’ai vérifié qu’il n’y avait pas d’autres armes de positionnées et je suis montée sur la lucarne du fond. Tout en gardant un bras plaqué contre la paroi intérieur pour m’aider à me maintenir, j’ai tendu l’autre vers le toit. J’arrivais tout juste à agripper le rebord du bout des doigts mais c’était suffisant. J’ai accroché mon autre main au créneau et j’ai commencé à me tracter. Je serrais les dents pour m’empêcher d’émettre le moindre son dans mon effort et je poussais avec mes jambes sur l’encadrure de la fenêtre. J’ai réussi à me hisser jusqu’à reposer mon buste contre le parapet mais je me suis arrêtée. À moins de cinq mètres était positionné le sniper - ou plutôt la snipeuse - ma cible. En tailleur dos à moi, les yeux enfoncés dans sa lunette de tir, elle avait quatre jolies sphères pourpres qui flottaient tranquillement au-dessus de son crâne.
   Qu’est-ce que je fais ? Je me fabrique une sorte de casque pour protéger mes deux sphères ? Non, c’était idiot, je n’avais pas escaladé la paroi à main nue pour utiliser ma magie sous le nez de ma proie… Je pouvais m’approcher encore mais rien ne me garantissait qu’il n’y avait pas des pièges cachés pour sécuriser la zone. Je me suis retenue de soupirer et sans un bruit, j’ai terminé de me tirer sur le toit. C’était une perte de temps et une prise du risque que de rester là. Tout ce que j’avais à faire, c’était tirer sur ces bulles puis je m’enfuirai en sautant du toit et disparaîtrai de son champ de tire. Rien de plus simple. Je suis restée accroupie entre deux merlons, les mains tendues devant moi et les talons dans le vide, prête à saisir ma proie et à m’envoler. Je n’ai pas eu à attendre : je percevais dans la rue des foulées claquer dans le sable. Elle devrait tirer juste après que le joueur nous ait dépassé, quand il nous tournera le dos. Justement, j’ai saisi le mouvement de son doigt se plaçant contre la gâchette. Et comme a dit un grand sage : « Je dois traquer ma cible quand elle-même est en train de viser sa proie ! ». J’ai senti le tendon de son index frémir. Maintenant ! D’un même mouvement, j’ai invoqué quatre sphères petites mais extrêmement rapide et j’ai tiré. Au même moment, des balles ont été projetées du canon de la fille et un coup de feu a retenti. Mes bulles venaient juste de parcourir la moitié de la distance qu’elles devaient effectuer que la tireuse a commencé à pencher son buste sur le côté. Merde ! Elle avait dû percevoir mon énergie et semblait être dotée d’excellant réflexes. J’ai serré les poings en croisant les doigts mentalement. J’avais face à moi une partie de bowling. Allez, allez ! La première a fait mouche. La seconde aussi. La troisième a frôlé la quille… sans la toucher, et c’était définitivement mort pour la dernière. Tant pis, je saurai me contenter de deux. Elles commençaient déjà à prendre de l’élan pour venir dans mon camp, signe que je devais dégarpir. La fille avait fini de rouler sur son dos et levait dans ma direction un flingue. De mon côté, j’ai déplacé mon poids en arrière, prête à faire un saut de l’ange retourné. Mais le destin, ou plutôt les maîtres du jeu en ont décidé autrement. Un coup prolongé de corne de brume a retenti dans tout le stade et s’est propagé entre tous les bâtiments. J’ai essayé de me redresser mais n’ai réussi qu’à brasser de l’air en faisant l’hélicoptère. Une main m’a attrapé alors que j’étais au bord du vide et m’a ramené sur la terrasse.
-Merci, ai-je fait en descendant de mon rebord.
   Elle m’a fait un petit geste du menton et on s’est toisé en silence. Elle avait de longs cheveux lisses et des yeux perçant comme un faucon, sans pourtant détenir aucune animosité dans le regard. On s’est détournée l’une de l’autre quand deux sphères sont remontées de la rue pour se positionner au-dessus de sa tête. Un « bah mince alors… » est remonté de la rue. On a échangé un sourire puis l’image de Guiren aux côtés de Céleste a été projeté.
-Félicitations à Wouter Baes qui arrive premier grâce à ses cinq sphères et avec un total de cent onze points. Il est suivi par Naléiss Freeds, ex aequo avec Karmen Granger, toutes les deux à quatre sphères. Hum… Attendez une seconde. Naléiss a une légère avance avec quatre-vingt neuf points contre quatre-vingt cinq pour Karmen.
-De toute façon, elles sont toutes les deux qualifiés pour la suite donc ça ne change pas grand-chose, a marmonné Céleste, sûrement pour elle-même.
   À l’image, Guiren lui a jeté lui un coup d’œil appuyé avant de reprendre.
-Oui, c’est vrai. Bravo à vous trois et l’on vous attend pour la suite. Bons jeux à tous !
   La transmission s’est coupée.
-Alors à plus tard peut-être, m’a dit la tireuse.
   Puis, elle a effectué un pas en avant pour sauter du toit. Apparemment, ça devait être elle, Karmen avec 4 sphères… En même temps que l’on se disputait nos sphères, un autre joueur avait dû voler sa cinquième et bloquer les compteurs des cent points.
   J’ai étiré mes épaules. C’était une bonne chose de faite, mais la première place n’était pas encore gagné, c’était même loin d’être fini.

Naléiss FreedsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant