Soixante. Il restait soixante joueurs encore en liste à la fin des épreuves de qualification. Les noms et les numéros de chacun d’entre eux étaient projetés au centre du stade, sur une sphère bleu qui tournait lentement. J’en faisais partie et Derek aussi. Je l’apercevais dans les tribunes, dans l’espace réservé aux compétiteurs en attente. On ne faisait pas cette épreuve ensemble, et tant mieux : les Anciens qui s’étaient tous réunis à leur balcon nous avait expliqué qu’elle se déroulerait avec six équipes de cinq, chacune en possession de trois jetons. Dès qu’un groupe parviendrait à réunir six jetons, il serait directement qualifié pour la suite et bien sûr s’il les perdait tous, il était éliminé. Si Derek avait participé en même temps que moi mais que nous n’avions pas été ensemble, il aurait fallu que tous les deux, on évite quatre participants en plus. De là-haut, il me fixait, je le sentais d’ici. J’essayais de ne pas y faire attention pour me concentrer sur les trente personnes qui m’entouraient et formaient leurs équipes tirées au sort mais ça ne servait pas à grand-chose car à part le Canadien de l’épreuve numéro deux, je crois que je ne connaissais personne. D’un autre côté, je n’avais pas vraiment fait d’effort pour.
Je suis arrivée la première dans l’espace qu’on m’avait indiqué qui était consacré à mon équipe. Un simple cercle rouge tracé au sol que j’ai enjambé pas. Contrairement aux autres épreuves, les organisateurs avaient choisi de rester sombre. Enfin… J’allais comprendre dans quelques minutes que ça n’allait pas être le cas.
-Salut princesse.
Putain c’est quoi cette blague ? Je me suis retournée et me suis retrouvée devant l’un des types qui m’avait provoqué à la fin de la cérémonie d’ouverture.
-Qu’est-ce que tu me veux ?
-Doucement ! Pourquoi tant d’agressivité ? Si tu m’en veux encore pour tout à l’heure, moi et mes potes on voulait juste t’aider à te détendre, rien de plus.
Je n’ai pas répondu.
-Dit donc c’est qu’il y a de la tension par ici. Relax les mecs, votre sauveur Maël vient d’arriver !
J’ai relooké le nouveau venu. De la tête au pied, il avait tous les accessoires des mannequins sortis des magazines de luxe, mais à un point bling bling que c’en était ridicule. Chaine et bague en or, lunette teinté, montre argenté au poignet, cheveux plaqués par du gel, costume noir, ainsi que des mocassins. Je me suis posée deux questions : de une, comment se faisait-il qu’il soit autorisé à parader de cette manière alors qu’on était censé avoir des tenues attribuées ; de deux, comment avait-il fait pour arriver jusqu’ici dans la compétition sans qu’il n’y ait une tache ou même un grain de sable sur lui. J’étais partagée entre la stupéfaction et l’admiration face à un tel exploit.
-Manquait plus que ça…
-Il y a un problème ? m’a demandé le snob.
Un à la fois.
-Toi, ai-je fait en pointant du doigt le caïd du début qui s’appelait Mike Campbell d’après son maillot. Ça sert à rien de se mentir, tu ne m’aimes pas et c’est réciproque, mais malheureusement on se retrouve dans la même équipe, ce qui veut dire qu’on va être obligé de collaborer. Cependant, si jamais on perd par ta faute, je te jure que je t’étriperais, tu m’as comprise ?
-Parfaitement, princesse, a-t-il répondu en faisant une révérence ironique et en me défiant du regard.
Peut-être que je n’allais pas attendre pour commettre un meurtre…
-Je vois que les choses ont été mises au clair, c’est bien.
Dimitri venait d’arriver dans le cercle, et ça a été pour moi un soulagement énorme, sans que je ne sache exactement pourquoi. Sûrement à cause de son rôle de représentant, qui démontrait que c’était quelqu’un de puissant, mais également qu’il savait prendre des responsabilités et faire les bons choix au moment opportun. Aussi, d’après ce que Derek m’avait dit, c’était un garçon très apprécié et juste.
-Je suis content de te voir ici.
Ce compliment m’a fait chaud au cœur, car il n’était pas difficile de comprendre qu'il en était avare. Face à cette démonstration de respect, je n’ai pu que lui retourner le commentaire.
-Et qu’est-ce qu’on fait maintenant ? a demandé Maël en s’accoudant à l’épaule de Dimitri pourtant bien trop haute pour lui.
-Peut-être qu’on pourrait se dire nos spécialités ?
Celle qui venait de parler avec une voix presque imprescriptible était tellement petite et discrète que je ne l’avais même pas remarqué. Quand on s’est tourné pour la regarder, elle s’est immédiatement figée et m’a paru rétrécir encore un peu. Elle était plus jeune que moi, peut-être d’un ou deux ans. Elle devait être indienne, vu son physique et le drapeau qui figurait sur son maillot.
-Enfin, c’est juste une idée…
Je me suis subitement demandée comment elle pouvait parler la même langue que moi. J’en suis venue à la conclusion que les organisateurs avaient dû lancer un sort sur les participants pour qu’ils puissent communiquer entre eux librement, sans l’aide de traducteurs.
-Je trouve que tu as parfaitement raison, a repris Maël. Je commence ! Madame et Monsieur, attention…
-Les yeux !
La voie derrière mon oreille m’a fait sursauter, et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, mes réflexes se sont réveillé et j’ai fait une clé de bras à Maël. Enfin… Un deuxième Maël. Au cas où ce n’était pas suffisamment, trois clones de l’individu nous entouraient. Celui que je maîtrisais s’est dissout sous forme de vapeur d’eau, suivi des autres.
-Aïe ! Ça fait mal, pourquoi t’as fait ça ?
-Au contraire, elle a eu raison, a lancé Dimitri. Et toi tu es un idiot. Tu viens de montrer à tous ceux qui n’étaient pas au courant ta spécialité et de nous griller l’effet de surprise.
En effet, si certains ne semblaient pas avoir remarqué, trop occupé à discuter, d’autre nous regardaient d’un air supérieur, en ricanant.
-Mais de toute façon, qui ne me connaît pas ?
-En tout cas, c’est pas la modestie qui te manque…
-Moi, je peux fusionner avec les ombres, a repris la petite.
-Je deviens invisible, a simplement dit Mike.
-Je crée des explosions, a enchaîné Dimitri.
Tous les regards se sont portés sur moi. Je n’aimais pas tellement dévoiler ainsi mon domaine de prédilection, car j’avais l’impression de me mettre à nu, de donner des informations qui seraient retournées contre moi, mais comme je l’avais dit moi-même, on allait devoir collaborer et ce n’était pas comme ça qu’on était censé gagner. Et après tout, j’avais déjà participé à trois épreuves qui avaient été filmées et diffusée dans le stade devant des milliers de personnes. Je n’étais plus à ça près.
-Je contrôle les quatre éléments, ai-je annoncé avec le plus de neutralité possible en croisant mes bras sur ma poitrine.
Dimitri s’apprêtait à parler, mais le sol s’est mis a tremblé. La partie qui composait notre cercle s’est soulevée, me faisant légèrement perdre l’équilibre. J’ai regardé autour de moi pour essayer de comprendre ce qu’il se passait. Tout comme celle des autres équipes, notre plate-forme s’est mise à tournoyer dans le ciel. Heureusement, des barrières de sécurité s’étaient formées, car sinon avec notre allure de plus en plus rapide, on se serait déjà fait projeter en l'air. Je m'accrochais aux barres métalliques en les collant contre moi, les yeux plissés à cause de la vitesse. Nous tournions autour d’une immense tour faite de blocs de pierre gigantesque qui sortait du sol avec un énorme grondement. Je n’ai pas eu le temps de voir plus de détails que notre plate-forme lui fonçait dessus. Au dernier moment, un pan de la paroi s’est soulevé juste un instant pour nous laisser passer. J’ai baissé la tête alors que nous pénétrions dans un espace soudainement sombre. Plusieurs murs se sont ouvert sur notre passage, puis on s'est stoppé net et on a entendu comme une porte se refermer, nous laissant dans un dédale de couloir éclairé par des torches. Les barrières métalliques ont disparu, et perdant l'équilibre, l'indienne a trébuché et s'est retrouvée sur le sol terreux. Je me suis approchée d'elle à pas prudents et je lui ai tendu la main.
-Je m’appelle Naléiss.
- Aysha. Merci beaucoup.
-Y a pas de quoi.
-Et maintenant, on fait quoi ? a demandé Maël.
-On peut commencer par gérer qui s’occupe de ça.
Mike avait récupéré par terre trois jetons de casino rouge. C’étaient ces petites rondelles de bois qui déciderait de la victoire… Dimitri en a pris un et l’a fait tourner entre ses doigts.
-Chaque équipe a dû être amené un étage différent et si j'ai bien vu, on doit être au cinquième. Pour ma part, je pense que le meilleur plan serait de confier les jetons à des personnes différentes, qui resteront cependant ensemble.
-Ça me va, a dit Maël. Et qui vont être les élus ?
-De toute évidence, Arya et Mike, vous êtes les plus aptes à cette mission. Qu’en pensé vous ?
Les deux ont accepté. Je comprenais la logique de Dimitri et j’étais d’accord, mais je n’avais toujours pas confiance en Mike, surtout quand il me regardait comme il le faisait maintenant, avec des petits yeux sournois.
-T’inquiète pas princesse, je ne vais pas le perdre. Après tout, on est dans la même équipe, dans le même bateau.
Je n’ai encore une fois pas répondu.
-Qui prendra le dernier ? a demandé Arya.
-Moi, s’est porté volontaire Maël. Je servirai d’intermédiaire vu que mes clones peuvent communiquer entre eux. Je resterai avec eux et le jeton…
-Et un de mes clones vous accompagnera en expédition.
Cette fois, je me suis retenue juste à temps pour ne pas donner un coup de coude dans le nez à un autre double qui était apparu derrière moi.
-Parce que c’est bien ce que tu voulais faire non ? Aller avec Naléiss attaqué une autre équipe.
Dimitri a attendu quelques secondes puis a acquiescé.
-En effet. Il vaut mieux partir tout de suite pour ne pas le laisser le temps de s’organiser. Au sixième étage. Ils n’auront nulle part où aller.
-Alors c’est parti ! On invente un cri de guerre ou je ne sais pas quoi ?
Dimitri s’est engouffré au hasard dans l’un des couloirs qui émergeait de notre pièce circulaire. Je l’ai rapidement rattrapé après avoir jeté un regard un arrière. Les clones de Maël se tchéquaient, Mike devenait progressivement opaque et Arya m’a envoyé un sourire timide avant de se fondre dans la pénombre de la paroi.
On a commencé à s’enfoncer dans un labyrinthe de couloir, Dimitri ouvrant la marche, suivi par moi et Maël. On avançait à la queue leu leu, sur nos gardes. À chaque intersection, un flambeau crépitait doucement. Après sept ou huit tournants, on est tombé sur une petite salle rectangulaire où une échelle montait au plafond.
-De l’autre côté rien d’étrange, nous a appris Maël.
-Alors ne perdons pas plus de temps.
Dimitri a entamé la montée sans plus attendre. Dès qu’il eu disparu dans le plafond, j’ai pris la suite en agrippant le premier barreau un métal. Il était glacé et me paraissait sans vie. Un frisson m’a parcouru mais j’ai continué à grimper sans réfléchir, échelon après échelon. Au bout de quelques mètres, Dimitri s’est arrêté et a chuchoté :
-Il y a une trappe. On sort le plus vite possible sans un bruit. Compris ?
J’ai hoché la tête bien qu’il ne pouvait pas me voir. Dimitri a soulevé la porte en grinçant avant de s’y engouffrer en un éclair. Un rayon de lumière m’est parvenu et au moment de sortir la tête, une explosion a retenti, dégageant une bouffée d’air brûlant et ébranlant la structure. Je me suis baissée en la serrant dans mes mains le temps qu’elle se stabilise et que la température diminue assez pour être supportable, puis je suis complètement sortie dans un nuage de fumée. Je me suis arrêtée à côté de Dimitri. À ses pieds était étendue une marionnette en bois cramé, une batte de baseball à la main. Elle était flippante, avec ses yeux et sa bouche entre-ouvertes, totalement désarticulé.
-Toi qui voulais être discret… a toussoté Maël.
En me tournant vers lui, j’ai aperçu une ombre s’enfuir dans l’allée. Je me suis aussitôt élancée à sa poursuite, suivie juste après par les bruits de pas de mes équipiers. Au bout de quelques virages effectués en dérapage, nous nous sommes retrouvés dans un couloir finissant en impasse mais qui possédait trois portes de chaque côté. À ce moment seulement, je me suis rendue compte que le décor avait changé : nos boyaux sombres d’une caverne avait été remplacé par une atmosphère dérangeante d’un hôpital abandonné, aux parois à petits carreaux grisonnants et craquelés, à la lumière grésillant et à l’odeur de désinfectant. Celle-ci m’a rappelé pendant un instant Nelly, endormie, branchée à des machines. J’ai dû m’appuyer à un mur pour calmer mon tremblement.
-Je m’en occupe.
Maël s’est divisé en six nouveaux clones, cette fois tous plus petits que l’original. Chacun s’est placé devant une des portes, prêt à l’ouvrir d’un coup de pied.
-Trois, deux, un…
En même temps que j’ai entendu les portes claquer violemment, quelque chose m’a prise au cou et m’a soulevé de terre. J’ai été cognée au plafond mais pas assez fort pour me faire perdre connaissance puis on m’a étranglé en me compressant la gorge, le dos plaqué contre un mur. J’ai eu beau essayer d’attraper mon agresseur pour l’arrêté ou au moins diminuer sa prise, c’était peine perdu. Ce qui me strangulait était trop enfoncé dans ma peau pour réussir à l’en écarter. Prise de panique face ma vision qui noircissait, je me suis entièrement enflammée. J’ai entendu un cri et la pression qu’on exerçait contre ma trachée s’est relâchée, me faisant tomber de plusieurs mètres.
Je me suis trainée dans un coin pour reprendre ma respiration, une main portée à la gorge pour la soigner, face à un Maël qui se tenait le bras en grimaçant. Je l’ai vaguement perçu prononcer « On peut dire que tu tombes à pic toi », comme si sa voix venait de loin, avant qu’il se retourne en hurlant pour rejoindre un autre de ses clones, en difficulté avec une nouvelle marionnette. Il y en avait en réalité plein, chacune avec des armes de différentes sortes comme des haches ou des machettes, combattant une horde de mini Maël. Au milieu de toute cette pagaille, Dimitri affrontait une fille qui lui tirait dessus avec deux pistolets. Je me suis éteinte pour économiser mon énergie et j’ai remarqué qu’un automate en bois brulait doucement à mes pieds.
-Naléiss Freeds, c’est bien ça ?
En levant la tête, j’ai pu voir sortir d’une grille d’aération et couler le long du mur une forme gluante et prendre la forme d’un homme malgache devant moi qui époussetait son t-shirt d’un air non-chaland. Je me suis relevée d’un bond, ce qui m’a fait tourner la tête et lui ai lancé un uppercut dans l’estomac. Cependant mon poing a frappé dans le vide car son corps s’est à nouveau déformé pour créer un vide au niveau de son ventre.
-Un problème ? m’a-t-il nargué.
J’ai voulu lui faucher les jambes mais ses tibias se sont dissouts au contact des miens. J’ai fait un bond sur le côté pour m’écarter. J’ai tendu les mains pour le ligoter mais les racines que j’ai créé lui sont passées à travers sans aucun impact. Il a armé à son tour son poing. Je pensais être assez éloignée mais son bras s’est étiré pour me frapper sous les côtés. Heureusement, l’entraînement avec Derek m’avait permit de développer mes réflexes et j’ai pu résister à l'aide du Renforcement. Cependant, son coup m’a propulsé en arrière et m’a fait trébucher sur l’un des cadavres de marionnette qui nous entourait. Je me suis redressée avec une roulade et lui ai lancé une boule d’énergie. Il s’est de nouveau disloqué pour l’esquivé et elle a explosé dans le mur derrière lui. Il ne m’a pas laissé une seconde de plus et a relancé ses mains dans ma direction. Je me suis envolée en arrière pour lui échapper mais l’espace était trop restreint pour manœuvrer et il a fini par m’attraper. Il m’a flanqué par terre avec violence et a transformé ses membres avant en massue. J’ai pris une inspiration et j’ai contracté les abdos pour encaisser le choc. À moitié sonné, j’ai tout de même eu un fragment d’esprit qui m’a permit de m’accrocher à lui. Il a levé ses mains à la hauteur de son visage, l’air étonné comme s’il regardait un petit écureuil accroché à une branche. Enfin, c’était la dernière expression que j’ai vu avant de me transformer en une boule de feu géante. Il a secoué les bras pour me faire lâcher avant de les rétracter jusqu’à leur taille normale. J’ai roulé au sol, et un petit sourire s’est dessiné sur mon visage en le voyant se frapper le t-shirt pour éteindre les flammes.
-C’est ce qu’on appel ne pas apprendre de ses erreurs.
Ma remarque a semblé l’amuser. Cette fois, son bras s’est transformé en une épée à l’air parfaitement affutée d’un mètre de long.
-Il est vrai que je peux être un peu long à la détente… Mais j’ai hâte de voir comment toi, tu réagis face à la nouveauté.
Bonne question… Au moment où il a brandi sa lame, je me suis jetée sur le côté. J’étais persuadée de l’avoir fait trop tard, pourtant j’étais bien saine et sauve. En relevant la tête, j’ai vu à côté de moi le corps de mon adversaire étendu, reprenant lentement sa forme humaine avec derrière lui un Maël qui tapait dans sa paume une batte de baseball comme un mafieux. Je me suis redressée assez difficilement.
-Merci.
-Y a pas de quoi, c’est normal pour moi. Si tu savais le nombre de filles que j’ai déjà sauvé ! Alors il y avait Laura, Nathalie…
J’ai cessé de l’écouter en levant les yeux au ciel et me suis retournée vers Dimitri. Il avait réussi a ligoté la fille avec une corde trouvé je ne sais où. Celle-ci l’insultait de tous les noms jusqu’à ce qu’il lui enfonce un tissu dans la bouche pour la faire taire.
-Elle ne risque pas de s’échapper ? lui ai-je demandé quand il s’est avancé vers nous en enjambant les restes de pantins.
-Non, il n’y a pas à s’en faire.
Comme pour me le prouver, il lui a lancé un coup d’œil sous lequel elle s’est instantanément calmée.
-Elle n’avait pas de jeton. Et là ?
-Rien non plus… a dit Maël qui avait fouillé l’homme métamorphe.
Il s’est relevé avant de fusionner avec ses autres clones pour reprendre sa taille normale. Je me suis penchée vers mon ancien adversaire pour l’enfermer dans un cercueil de pierre. Avec un peu de chance, ça suffira à le retenir si jamais il se réveillait.
-… je sais pas, a répondu Maël à Dimitri. Un autre type a rejoint le marionnettiste et ils ont disparu. D’un coup.
-Bon alors poursuivons.
Dimitri s’est engagé dans le couloir d’où nous venions d’un pas décidé. Je m’apprêtais à le suivre quand Maël est tombé à genoux près de moi.
-Qu’est-ce qui te prend ? Arrête ! s’est-il écrié les yeux exorbités.
-Hé qu’est-ce qui t’arrive ?
-Arrête !
Il s’est tenu le ventre comme s’il venait de réservoir un coup avant de partir en fumée. J’ai échangé un regard entendu avec Dimitri puis on s’est tous les deux engagés en courant vers la trappe qui nous menait à notre étage. Arrivé à l’échelle, on a sauté plus que descendu pour gagner du temps. J’ai atterri avec souplesse sur le sol et je me suis avancée prudemment sans faire de bruit en position défensive. Avec Dimitri, sans même parler, on s’est disposé comme des agents du FBI. On se couvrait mutuellement, conscient qu’un danger rodait, ne communiquant qu’avec des signes militaires. On a refait tout le chemin en sens inverse, Dimitri me guidant avec exactitude à chaque intersection.
Arrivé à notre base, nous avons trouvé Maël accroupi par terre, un bras tendu devant lui, un air outré dans son regard éteint, immobile. Pétrifié.
-Naléiss… ai-je entendu chuchoter.
J’ai levé le poing pour signaler à Dimitri un danger. On s’est approché à pas de loup de là où j’avais entendu provenir la voix. Dans un recoin de la pièce, englouti par la pénombre, deux mains sont sorties du mur.
-Attendez, c’est moi !
Je me suis relâchée en voyant le visage timide Aysha se détacher de la paroi.
-Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
-C’est Mike… Sans prévenir, il a attaqué Maël et deux autres types sont arrivés et l’ont pétrifié… Après ils m’ont menacés, mais je suis restée cachée et ils sont partis.
-Tu sais vers où ?
Sans nous répondre, elle s’est renfoncée dans le mur en nous laissant deviner sa silhouette et nous a guidé dans le dédale de couloir. Tout en courant, je m’imaginais toutes les tortures que je pourrais faire subir au Mike une fois que je l’aurais attrapé.
-Il est invisible, a dit Dimitri comme s’il lisait dans mes pensées en enchaînant les foulées près de moi. Comment on va faire ?
Je n’avais pas la réponse… Mais dès que j’aurais la solution à ce problème, il regrettera certainement de nous avoir trahi.
-C’est là.
C’était la même pièce que celle qui nous menait au sixième étage, sauf que cette fois, la trappe était à nos pieds et l’échelle descendait. Dimitri s’y est engouffré le premier. Je m’apprêtais à le suivre quand Aysha m’a arrêté :
-Attend ! Prends-le, m’a-t-elle demandé en me tendant notre ultime jeton.
-Non, il sera plus en sécurité avec toi.
-Mais…
-Ne t’en fait pas, je sais que tu vas gérer comme une chef, la rassurais-je.
Puis je suis descendue à mon tour. Dimitri m’attendait en regardant autour de lui, l’air agacé. Et il y avait de quoi. Le décor avait une encore complètement changer : nous étions dans un palais des glaces si bien réalisé qu’il nous était impossible de distinguer à l’œil nu les vitres transparentes des allées où nous pouvions passer. Et bien sûr, il y avait les miroirs. Hormis nos reflets qui faisaient tache, tout le couloir était d’un blanc lumineux qui m’aveuglait. L’espace qui nous entourait semblait s’étendre à infini. Je comprenais maintenant l’attitude de mon coéquipier. Récupérer nos jetons allait prendre plus de temps que prévu et il serait plus difficile de manœuvre dans cet espace étroit. Cependant, on pouvait avoir un avantage : la spécialité de Mike serait réduite dans ce lieu.
Dimitri a pris les devants et s’est avancé, les bras tendus devant lui. Tous nos reflets bougeaient en même temps que nous, mais dans des directions aléatoires, à m’en donner le tournis. On progressait incroyablement lentement, heurtant tous les vitrages, obligé certaines fois à faire demi-tour pour les contourner. Marchant derrière mon représentant, j’ai sorti de mon t-shirt mon collier pour le faire tourner entre mes doigts (c’était plus fort que moi). Il devait bien y avoir un moyen… Quelque chose… Pour nous guider… « Tous les esprits du monde veillent sur toi. Ils vivent dans la terre, l'eau le ciel, et si tu les écoutes, ils te guideront. » Cette réplique dans Pocahontas de Disney m’est apparue, au milieu de mes pensées. J’ai secoué la tête. Je devais rester concentrée. Pourtant, ma rêverie m’a fait visualiser les passages de ce film qui avait marqué toute mon enfance, puis j’ai saisi ce que mon subconscient avait compris avant mon conscient.
-J’entends le vent…
-Qu’est-ce que tu as dit ? m’a demandé Dimitri en se retournant en même temps que ces mille reflets.
Je me suis mise à fouiller précipitamment mes poches sans y trouver un bout de papier, alors faute de mieux, j’ai déchiré un petit bout de mon t-shirt que j’ai placé au creux de mes mains. Une brise l’a soulevé et l’a emporté devant Dimitri. J’ai repris la tête de l’expédition, courant derrière mon morceau de tissu. À chaque intersection, le vent se cognait aux parois mais se dirigeait tout de suite après vers l’entrée libre en le portant. J’avais du mal à distinguer mon bout d’étoffe parmi ses reflets mais toujours plus efficace que de marcher au ralenti en se cognant aux parois.
Puis sans prévenir, des silhouettes se sont retrouvées face à moi. J’ai pilé et fait un pas en arrière pour me cacher derrière un angle, surprenant Dimitri qui m’a foncé dedans. Après avoir récupéré mon bout de tissu et l’avoir rangé dans ma poche, je lui ai fait signe de ne plus faire de bruits. Je me suis très légèrement penchée jusqu’à apercevoir les deux personnes. Elles étaient à cinq mètres à ma gauche en train de discuter de manière énergique, pourtant je n’entendais que des voix lointaines. J’ai inspiré un grand coup avant de relâcher un nouveau coup de vent, cette fois plus puissante et je me suis mise à compter. J’ai remarqué que c’étaient les gars qui faisaient partie du trio qui m’avaient énervé avec Mike. Ils faisaient presque la même taille et vu de profil, se ressemblaient tous les trois beaucoup. Sûrement des frères… ai-je compris. Au bout de treize secondes, les cheveux de l’un d’eux se sont légèrement soulevé sans qu’il ne le remarque. Je me suis retournée vers Dimitri, un sourire féroce aux lèvres.
-On les tient.
-Ou peut-être…
J’ai reçu un coup de pied dans l’estomac qui m’a fait tomber à genoux, me coupant le souffle..
-… que c’est nous qui vous tenons.
Même invisible, je pouvais percevoir le sourire mauvais de Mike.
-Les gars… a-t-il appelé.
Immédiatement, Dimitri a projeté ses mains dans la direction de la voix et a fait exploser là où j’étais une seconde plus tôt. J’ai placé les mains devant mon visage pour atténuer la vague de chaleur. J’ai toussoté, la fumée obstruant mes poumons. Celle-ci dissipée dans l’air, aucun résultat de l’attaque ne semblait observable. Les vitres, sûrement protégées pas un sort, étaient intacts, mais surtout il n’y avait aucune trace de Mike. Du moins jusqu’à ce que j’entende un bruit de lame s’enfoncer dans de la chaire et mon équipier frappé dans le vide jusqu’à ce que sa cible s’écarte assez pour être à nouveau indétectable.
J’ai activité mon Recouvrement sur tout mon corps. Seulement à peine redressée, des mains m’ont empoigné le cou pour m’étouffer, me plaquant contre une glace gelée. Dimitri est venu me porter secours. Il a attrapé l’invisible par la taille et l’a flanqué par terre. Ensemble, ils ont roulé en grognant, essayant de prendre le dessus sur l’autre. Normalement, Dimitri aurait dû le maîtriser sans problème, pourtant il semblait éprouver des difficultés. Le visage grimaçant, il semblait plus se protéger des coups que les donner. Mes yeux se sont portés à son abdomen, où sur son t-shirt, une tâche rouge semblait s’étendre.
J’ai à mon tour essayer de l’aider, en tentant de ligoter Mike avec des plantes grimpantes que j’ai fait s’enrouler le long de son corps. Mais ici, elles n’avaient aucun sol pour s’enraciner solidement. À défaut de l’immobilier complètement, le lierre le limitait dans ses mouvements, si bien qu’il n’a pas eu d’autre choix que de s’éloigner de Dimitri pour les arracher.
Je me suis précipitée sur mon coéquipier pour le relever. On s’est placé dos à une vitre pour limiter les attaques surprises. Le traître se trouvait au bout du couloir face à nous. Il semblait se débattre avec chaque petite tige en essayant de s’en débarrasser afin d’éviter de trahir sa présence. Seulement, il n’avait pas l’air de remarquer qu’il était taché de sang. Sûrement celui de Dimitri durant leur affrontement. J’ai lui ai jeté un coup d’œil et j’ai vu qu’il se tenait l’abdomen là où il avait reçu le coup de couteau en respirant de manière saccadée. Je me suis penchée sur sa blessure pour arrêter l’hémorragie grâce à mes pouvoirs de guérison. Vu son hochement de tête reconnaissant, il ne devait certainement pas maîtriser ce type de magie, ou en tout cas pas assez. Une fois la plaie complètement refermée, je me suis reconcentrée sur notre adversaire. Or celui-ci avait encore disparu, abandonnant son t-shirt taché par terre. Il était de nouveau invisible, mais on venait de le voir, pas immanquable.
