Chapitre 4

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   Dès que nous sommes arrivées devant la salle, notre professeur, monsieur Tirgno, nous a placé par ordre alphabétique. Je me suis donc retrouvée avec Sélianne juste devant son bureau. Il a commencé son cours en nous menaçant que si l'on bavardait ou si l'on ne faisait pas ce qu'il nous demandait, il saurait nous punir. Et il a poursuivi en nous indiquant le matériel dont on aurait besoin cette année et les chapitres que l'on allait étudier.

   La classe était beaucoup plus calme que le cours d'avant. Même Sélianne ne pipait pas un mot sous son regard sévère.

   Lorsque le cours a été terminé, je me suis dirigée vers mon casier pour y ranger mon sac. Sélianne m'a accompagné et a fait de même avec le sien. C'était l'heure de manger, mais je ne pouvais pas car elle m'aurait suivi. Je voulais être seule... Je devais être seule...

   Je me suis donc dirigée vers le CDI, Sélianne sur les talons. En entrant, j'ai fait un rapide tour du propriétaire : à droite se trouvaient les ordinateurs où un groupe d'élève discutaient à voix basse, ainsi que des manuels scolaire tandis qu'à gauche étaient rangés les romans et les BD. J'ai regardé dans le rayon, choisi le livre « Sous la surface » dont le résumé m'a plu, et me suis installée tranquillement dans un fauteuil. Sélianne a prit une BD et s'est posée près de moi.

   Quand elle l'eut fini au bout d'une vingtaine de minutes, elle a commencé à s'impatienter tandis que j'étais toujours plongée dans mon livre. Cinq minutes plus tard, elle a craqué et s'est levée en prétextant qu'elle devait aller voir quelqu'un. J'ai attendu cinq autres minutes et j'ai allé voir la documentaliste pour emprunter mon livre. Je suis sortie du CDI d'un pas rapide, me suis dirigée à nouveau vers mon casier pour le poser puis me suis m'avancée vers la queue du self.

   Une fois avec mon plateau transportant une assiette de brocoli et steak de soja (je suis végétarienne), une brique de lait et une pomme, je suis allée m'asseoir au fond de la salle sur une table vide.

   Enfin seule, me suis-je dit. Je reprenais les cours à treize heures. En regardant ma montre, j'ai vu qu'il était midi passé. J'aurai sûrement fini de manger dans moins d'une demi-heure. Je retournerai au CDI pour poursuivre mon livre en attendant que les cours reprennent.

-Hé Naléiss !

   Ho non... Pourquoi dès que je regardais ma montre, je voyais apparaître Derek ? Et il n'était pas seul ! Sélianne, Athalé et Kevin l'accompagnaient.

-Ça va ? m'a-demandé Athalé.

-Heu oui... ai-je répondu en essayant de cacher mon trouble.

-Par trop déçu du chef cuistot ? m'a questionné Kevin en s'asseyant, suivi du reste du groupe.

-Heu, non ça va... ai-je dit en entamant mon assiette.

   Et le repas a commencé. Chacun s'est présenté à moi plus en détaille. Je leur répondais par des hochements de tête mais je ne parlais pas. Puis, ils ont continué leur conversation en racontant leur matinée. J'essayais de me cacher derrière ma chevelure. Avoir des lunettes de soleil me rassurait : ils ne pouvaient pas croiser mon regard et je pouvais les regarder à la dérobé sans qu'ils ne s'en aperçoivent.

   Kevin, assit à ma droite, était asiatique, aux yeux marron. Ses cheveux étaient châtains et court. Sa mâchoire carrée et ses lèvres épaisses n'arrêtaient pas de raconter des blagues. Il habitait ici depuis toujours avec ses parents et sa jumelle, Fumiko, qui serait apparemment dans ma classe. Elle aussi a redoublé, mais pour des problèmes de santé. Il vivait un peu en dehors de la ville, mais dans une maison avec a un labrador.

   Sélianne, à ma gauche, était rousse aux cheveux très bouclés. Ses yeux verts reflétaient une joie de vivre perpétuel. Son nez était parsemé de taches de rousseur qui s'étendent jusqu'à ses joues. Un parfum se dégageait de sa peau blanche. Un parfum de fleurs. Elle était née dans la capitale, mais elle habitait ici depuis cinq ans avec ses parents et ses frères, de deux et quatre ans plus âgés et ses deux chats.

   Athalé, en face de moi, était une petite blonde. Ses petites oreilles étaient cachées par ses cheveux lisses coupés en carré au-dessus de ses épaules. Son visage fin et bien dessiné sourait. Je pouvais lire dans son regard bleu profond une extrême bienveillance. Ses parents étaient Grecs et pour fuir la pauvreté, ils étaient venus s'installer ici. Elle vivait avec eux, une grande sœur de vingt ans et un frère de neuf ans dans un appartement au nord.

   Enfin, Derek, qui est assis à la droite d'Athalé, n'arrêtait pas de me fixer, ce qui me faisait frémir, et me donnait la désagréable impression qu'il fouillait au fond de mon âme. Je n'ai même pas eu la force d'affronter son regard qui me troublait, et donc de découvrir la couleur de ses yeux. Je voyais seulement qu'il était brun, légèrement bouclé, avec une carrure d'athlète. Il parlait peu mais gardait une expression sincère aux lèvres, et se dégageait de lui comme une force tranquille qui m'intriguais. D'après ce que ses amis me dirent, l'ambiance à la maison l'avait poussé à la fuir et à louer seul un appart depuis plusieurs mois... dans le même immeuble que moi ! Quelle chance !

-Tu veux de l'eau ?

   J'ai sursauté en entendant Athalé qui m'a tiré de mes pensées et de mon observation. Elle tenait la carafe dans ses mains en me fixant avec un drôle d'air. Je lui est tendu mon verre mais quand elle l'a attrapé et qu'elle m'a touché les doigts, je me suis prise une décharge électrique. J'ai poussé un petit cri de surprise et j'ai lâché mon verre sur la table qui heureusement ne s'est pas brisé. Quelques têtes se sont tournées vers nous. Je me suis rassise et j'ai récupéré mon verre pour le reposer sur mon plateau.

-Désolé, je me suis prise une décharge, me suis-je excusée à ma table. Euh... ça va ?

   Athalé me paraissait recroquevillé sur elle-même, une lueur étrange dans les yeux. Elle m'a semblé soudain bouleversé. J'ai même cru apercevoir une larme au coin de son œil. Ses amis se sont jetés des coups d'œil, dont je n'ai pas compris le sens.

-Oui oui, tout va bien... a-t-elle dit avec une voix pourtant mal assuré.

   Apres m'avoir jeté un dernier regard chargé d'émotions, elle s'est levée.

-Allons-y, ça va sonner.

   J'ai consulté ma montre : 12 h 47. Déjà ! J'avais mis plus de temps à manger que prévu. Alors, j'ai pris mon plateau et suis sortie du self, suivie des autres.

Naléiss FreedsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant