Chapitre 35

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                                          Chapitre 35



   Le contact de l’eau m’a fait un choc. Elle n’était pourtant pas si froide. Peut-être qu’il n’y avait pas que de l’eau. Mais je n’avais pas le temps d’y réfléchir, je devais m’activer sans plus attendre. Les règles de la seconde épreuve étaient extrêmement simples : c’était une course de natation et les trois premiers arrivés seraient qualifiés pour la suite. Cependant le décor, lui, était plus complexe. Bien évidemment, les organisateurs ne pouvaient pas se contenter de nous faire nager dans un simple bassin, ça aurait été trop facile. Pour rendre le tout plus impressionnant, ils avaient créé un couloir d’eau qui lévitait au-dessus du stade. Et ce n’était pas non plus un chemin tout droit où même un cercle comme piste de nage, mais plutôt un enchainement de virages, de descentes à pic et de loopings, comme des montagnes russes. Après nous avoir fait courir, ils nous faisaient nager. Et encore une fois, il était interdit de quitter le circuit. On ne pouvait que sortir la tête de l’eau pour respirer.
   Mais ce n’était pas un problème pour moi. Dès l’annonce de l’épreuve, j’avais su que j’aurais l’avantage. Ma stratégie n’était pas compliquée, mais nécessitait beaucoup d’énergie.
   Maintenant que je venais sauter de mon plongeoir, je n’avais pas une minute à perdre. J’ai utilisé un courant pour me propulser en avant, et un autre en sens inverse pour empêcher mes adversaires d’avancer. J’avais presque atteint le premier virage, emportée par une vitesse fulgurante, quand j’ai jeté un coup d’œil derrière moi. Les autres joueurs luttaient à contre-courant et un avait même été éjecté hors du circuit, sûrement prit par surprise.
   Je me suis reconcentrée sur ma route pour prendre un tournant à cent quatre-vingt degrés. Ça demandait une concentration extrême pour éviter de tomber moi aussi du canal et d’être éliminée bêtement, mais je ne voulais pas ralentir. Succession de zigzag. Je me sentais trop bien. Comme un poisson dans l’eau. J’étais comme prise d’euphorie, enivrée par la vitesse, et je ne pouvais pas ralentir, juste donner le meilleur de moi-même. Descente à pic. J’étais en position vol d’Iron man, les bras le long du corps tendu, les mains ouvertes pour m’aider à me diriger. Suite de cinq vrilles. Je crois pouvoir dire que je m’amusais comme une petite folle. Je me risquais même à quelques figures.
   Fer à cheval. L’eau était un de mes éléments de prédilection. J’avais appris pendant de longues heures d’entraînement à le maîtriser sous plusieurs formes, d’une multitude de façons. Je n’avais même plus besoin de sortir respirer hors de l’eau, je créais mon oxygène. Remonté en spirale. J’allais si vite que je ne voyais plus que de l’eau autour de moi, le reste était flou. J’étais dans un monde à part. Ou presque. Le brouhaha de la foule en dessous de moi me parvenait encore, de manière diffuse, et me rappelait que j’étais toujours en pleine course. Grand looping.
   Et pour finir la ligne d’arrivée. Elle était représentée par un hologramme en damier, qui a explosé en confettis quand je l’ai traversé. J’ai enfin relâché mon courant pour décélérer. J’étais très fatiguée, mais fière de moi. La partie du circuit dans laquelle je me situais s’est détachée du reste pour m’emmener dans une grande bulle d’eau au-dessus du circuit et de stade. Je me trouvais maintenant en face des gradins remplis par la foule suspendus dans le ciel, pile dans la ligne de mire de Caleb. Celui-ci m’a fait un signe de main pour me féliciter pour ma victoire mais je n’y ai pas fait attention. J’étais plutôt concentrée sur ce qu’il se passait en dessous de moi.
   Sur les six joueurs, quatre était encore en course. L’un avait clairement l’avantage. Il avait dû réussir à prendre de l’avance malgré mon sort, et ce n’était pas difficile de deviner comment. Il ou elle s’était tout simplement transformé en espadon et bravait l’eau avec de puissant coup de nageoire. Même s’il était moins alaise dans les virages, je savais que cet animal faisait partie des plus rapides au monde, avec des pointes à cent dix kilomètres par heure. Ç’a donc été sans grand étonnant qu’il a passé en deuxième la ligne d’arrivée. Quand il a repris sa forme humaine, j’ai pu voir qu’il s’agissait d’un Canadien qui semblait avoir mon âge, un grand sourire aux lèvres. Le dernier à se qualifier a été un Irlandais à l’air bourru, qui s’était démarqué avec des minis tornades qu’il avait créées pour ce déplacer ou éjecter ses adversaires.
   Tous les deux sont venus me rejoindre dans une bulle similaire à la mienne devant l’estrade de Caleb. Celui-ci a fait un discours plein d’entrain en tenant le micro presque à bout de bras.
-Madame et monsieur s’est incroyable ! Nous venons d’assister à une performance exceptionnelle ! La gagnante de cette manche s’appelle Naléiss Freeds, mais il s’agit également de celle qui, pour le moment, marque un record de temps ! Pourtant j’ai cru entendre que c’était sa première participation aux jeux. Peut-être une future étoile montante, à surveiller de très près !
   Tout du long de son éloge, je ne savais pas où me mettre. Et ce n’était pas comme si j’avais beaucoup de possibilités. Je sentais le regard de milliers de personnes posé sur moi. Ne sachant pas comment réagir, j’ai essayé de garder un air neutre, l’air sûre de moi. Pourtant, je percevais l’eau au niveau de mes joues chauffer. J’ai été soulagé quand il est passé au deux autres gugus.
-Mais bien sûr, nous n’oublions pas Loukas Dubois qui nous a montré sous son meilleur jour la puissance d’un poisson voilier, et Sean O’connor celle de ses vents ! Vous pouvez passer à la suite et on espère vous revoir très vite dans l’aventure !
   Nos bulles d’eau sont redescendues et ont éclaté dans un couloir qui nous menait directement à la salle où l’on devait attendre pour la prochaine épreuve. Un panneau m’indiquait que j’y étais conviée dans un peu plus d’une demi-heure. Le Canadien s’est arrêté à côté de moi et m’a parlé à toute vitesse avec un accent prononcé. Il m’a félicité pour ma victoire, et c’est tout ce que j’ai réussi à comprendre dans son enchainement de phrases. Il est ensuite parti joyeusement en direction du buffet. Je me suis dit qu’il s’entendrait certainement bien avec Sélianne, puis je suis allée me changer. Je n’étais pas à l’aise en maillot de bain. Surtout que si l’on s’approchait de trop près, on pouvait distinguer les marques à la base de mon cou. Un frisson m’est remonté dans le dos et j’ai tourné les talons.

Naléiss FreedsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant