Chapitre 39

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   La demi-finale allait commencer, pourtant je ne pressais pas, flânant dans les couloirs au hasard. Le bruit de mes pas se répercutait dans les murs et s’ajoutait à la rumeur du stade qui paraissait lointaine. Au détour d’un corridor, un jeune homme jouait avec une balle qu’il lançait à travers des portails. Il s’agissait manifestement de Caleb. En m’apercevant, il a jeté sa balle dans un nouveau portail qui, cette fois, c’est refermé.
-Ah, Naléiss Freeds ! C’est un plaisir de faire ta connaissance !
   J’ai plissé les yeux, suspicieuse. Que quelqu’un comme Caleb veuille faire ma connaissance, était louche. Il semblait plutôt être le genre d’homme à s’intéresser aux autres uniquement dans son propre intérêt.
-Vous ne devriez pas être avec les Anciens à préparer l’arrivée des joueurs ?
-Ils s’en sortent très bien sans moi, mais je t’en prie, tu peux me tutoyer.
-Qu’est-ce que tu fais là ? ai-je enchaîné, ne voulant pas tourner autour du pot.
-Rien, je suis juste venu te souhaiter bonne chance. Tu sais, je t’ai trouvé très impressionnante et pour être tout à fait honnête, j’ai pas mal misé sur toi.
   Je l’ai fixé, impassible. Certaines auraient été ravies que Caleb leur accorde ne serait-ce qu'un regard, mais pas moi. Si je gagnais, ce ne serait sûrement pas pour ses beaux yeux ou ses paris. J’ai entendu quelqu’un arriver dans mon dos. Sans me retourner, je savais que c’était Derek. Caleb s’est penché vers moi et m’a dit à voix basse :
-N’oublie pas que quand tu es éblouie, tu ne vois plus le soleil.
   Sur ce, il s’est éloigné en lançant sa dernière réplique.
-J’ai hâte de te voir sur le terrain.
   Je n’ai pas bougé, attendant que Derek me rejoigne.
-Qu’est-ce qu’il t’a dit ? m’a-t-il demandé, arrivé à ma hauteur.
-Il m’a souhaité bonne chance, ai-je simplement répondu avant de repartir.
   Cette fois, je me suis dirigée en vers l’espace d’attente des joueurs avec Derek. Évidemment, il avait gagné l’épreuve en équipe, mais je ne m’étais jamais fait de souci pour lui. Nous avons monté des escaliers pour accéder à une grande pièce rectangulaire, meublée par des fauteuils, un baby-foot et avec d’immenses baies vitrées qui donnaient une vue plongeante sur le stade. Justement, les Anciens venaient d’y finir un énième discours et conviaient les trente participants restant à se rendre sur le terrain. Chacun a jeté des œillades à leurs concurrents, puis nous avons tous progressé en file indienne dans un silence assez crispé vers l’entrée du terrain. Un présentateur nous appelait les uns à la suite des autres sans ordre logique, par notre numéro et notre nom que le public reprenait avec ferveur. À tour de rôle, nous avons avancé jusqu’au centre du stade où nous nous sommes dispersés en cercle autour des Anciens qui patientaient debout, un air tranquille sur le visage. Caleb a levé les bras pour saluer les compétiteurs encore en jeu mais j’ai bien vu que son sourire m’était destiné, et ça m’a agacé.
-Bienvenus à vous, participantes et participant !
-Pour cette avant-dernière épreuve, nous allons vous imposer un handicap.
-Quel genre d’handicap ? a questionné un joueur téméraire.
-Du genre handicapant, a répliqué du tac au tac Caleb avec d’un ton provocateur.
-Abram, peux-tu nous rejoindre s’il te plait ? a demandé Guiren.
   L’individu a traversé le terrain et l’a salué d’un signe de tête. Il était petit et frêle avec une longue barbe. Les années avaient courbé son dos, si bien qu’il semblait avoir le même âge que le doyen. Sûrement un ami de longue date.
-Montre-leur l’étendu de tes talents.
   Abram a fermé les yeux et a levé les bras au ciel. Une brume noire est sortie du sol et est remontée doucement, de plus en plus dense. S’épaississant, elle couvrait bientôt tout l’espace jusqu’au ciel, couvrant un à un les rayons du soleil. J’ai remué mes mains en caressant le brouillard profond dans mon mouvement. Ce nuage sombre m’oppressait comme un nuage de fumée toxique, pourtant je respirais sans difficulté un air qui me paraissait même frais, ce qui m’a convaincu que ce n’était qu’une hallucination. Le savoir ne m’a pas empêché de papilloter des yeux. J’apercevais certains qui tentaient de s’en éloigner pour lui échapper, sans succès. De mon côté je ne bougeais pas, essayant de ne pas montrer une once de peur. J’ai distingué une dernière fois la silhouette de Derek sur ma droite, puis n’ai plus rien vu, plongée dans l’obscurité la plus complète. Aveugle, je ne savais plus si j’avais les yeux ouvert ou fermé.
-Hé, c’est quoi cette histoire ?! J’ai pas signé pour ça moi ! s’est plaint un participant, suivi ensuite par d’autres.
-Hé bien, c’est le petit handicap.
   En plus de cela, la terre s’est mise à trembler. J’ai écarté mes pieds en pliant les jambes pour éviter de perdre l’équilibre. J’ai senti du mouvement sur tout le terrain, comme si celui-ci était remodelé. Mais de quelle façon ?
-Restez attentif, nous ne nous répèterons pas, a retenti la voix de Youna par-dessus tout le vacarme.
-Quinze objets magiques ont été dispersés sur l’espace de jeu, a expliqué Céleste. Pour accéder à la finale, vous devez acquérir un de ces totems lors du gong final. Évidemment pour les récupérer, tous les coups sont permis.
-Petite indication, a complété Caleb. Pour plus de piments, le temps dont vous disposez vous est inconnu, mais ne vous en faites pas, vous serez prévenu une minute avant la fin.
   Plus de piments… Comme si nous priver d’un sens ne suffisait pas… Niveau chrono, la logique voudrait qu’il dure entre cinq et quinze minutes, mais avec les Anciens, tout était possible.
-Dernière information. Il y a une possibilité que ceux qui ne parviennent pas à se qualifier, soient comment dire… atteint de cécité pour une durée… indéterminée.
   D’abord il y a eu un long silence, puis des cris de protestation ont éclaté, les uns après les autres, de plus en plus menaçant.
-Vous n’avez pas le droit !
-Sur ce, bonne chance… a achevé Guiren
   Trois sons distincts ont retenti, signalant le début de l’épreuve.
-…et que les meilleurs gagne !
   Petit à petit, des bruissements sont montés jusqu’à ce que ce soit le désordre le plus complet. Des sons en provenance de tous les côtés me sont parvenus sans que j’arrive à en distinguer des précis. Ils étaient toujours accompagnés par les grondements du sol, graves et prolongés, qui ajoutaient leur part de perturbation. Je sentais des courants d’air sur ma peau, signe qu’on me frôlait à toute vitesse. Dans cette cacophonie, le public s’en donnait à cœur joie, hurlant à tue tête le nom de leur favori ou sur-réagissant par des « Ouuuuuuu » collectif à des actions qui m’étaient inconnues.
   Perdue dans ce chaos, j’ai voulu lui dessiner un visage. Je me suis concentrée sur les ondes magiques qui m’entouraient, puis sur celles du stade entier pour avoir une vue d’ensemble. Dans mon esprit, une carte a progressivement pris forme, représentant le monde par de la vapeur d’énergie. Le terrain semblait évoluer aléatoirement : dans un coin, le sol ondulait comme métamorphosé en piscine à vagues, dans un autre, de nombreux piliers de différentes hauteurs se déplaçaient dans n’importe quelle direction, en face, la terre se craquelait en réseaux de profondes crevasses irrégulières, plus loin, des geysers éclosaient comme des pâquerettes… Dans ce paysage surréaliste évoluaient la plupart de mes concurrents qui, bien avant moi, avaient utilisé leur sixième sens pour s’orienter. Plus d’Anciens, plus de cercle bien ordonné, les joueurs s’étaient dispersés, émettant plus ou moins aura. Certains se fichaient qu’on les repère ou ne pensaient simplement pas à se camoufler, d’autres étaient presque imperceptibles comme des fantômes. J’ai reconnu la trace de quelques-uns, comme Maël, qui est passé près de moi avec un cri de guerre partagé par une armée de ses clones. Enfin, les objets magiques que nous avaient présenté les Anciens dégageaient une énergie forte, distincte et unique. 
   Bon, je n’avais que trop traîné, il était plus que temps que j’entre en action. J’ai commencé par faire de ma peau un barrage qui empêchait ma magie de s’échapper, me rendant ainsi presque imperceptible. Puis, j’ai ouvert la chasse. J’ai repéré un totem dans une faille à proximité. Ni une ni deux, je me suis mise à courir dans sa direction. Après avoir laissé passer Azaria Wint de la première épreuve qui traversait la piste comme une fusée, j’ai sauté dans la crevasse. J’ai amorti ma chute avec le minimum de magie pour ne pas laisser de traces, une dizaine de mètres plus bas. Même ici, je percevais le vacarme de la surface. Il allait jusqu’à résonner entre les parois étroites, me donnant une fausse impression d’éloignement. J’ai entendu d’autres bruits de combats, cette fois venant de ma gauche et j’ai pressé le pas, les bras devant moi, juste au cas où.
   Suivant ma carte mentale, je suis arrivée à la position du totem. Il se trouvait à environ deux mètres au-dessus de ma tête, alors cherchant des prises à tâtons, j’ai escaladé. J’ai réussi à me hisser sur une corniche juste assez grande pour s’y asseoir. J’ai attrapé l’objet magique en mouvant mes doigts crispés. Au creux de ma main, je le sentais lisse, rond et lourd. Une boule de billard peut-être ?
   Aïe. C’est tout ce qui m’est passé par la tête quand un coup dans le ventre sorti de nulle part m’a éjecté du rebord. J’ai protégé mon dos avec le Recouvrement pour éviter de me briser la colonne mais je me suis à demi assommée en me tapant la tête sur le sol dur. Pas le temps de reprendre ma respiration, juste de constater que le totem que je tenais un instant plus tôt avait disparu avant de me faire marcher sur le tibia par quelqu’un. Cette personne qui savait manifestement très bien contenir son aura était l’Irlandais de la deuxième épreuve. Il ne m’a pas laissé faire un seul geste ni prononcer une seule parole qu’il m’avait déjà envoyé en l’air avec une de ses tornades. Celle-ci m’a expulsé de la brèche après m’avoir cogné et écorché contre la roche tranchante. Trop long
   Aïe, ai-je repensé en atterrissant le visage dans la poussière. À peine étais-je de retour à la surface que je manquais déjà de me faire écraser par une géante de quinze mètres de hauteur et d’un bon cinq cente kilos. J’ai roulé sur le côté pour éviter son immense panard qui s’est abattu sur le sol avec une énorme secousse. Mais ça ne s’arrête jamais ? ai-je bougonné en me trainant vers une extrémité du terrain plane et stable. C’était vraiment une très mauvaise idée de rassembler trente mages dans un même espace et les autoriser à se taper dessus en promettant un titre et une récompense au gagnant.
   Une fois écartée du plus grand danger, j’ai pris quelques instants pour soigner mes blessures, mais surtout pour retrouver mes esprits. Comme je venais de l’expérimenter, c’était inutile de courir dans tous les sens à la conquête d'un totem, sans savoir combien de temps il faudrait ensuite le défendre. Aussi, j’ai décidé de rester dans mon coin à me reposer en observant ce qu’il se passait autour de moi. Enfin observer… Plutôt percevoir les ondes magiques pour ensuite les visualiser dans ma tête. Et je voyais beaucoup de choses. À l’autre bout de terrain, des individus se battaient pendant que leur totem vers final se faisait la malle avec un troisième. Deux autres personnes jouaient à chat entre les piliers tout en tentant de s’embrocher avec des épées. J’ai senti un totem sur ma droite changer de direction après une grosse explosion qui a projeté une vague de chaleur dans tout le stade. On dirait bien que Dimitri est passé par là, ai-je souri. Quant à Derek, je ne l’avais pas vu depuis qu’on avait été plongé dans le noir. Et tant mieux, ça voulait dire qu’il était bien camouflé.
-Je t’ai enfin trouvé.
   J’ai soupiré et me suis relevée en reconnaissant la voix de Mike, quelque part devant moi. J’ai réduit ma vue d’ensemble pour me focaliser sur lui. Même en me concentrant, je n’arrivais presque pas à distinguer son aura, signe qu’il savait très bien dissimuler son énergie. Certes, sa spécialité d’invisibilité ne lui était d’aucune utilité dans cette épreuve mais elle lui avait permis d’obtenir cette compétence.
-Alors comme ça tu peux déjà marcher ? l’ai-je provoqué. Quelle aubaine.
-J’ai dû aller en soin accéléré, et tout ça par ta faute !
-Ma faute ? Tu as la mémoire courte. Je te rappelle que c’est toi qui nous as trahi.
   C’était vraiment la meilleure… Je pensais que la leçon que Dimitri lui avait donnée avait suffi mais apparemment non.
-Tu vas me le payer, a-t-il continué.
   D’après ce que j’avais entendu, lui et ses frères se moquaient des jeux. Il était clair que sa seule présence ici avait pour but de se venger et de m’empêcher moi de gagner. Plus qu’agacée, j’allais me faire un plaisir de terminer ce que Dimitri avait commencé.
-Tu peux toujours courir, ai-je fait en levant mes poings.
   On s’est toisé sans se voir, puis Mike a attaqué. J’ai reçu un violent uppercut dans l’abdomen qui m’a projeté violemment contre un grillage qui délimitait le terrain. À quatre pattes, j’ai toussé jusqu’à cracher du sang. Je n’avais perçu qu’un flou dans son énergie, à peine un mouvement. Il n’avait pas utilisé sa magie, alors comment son coup avait-il pu être si puissant ? Je me suis essuyée la bouche et me suis redressée. Impossible d’utiliser le Recouvrement qui trahirait le moindre de mes gestes, il fallait donc que j’attaque. N’arrivant pas à analyser la position précise de mon ennemi, j’ai fait sortir au hasard de terre des pics acérés. Cependant ils étaient magiques, et donc facilement repérable. Mike les a esquivés et a porté un crochet du droit qui a atterri dans ma mâchoire. qui m’a flanquée au tapis. La douleur s’est propagée et s’est répercutée dans mon crâne accompagnée par un bourdonnement. J’ai entendu Mike s’approcher. Ses pas soulevaient de la poussière qui me piquait la gorge quand je respirais. Il s’est arrêté à hauteur de mon visage. Au même moment, un coup de gong a résonné dans tout le stade, le plongeant dans le silence.
-Joueuses, joueurs, il reste une minute de jeux ! C’est le moment de tout donner ! 
   Pas besoin d’utiliser mes yeux où de percevoir des ondes magiques pour voir un sourire se dessiner sur le visage de Mike.
-Tu peux dire adieu à la finale. Hasta la vista, poupée.
-Dans tes rêves.
   Je n’avais plus le temps de me faire du souci pour la discrétion. Il fallait que je me débarrasse de lui, et maintenant. J’ai activé mon Recouvrement et j’ai ainsi pu résister/encaisser à son coup de pied dans mes côtes. Il m’a encore envoyé valdinguer, mais cette fois sans dégât physique. À peine fini de rouler que j’étais déjà debout. Encore une fois pour le battre, je devais le localiser. Alors la main tendue, j’ai projeté une gerbe d’eau. Il y a eu un blanc, puis Mike a dit d’un ton menaçant :
-Tu n’oserais pas…
   Je n’ai pas fait l’effort de lui répondre et me suis tournée dans la direction de sa voix. Une seconde fois, Mike est devenu un homme des sables. Comme durant l’épreuve précédente, j’avais désormais la possibilité de le trouver. Même si je ne le voyais pas avec mes yeux, la couche de sable qui le recouvrait était magique, donc je pouvais aisément visualiser sa silhouette. Fou de rage, il s’est élancé vers moi. J’ai augmenté mon Recouvrement cependant, ça n’a pas servi, Mike m’a manqué. Pourtant, utiliser cette technique n’avait pas été inutile : en me couvrant d’une grande qualité de magie, j’avais brouillé ses repères. C’est là que j’ai compris. Que 20 s.
   Aillant perdu assez de temps, j’ai souhaité en finir. Un parterre de lianes a poussé à nos pieds. Alors qu’il allait se jeter sur moi, une des plantes lui a attrapé la cheville, le faisant basculer en avant. Dès qu’il eu touché le sol, les autres l’y ont ligoté. Très vite, il a arrêté de gigoter, comprenant qu’il ne pourrait pas s’en sortir.
-Merci, grâce à toi je sais comment gagner.
-Tu crois que qu’il va t’être permis de remporter la finale ? Non mais pour qui tu te prends ?! Tes cauchemardes n’ont même pas commencé, tu vas…
   Une feuille est rentrée dans sa bouche, obstruant sa boite vocale. Je l’ai enjambé sans plus attendre, le laissant s’étouffer avec ses menaces. J’ai aussitôt détecté trois totems tout près. J’ai voulu courir mais j’avais encore trop mal là où Mike m’avait frappé. Il n’était pas question de me soigner maintenant, alors je devais me contenter de réprimer la douleur et d’avancer en me tenant le ventre.
   Je m’approchais, tâchant d’être le plus discrète possible en bloquant toute ma magie, néanmoins à quelques pas de la cible la plus proche, celle-ci a tonné :
-Hé toi ! Je sais que tu es là !
   J’ignorais comment je m’étais trahi, si mon adversaire m’avait entendu ou senti, cependant ça n’avait aucune importance. Je distinguais très bien la personne qui se tenait face à moi : l’objet magique en sa possession dévoilait déjà sa présence, alors elle ne réprimait pas son énergie, utilisant avec maîtrise le Recouvrement, ce qui lui donnait un avantage. On aurait pu penser qu’il n’y avait que deux options pour la confronter : continuer de cacher sa magie pour être le moins visible possible et se battre uniquement au recours de ses poings, ou se servir de ses pouvoirs pour lutter à armes égales. En réalité, il y en avait une troisième.
-Ramène-toi si tu l’oses.
   J’ai fait un pas en avant puis j’ai brisé la barrière qui retenait toute mon énergie pour la laisser jaillir. J’irradiais, je rayonnais, j’éblouissais, comme le soleil. Aux alentours, toutes les ondes magiques s’étaient effacées au profil de la mienne. Seules restaient les lueurs faibles des totems. En comprenant la situation, mon adversaire a détalé. Je l’entendais courir avec le totem, mais il n’est pas allé bien loin. J’ai soulevé un rebord et il s’est pris les pieds en plein dedans. Sa chute a été accueillie par des lianes qui l’attendaient pour le ligoter, comme Mike. Mais, ça n’eu pas l’effet escompté. Grâce à sa spécialité, il a réussi à s’en échapper. Quand je me suis arrivée à sa hauteur, il était déjà de retour sur ses pieds. J’ai perçu le bruit familier d’un coup de poing. Je l’ai esquivé en me baissant et j’ai attrapé sa main qui tenait le totem. Je lui ai violemment tordu le poignet pour le contraindre à le lâcher avec un cri. J'ai récupéré le précieux objet avant d’écarter son précédent propriétaire d’un puissant coup de pied. J’ai ensuite reculé, pour changer de position, et j’ai attendu, serrant un petit tube en verre dans ma main gauche. Enfin, les trois coups de gong libérateur ont retenti. Pas long à arriver
-La partie est terminée !
   J’ai attendu plusieurs secondes avant de réguler mon flot d’énergie à un mince filet, et suis tombée à genoux, le souffle court. J’étais épuisée, vidée d’une grande partie de mon énergie. Heureusement, je ne le suis pas restée longtemps. Je me suis vite rechargée et sans problème, dans cet endroit où la magie était une source infinie. C’était tellement agréable de pouvoir puiser dedans, comme s’il n’y avait plus aucune limite... J’en ai aussi profité pour soigner les blessures qu’avaient causées Mike. Pendant que la douleur s’estompait, ma vue s’est éclaircie. J’ai même aperçu un mouvement en passant mes mains devant mon visage. J’ai d’abord cru que j’hallucinais, or le brouillard qui recouvrait mes paupières était bien en train de tomber. Ou plus exactement, il était aspiré par la main d’Abram tendu vers le ciel, au centre du terrain comme dans l’œil d’un cyclone. Soulagée, j’ai pu recommencer à discerner des formes et des couleurs. Mais en retrouvant la vue, je me suis rendue compte que ma tête tournait. Sûrement à cause de toute l’énergie que j’avais dépensé d’un seul coup. J’ai pris quelques secondes de plus, les paumes à plat sur le sol, le temps que ça se calme.
-J’ai eu de la chance que tu ne me sois pas tombée dessus.
   Je me suis tournée vers Derek qui me tendait la main pour m’aider à me relever. Il était l’une des cibles que j’avais failli attaquer. Un parasol de cocktail était coincé entre son index et son majeur, en dégageant la douce énergie des totems.
-Je t’aurais reconnu, ai-je fait en agrippant son poignet.
   Alors que le terrain reprenait un aspect normal, que les failles se comblaient et que les piliers réintégraient dans le sol, nous nous sommes dirigés vers les Anciens qui attendaient que les joueurs aillant gagné l’épreuve se rassemblent. Je me suis retournée pour jeter un coup d’œil à la personne à qui j’avais volé le totem. C’était un homme, il devait avoir la vingtaine. Il était assis en tailleur, le regard plongé dans le vide, dépité. Je me suis reconcentrée sur ma route. Je ne pouvais rien faire pour lui, à part être désolée. J’ai desserré les doigts pour découvrir que mon objet était un sablier. Un sablier au sable blanc.
-Encore une fois, félicitations à vous ! a clamé Youna.
   Abram s’en était allé, son travail accompli. Comme lors de l’annonce de l’épreuve, les joueurs s’étaient réunis en cercle autour des Anciens. Toutefois, nous étions désormais treize. Treize, et pas quinze. J’ai fini par apercevoir un participant avec trois totems à lui seul, dont une boule de billard. Un huit noir. Il m’observait, comme beaucoup d’autres. De toute évidence, j’avais fait forte impression. J’ai tâché d’ignorer ces regards et de me composer un masque impassible.
-Vous nous avez démontré vos talents et votre mérite… 
-Et tout cela nous mène à ce que vous attendez tous, l’annonce de l’épreuve finale.
   À ses mots, l’excitation a parcouru l’entièreté du stade pendant qu’une jarre transparente tombait du ciel pour atterrir entre les bras de Youna. Je dis bien les bras et pas les mains, car le récipient faisait un mètre de large. Il était rempli de centaines, voir de milliers de petits bout de papier plier en deux. Sans se presser, Céleste s’est approchée et s’est mise sur la pointe des pieds pour farfouiller dedans. Après avoir touillé cinq ou six fois, elle a brandi un papier identique aux autres. Lentement, elle l’a déplié et l’a lu. Alors que nous étions tous pendus à ses lèvres, elle a énoncé :
-Chasse au trésor. Ce sera une chasse au trésor.