-Vous ne savez pas à quel point ça me rend heureux d’être là, en face de vous particulièrement.
J’ai serré les poings. Je savais que Mike prenait un malin plaisir à parler tout en utilisant une technique basique pour faire émettre sa voix de partout et nous empêcher de connaître sa position. Il nous narguait sans aucune retenue.
-Moi je me demande ce qu’il peut bien te passer par la tête pour trahir ta propre équipe, a répliqué Dimitri. Es-tu au moins au courant que si nous perdons, toi aussi ?
Mike a soupiré.
-Vous savez… Il n’y a pas que les jeux magiques qui peuvent apporter des bénéfices. Des gens sont prêts à payer le prix fort pour des petits services. Et d’ailleurs, c’est exactement ce qu’est cette compétition pour moi. Un jeu.
J’ai perçu un bruit de pas juste devant moi et me suis placée en position défensive. Celle-ci m’a permis de bloquer un coup qui m’aurait très certainement mise KO autrement. Le combat s’est enchaîné, sans que je ne maîtrise quoi que ce soit. Le Recouvrement me permettait de limiter les dégâts, mais Mike ne me laissait aucun répit. Je ne pouvais que reculer. Il m’était impossible de prédire ses mouvements pour moi-même attaquer. Il fallait le rendre visible, ou au moins pouvoir le distinguer. J’essaie de réfléchir en même temps que de parer les offensives, faisant défiler toutes mes options. J’ai fini par en trouver une.
Mike m’avait de nouveau bloqué contre un mur de verre. Pendant un instant, j’ai baissé ma garde pour lui envoyer un coup de pied. Surpris, je l’ai entendu tomber un arrière. Je ne lui ai pas laissé le temps de se relever. J’ai produit une bulle d’eau assez grosse pour ne pas le manquer où qu’il soit et l’ai lancé dans sa direction. Une déformation de celle-ci à quelques mètres en face de moi m’a confirmé que je l’avais bien touché.
-De l’eau ? Tu veux quoi, que j’attrape froid ? m’a-t-il lancé.
-Dimitri écarte-toi !
Celui-ci qui venait d’arriver, s’est aplati contre une vitre en me voyant lever les mains. Après avoir bloqué ma respiration, j’ai déferlé une tempête de sable au milieu de couloir. Elle a envahi tout l’espace instantanément, nous rendant chacun aveugle. +. J’ai senti mon énergie chuté et suis tombée à genoux, le souffle court. Toutes les parties de mon corps qui se trouvaient découvertes me piquait à cause de la morsure du sable, mais ça ne devait être rien comparé à Mike, qui s’était retrouvé torse nu au milieu de ces rafales. Il était devant moi, immobile, les pieds dans le sable qui s’était déposé dans tout le couloir. Il en était entièrement recouvert, tel un monstre tout droit sorti du Sahara. J’aurais presque eu pitié... Comme si le temps venait de redémarrer, il a levé la main pour s’essuyer les yeux, puis le bras, mais qu’une petite couche est partie, le reste collé sur sa peau par l’eau.
-Espèce de sale…
Il s’est avancé vers moi, menaçant, mais Dimitri c’est interposé, lui envoyant un coup en pleine tête qui l’a fait valdinguer contre une vitre.
-T’as le chic pour trouver de bonnes idées toi. Vas-y, je m’occupe de lui.
-Mais…
-Allez, il en reste encore deux à débusquer !
Je n’ai pas voulu protester alors je me suis relevée en m’appuyant sur une glace et me suis éloignée sans un regard en arrière.
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Naléiss Freeds
ParanormalNaléiss Freeds est une jeune fille qui entre en 2de dans une nouvelle ville, un nouveau lycée, où elle ne connaît personne, et c'est pour le mieux. Cependant, un groupe d'élève semble s'intéresser à elle. Alors que Derek, Athalé, Sélianne et Kevin e...