Naléiss Freeds

Chapitre 27

Plus que cinq heures. Plus que trois. Deux. Une. Une heure, et on serait enfin arrivé. Après avoir dépassé un bâtiment isolé qui devait être le refuge du Goûter qui était évidemment fermé, Sélianne nous a fait apparaître des pioches car le chemin devenait trop abrupte. Il fallait parfois escalader, ce qui nous faisait perdre du temps. « Tu tapes, tu montes » avait répété Derek en guise d'encouragements. Plus facile à dire qu'à faire... Sur le moment, j'avais eu envie du lui faire avaler cette foutue pioche, mais j'avais fini par y arriver sans même utiliser mes pouvoirs. Et j'en étais très fière.

Les conditions devenaient vraiment rudes, même pour des mages comme nous : l'oxygène chutait avec la température, tandis que les rafales s'étaient intensifiées. Un non-mage n'aurait jamais réussi à venir jusque ici, et ne pourrait certainement pas survivre. A cette altitude, chaque pas équivalait à une inspiration.

J'ai observé autour de moi en m'accroupissant pour avoir de meilleures appuies et être moins déstabilisé par les bourrasques, le temps d'une pause pour reprendre notre souffle. Le mien était court et saccadé. Je respirais le plus doucement possible pour cacher ma fatigue à mes amis, même s'ils ne semblaient pas être dans un meilleur état que moi. Derrière nous se trouvait l'arrête du Dôme du goûter que nous avions traversé. Le vent y baladait la neige telle du sable dans un désert. Devant nous et plus proche que jamais, le Mont Blanc. Dernière pause, dernière ligne droite. J'ai secoué les mains vers le bas pour y faire circuler le sang et y diffuser de la chaleur, puis me suis relevée. J'ai coincé mon écharpe sous mon masque de ski afin de minimiser au maximum le contact entre ma peau et l'air, si bien que chaque parcelle de mon corps était couverte. Je le suis mise à penser à des choses chaudes comme un four, une île tropicale, le soleil, les mains de Derek sur mon cou... Un frisson m'a traversé, et il n'était pas dû au froid.

-On y est presque, ai-je dit en me secouant.

En me tournant vers mes amis, j'ai senti une vraie bouffée de chaleur m'envahir : ils fixaient l'objectif devant eux, une lueur farouche et déterminer dans le regard.

Nous avons repris notre dur périple. Nous avancions lentement, le dos courbé en regardant nos chaussures pour éviter de glisser. Une fois les quelques mètres nous séparant du sommet passés avec émotion, nous étions arrivés. Arrivé... Ce mot résonnait étrangement dans ma tête, comme si c'était impossible. Et pourtant... Le monde s'étalait sous nos yeux, nous donnant l'impression d'être minuscule et tout puissant à la fois, effaçant instantanément mes crampes. J'ai été traversée par des sentiments si forts que je ne pouvais les identifier. Un nombre d'autres sommets incalculables s'étendaient à trois cent soixante degrés noyés dans une mer de nuages. On s'est tous pris dans les bras, signe qu'on avait enfin atteint notre but. La victoire nous réchauffait le cœur et nous faisait oublier le froid. J'aurais bien aimé que Shannon voit ça... J'ai retiré le gant de ma main droite pour faire une photo avec mon téléphone du panorama. Je ne lui montrerai certainement jamais mais au moins ça me faisait un souvenir. Kevin a poussé un cri de joie en s'affalant dans la neige.

-Vous pouvez me rappeler pourquoi ils ont foutu un portail ici ? a-t-il demandé en battant des bras et des jambes pour faire un ange.

- Pour que tu fasses un peu d'exercices espèce de gros flemmard ! a répliqué Sélianne en lui lançant une boule de neige en pleine figure.

Il s'est secoué pour faire tomber les flocons de son visage, même si certains persistaient à s'accrocher au cheveux dépassant de son bonnet.

-Moi flemmard ? Comment oses-tu ? Je suis le plus grand athlète que le monde est connu !

Sélianne, Athalé, Derek et moi l'avons regardé l'air exaspéré, avant de lui lancer une nouvelle salve de boule de neige. Kevin les a esquivés en roulant sur lui-même, puis s'est jeté sur la personne la plus proche de lui : Sélianne. Ils ont glissé et ont disparu de l'autre côté du sommet. Nous nous sommes précipités dans leur direction pour les découvrir à moitié recouverts de poudreuse, pris d'un fou-rire.

-On recommence quand vous voulez !

-On va éviter... Quelques mètres de plus et vous seriez au fond de la vallée, les ai-je prévenus.

-Ouais, pas hyper envie, a dit Sélianne en se relevant.

-Bon, il est où ce portail ? Parce que je sais pas vous mais moi, je commence à en avoir marre des températures négatives... s'est plaint Kevin.

-Si tu ne te roulais pas dans la neige, ça irait déjà mieux, l'a réprimandé Sélianne.

-Par ici, a signalé Athalé.

Elle nous a guidé vers la pente sud du mont, et nous a arrêté devant un tas de neige.

-Désolé te dire ça, mais je ne vois pas vraiment de portail ici...

-Attend.

Elle a retiré ses moufles et a collé sa main contre le monticule. Après quelques secondes et une petite décharge magique, il s'est ouvert en deux avec un tremblement qui a déblayer la neige qui le recouvrait, pour y dévoiler un sombre escalier descendant en colimaçon.

-On y va, a-t-elle dit en s'engageant dans les marches.

-Pas du tout flippant.

-L'entrée aux enfers, a confirmé Sélianne.

Nous l'avons suivi, sur nos gardes. Des torches s'allumaient au fur et à mesure que nous avancions. Le bruit de nos pas sur les marches en métal rendait l'atmosphère encore plus lugubre. Arrivé en bas, j'ai levé la tête et j'ai pu constater que la porte d'accès s'était déjà rebouchée. Un petit tunnel sur notre droite débouchait sur une veille porte rouillée.

-On a fait tout ce chemin, pour ça ? Je retourne à l'auberge, a dit Kevin en faisant mine de partir.

-L'important, c'est ce qui l'y a derrière, a rappelé Athalé. Vous êtes prêt ?

On a acquiescé et elle a poussé la porte. Elle donnait sur une pellicule gris qui semblait fine.

-On se revoit de l'autre côté, a-t-elle en s'engageant dans la membrane.

Chacun est entré à son tour et a disparu dans un éclair de lumière. J'ai été la dernière à avancer, juste après Derek, mais avant de traverser, tout a de nouveau basculé.