   Caleb est venu en renfort, ajoutant l’entrain qu’il manquait à la jeune fille.
-Mesdames et messieurs, pour cette vingt-quatrième édition des jeux magiques, l’épreuve finale sera une chasse au trésor !
   Pendant que la foule se déchainait d’excitation, Caleb gardait une expression satisfaite au visage, comme si l’épreuve qui venait de se terminer s’était passée exactement selon ses plans, comme si je lui devais la victoire. Honnêtement, je ne suis pas sûre que j’aurai gagné s’il ne m’avait pas donné son stupide conseil, mais il était hors de question qu’il croit que j’avais obtenu la victoire grâce à lui.
-Rendez-vous donc à dix-sept heures pile pour l’ultime épreuve !
   Notre cercle s’est rompu et nous nous sommes dirigés vers les vestiaires. Alors que je pensais y trouver un peu de calme, les couloirs étaient bondés de journalistes qui, en nous voyant approcher, se sont précipités sur nous, micro tendus. Une partie des joueurs ont réussi à échapper aux interviews, d’autres comme Maël se donnaient en spectacle volontiers. Ce dernier s’était même divisé pour mieux satisfaire les journalistes. Derek et moi étions coincés au milieu de tout ce bazar, sans échappatoire. Il m’a fallu un certain temps pour comprendre que la majorité des reporteurs s’adressaient à moi.
-Que pensez-vous de vos performances durant cette épreuve ?
-Avez-vous appris la magie auprès de professionnels ?
-Comment connaissez-vous autant de techniques à votre âge ?
-Si vous gagnez, quel objet allez-vous demander à la foire ?
-Vos parents sont-ils des mages reconnus ?
-Quel est votre dessert préféré ?
   J’ai fait quelques pas en arrière, oppressée. Il était clair que je ne n’allais pas pouvoir fuir ces interrogatoires. Tandis que chacun me posait leurs questions en même temps sans même me laisser la possibilité de répondre, j’ai entendu des gémissements. J’ai fini par repérer un gamin en train de se faire marcher dessus par des caméramans en folie. J’ai d’abord voulu me frayer un chemin jusqu’à lui avec des coups d’épaules mais la foule était trop compact, je n’avançais à rien. Perdant patience, j’ai levé les bras et j’ai convoqué des vents pour écarter l’attroupement, et ainsi atteindre le garçon. Finalement, il n’était pas si jeune que ça, mais il restait petit et assez frêle. À peine l’ai-je aidé à se remettre sur pied que les journalistes étaient déjà de retour à l’attaque.
-ÇA SUFFIT ! ai-je rugit, mon calme m’aillant quitté. Je répondrai aux questions de toi, toi et toi, les autres peuvent s’en aller !
   Une vague de réprobation est montée, que j’ai immédiatement fait taire.
-MERCI, AU REVOIR.
   Le monde s’est enfin dispersé, me permettant de souffler un peu.
-Merci, a dit le petit qui faisait partie de ceux que j’avais sélectionnés.
   Je lui ai répondu par un petit signe.
-Vous avez de l’autorité, a remarqué une des journalistes.
-Honnêtement, je ne me rappelle pas m’être déjà emportée comme ça, mais je crois que je suis un peu sur les nerfs avec les jeux et tout ça…
   Je pensais répondre simplement, mais les trois reporteurs ont pris note de tout ce que je venais de dire. Je devais dorénavant faire attention à chaque mot qui dépassait mes lèvres. Je me suis préparée à la prochaine question, ne sachant s’il fallait que je regarde les intervieweurs ou les caméras qui étaient pointées sur moi.
-Oui, ça se comprend tout à fait, surtout vu vos adversaires. Que pensez-vous d’eux ?
   C’était le genre de question où l’on attendait une réponse sûr de soi, quoique sans prétention. C’est plus ou moins l’explication que je leur ai donné…
-Je ne sais pas, je n’ai pas vraiment fait attention à ceux qui se sont qualifiés…
-Vous voulez dire que vous ne connaissez pas Helori Dagda, Charlie Anderson, Hotoka Sadami ? a dit la journaliste après quelques secondes. Pas même Ammon Hori ?
   J’ai secoué la tête en haussant les épaules.
-C’est pourtant l’un des favoris, il a même éliminé deux candidats de plus en obtenant trois totems à lui seul !
-Ah, lui ! Si, je vois de qui il s’agit. C’est lui qui m’a pris le premier totem que j’avais trouvé.
   Comprenant qu’ils n’obtiendraient rien de mieux, l’homme a changé de sujet.
-Comment se fait-il que vous n’ayez jamais participé aux jeux avant aujourd’hui ? D’habitude, les gagnants tentent leur chance de nombreuses fois ou ont déjà une forte renommée avant d’acquérir le titre de Grand Mage.
-Je m’entraînais et je ne voulais pas entrer en scène avant d’être prête. Ça aurait gâché l’effet de surprise.
-Qui vous a enseigné la magie ?
-Je ne souhaite pas répondre à cette question.
   Mes interlocuteurs ont paru étonner et l’un d’eux a tenté :
-C’est un mage connu ?
   J’ai fait la sourde oreille et le petit à repris :
-Vous n’êtes que niveau 1, c’est bien ça ? Comment est-ce possible ?
-C’est tout simple : je n’ai pas été réévalué depuis longtemps.
-Vous semblez bien connaître le numéro 1012. Quel est la nature de votre relation ?
-Derek ? C’est juste un ami !
-Vous êtes sûre ? Vous semblez pourtant très proche…
-Vous n’avez qu’à lui demander, ai-je rétorqué en croisant les bras sur ma poitrine, boudeuse.
-Et où vivez-vous ?
-En bas, pas sur l’Ile.
-Oui mais plus précisément ?
-Je ne souhaite pas non plus répondre à cette question, je voudrais garder ma petite vie tranquille après les jeux.
   Il y a eu un blanc.
-Vous… Vous ne voulez faire partie du Conseil ?
-Non, ça ne m’intéresse pas.
   Nouveau blanc.
-Mais… Mais…
-Tous les Grands Mages ont intégré le Conseil après leur nomination, ne serait-ce qu’un an.
-Eh bien je serais l’exception qui confirme la règle.
   Lonnng blanc. Avant l’explosion.
-Mais vous ne pouvez pas !
-Ça fait partie du jeu !
-C’est un immense honneur de siéger au Conseil, ça ne se refuse pas !
   Alors que les deux journalistes semblaient outrés, le petit était amusé. Moi, je ne savais plus où me mettre. Heureusement, Derek qui avait réussi à se débarrasser des reporters, est une fois de plus venu à mon secours.
-Naléiss, j’ai besoin de ton aide, est-ce que tu pourrais venir ? m’a-t-il dit de l’autre côté de la barrière de journalistes.
   J’ai sauté dans l’échappatoire à pied joint.
-Bien sûr Derek. Merci pour votre attention, bonne après-midi.
-Mais… Mais… Mais… répétait la femme comme un disque rayé.
   J’ai rattrapé Derek sans me retourner et nous avons vite changé de couloir. J’ai soupiré.
-Alors, on n’apprécie pas la vie de star ? m’a-t-il taquiné.
   J’ai fait une grimace.
-Comment je m’en suis sortie ?
-Pas trop mal, a-t-il dit avec un sourire.
   J’ai encore soupiré. Athalé m’avait préparée à ces interviews. Comme un manager, elle m’avait inventé certaines réponses toutes faites. « Le fait que tu as eu tes pouvoirs plus tôt ne doit pas se savoir » m’avait-elle expliqué . Ça me donnait l’impression désagréable que quelque chose n’allait pas chez moi, mais ce n’était pas entièrement faux. Et si Athalé avait voulu le cacher, c’était sûrement pour une bonne raison. De toute façon, la célébrité ne m’intéressait pas le moins du monde, tout ce que je désirais, c’était sauver Nelly.

Naléiss FreedsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant