Naléiss Freeds

Chapitre 31

   En ouvrant les yeux, j’ai été époustouflée par la clarté de la lune. Elle était éblouissante. Quelques étoiles brillaient timidement tout autour. J'ai voulu me redresser mais mon corps entier a hurlé de douleur. Je suis donc restée à regarder le ciel en prenant de profondes inspirations, le temps que les élancements se calment un peu. Où suis-je ? Qui suis-je ? Allez un petit effort… Rappelle-toi… Avant de perdre connaissance… Naléiss. Je m’appelle Naléiss. J’ai inspecté ce qui m’entourait pour essayer de comprendre ce qui m’arrivait. J’étais en robe blanche, sale, déchirée et tachée de sang. Mon sang. Et je n’étais jamais en robe, d’habitude. J’étais allongée dans une sorte de stade, mais je ne voyais pas très bien. Il n’y avait aucune lumière, à part celle des astres. Je n’avais aucune idée de comment j’étais arrivée là. Plus j’essayais de me souvenir, plus je m’enfonçais dans un trou noir. Une seule chose y ressortait. Nelly. Elle était en danger. Il fallait que je l’aide.

   Malgré la douleur, je me suis levée. En m’appuyant sur ma jambe gauche, celle-ci a émis un craquement sinistre. Elle a cédé et je suis tombée la tête la première dans le sable. Le choc m’a réveillé une douleur dans les côtes. J'ai senti des larmes me monter aux yeux. Je me suis relevée prudemment en me concentrant sur ce dont je me souvenais pour ignorer la douleur. Je m’appelle Naléiss Freed, j’ai seize ans, j’habite à Landogne, je fais mes études à Savière, j’ai une petite sœur. Je suis sur l’île flottante du Rassemblement, avec Sélianne, Athalé, Kevin et Derek. Mes amis. Ils sont comme moi. Des mages. Je suis venu ici pour sauver Nelly. Elle est en danger.

   Même si je parvenais à me rappeler du gros de l’histoire, il me manquait quelque chose d’important. De vital, mais je n’arrivais pas à me souvenir. Pourtant, ça devait pouvoir expliquer comment j’étais atterrie ici et comment je m’étais retrouvée dans cet état.

   J’ai fait une rapide inspection de mon état médical : ma jambe gauche semblait brisée, j’avais des côtes sûrement cassées, la peau de mon cou avait comme grillé. J’avais de multiples coupures sur tout le corps que j’avais rouvertes en bougeant, surtout au poignet gauche, totalement charcuté. Conclusion : incapable de me battre, à peine de marcher.

   En boitant, je suis sortie du stade. L'air était frais, les rues désertes. Et pour cause, sur une horloge, j’ai vu qu’il était cinq heures passées. Au-dessus de divers bâtiments se trouvait la Tour de plus d’un kilomètre de hauteur. Certaines fenêtres éclairées me permettaient de l'imaginer s’enfoncer dans le ciel. Je savais que je devais m’y rendre. En m’appuyant sur les murs d'une main, tenant mes côtes de l'autre et en traînant ma jambe comme un boulet, j’avançais sans bruit, à travers les quartiers chinois, français, mexicains…  Tel un fantôme. J’avais l’impression d’en être un. Lentement, je me suis approchée de la Tour. Ses portes étaient fermées. Pour les déverrouiller, j'ai bipé un badge que j’avais trouvé dans un sac à main près de moi en me réveillant.

   238A. C’était le numéro de ma chambre. J’étais donc au deux cent trente-huitième étage. Une bonne marche comme les espèces de plate-forme-ascenseur ne semblaient pas fonctionner.

   J'ai commencé à monter une marche par une marche en silence, m'appuyant sur ma seule jambe valide. Pour compenser, je me tirais en m'accrochant à la rambarde. Le premier étage grimpé, j’ai fait un arrêt pour me reposer. Rien à faire, je n’arrivais pas à me rappeler pourquoi j’étais blessée et seule. Des larmes ont coulé le long de mes joues, accompagnées de sanglots bruyant.

   J'ai failli m’endormir sur les marches, mais je ne voulais pas que quelqu’un me trouve ainsi. Alors j'ai repris ma douloureuse ascension. Quand je trébuchais, l'écho de mes chutes résonnait dans tout l’édifice. La luminosité était minime : quelques bulles flottaient en éclairant paresseusement les alentours, ce qui donnait une ambiance lugubre. Plus je montais, plus j’étais épuisée. Je faisais une pause tous les trois étages, ce qui me prenait un temps fou.