Chapitre 34
Un vacarme épuisant accompagnait notre arrivée, à Derek, moi et nos cinq autres concurrents. Les trente minutes qu’on nous avait laissé pour enfiler un maillot avec mon nom était passées aussi rapidement qu’une tortue. J’étais maintenant au pied d’une structure faite de planche de bois claire, qui faisait le tour du stade. Sa longueur était de huit cents mètres pour une largeur de quinze mètres et une hauteur de trois. Les règles de l’épreuve étaient simples : les trois premiers arrivés au bout qui se trouvait donc dans notre dos, à monter en haut de la tour d’une cinquantaine de mètres, sans jamais tomber ou toucher le sol, étaient qualifiés pour la suite. Cependant, interdit d’utiliser la lévitation pour voler, ça aurait été trop facile. Des gradins sortis de nulle part longeaient tout notre parcours. Ils étaient remplis par la foule, en particulier au niveau du départ et de l’arrivée. Il y avait une place spéciale pour Youna qui présidait l’évènement. Tout ce qu’elle disait était ensuite traduit dans la langue de chaque joueur et ressortait par les haut-parleurs.
-L’épreuve va démarrer ! Veuillez accueillir le numéro trois cent cinquante deux, Maria Sanchez !
L’intéressé est montée jusqu’à la ligne de départ, en saluant le public qui l’encourageait. J’étais la troisième à me mettre en place. Je n’ai pas fait de grands gestes ni lancé des petits cœurs quand la caméra est passée devant moi. À vrai dire, je ne l’avais même pas remarqué. J’observais plutôt la foule qui s’étalait devant moi.
-Un peu plus à droite.
Je me suis tournée dans la direction indiquée et j’ai enfin repéré Athalé, Kevin et Sélianne qui agitaient les bras pour me signaler leur présence. Un sourire s'est dessiné sur mon visage.
-Bonne chance !
J’ai regardé mon badge, mon numéro, mon identité pour ces jeux, qui prouvait ma participation et mon postulat au titre de vainqueur.
J’ai inspiré un grand coup. Ça allait commencer. La compétition sans merci allait commencer maintenant, et se terminerait qu’à la fin de la journée, quand un gagnant serait désigné. Celui-là même qui deviendra l’un des grands mages a avoir reporté les jeux magiques et aura son nom qui figurera sur le Mur des Vainqueurs. Celui-là même qui aura le droit de choisir l’objet de son choix parmi tous ceux présentés à la foire.
Je vais y arriver. Pour toi Nelly. Mes mains se sont mises à trembler. Comme j’avais glissé mon pendentif sous mon t-shirt pour éviter qu’il me gêne, j’ai senti le contact glacé de la pierre contre mon cœur. Il me semblait d’un coup lourd et pesant. Je me suis retenue de le serrer dans mes mains. Le conseil de Dimitri m’est revenu. J’ai de nouveau pris une grande inspiration en fixant la piste qui s’étalait devant moi. Oublies tes problèmes et ne penses qu’à la victoire. J’ai inspecté le terrain qui se trouvait devant moi. Il n’allait pas falloir que je me laisse distraire. J'étais bien au courant qu’une seconde d’inattention pouvait suffire se faire éliminer.
Un coup de sifflet m’a fait relever la tête. Chaque concurrent s’étaient placés derrière une ligne blanche. Je me suis à mon tour mise en position. Je sentais le regard de certains joueurs sur moi, menaçant. Avec mon attitude, ils avaient dû me prendre pour une touriste ou quelqu’un de niais qui ne se rendait pas compte de ce que participer à ces jeux pouvait engendrer comme conséquence. À leurs yeux, je devais passer pour une proie inoffensive. Tant mieux. Comme ça, ils ne se méfieraient pas.
-À vos marques !
J’ai fléchi les genoux, un pied au bord de la ligne de départ.
-Prêt ?
J’ai jeté un coup d’œil à ma droite, dans la direction de Derek, au poste six. Il m’a rendu mon regard, avec un hochement de tête d’encouragement.
-Partez !
Je me suis élancée en avant, tendue comme un élastique. J’ai créé en même temps un épais nuage de sable, pour espérer en aveugler et en ralentir quelques-uns, mais tous ont continué, certains en toussant ou en se frottant les yeux. Avec ses jambes argentées, Derek s’était démarqué par une bonne avance, avec une autre fille jamaïcaine qui se déplaçait à une vitesse phénoménale. Moi, je courais le plus vite que mes jambes me le permettaient, mais l’écart se creusait déjà, et la moitié des concurrents m’avaient déjà rattrapé. Si ça continu comme ça, je peux dire en revoir à la qualification ! Si tôt…
Aussitôt cette pensée formulée, le garçon qui s’apprêtait à me doubler a été projeté en l’air avec violence par un tremplin qui était sorti de la piste au moment où il avait posé le pied dessus. Il était hors de mon champ de vision mais j’ai très bien entendu le bruit de sa chute ainsi que les cris des spectateurs, hystérique. En tête, Derek et la fille avaient ralenti pour éviter de tomber dans une fosse qui venait de s’ouvrir. Derrière, une explosion s’est fait entendre, et même si j’en ai senti la chaleur, je ne me suis pas retournée, pour rester concentrée. Je fonçais en inspectant chaque parcelle de terrain du coup d’œil, à la recherche du moins renfoncement, trappe, ou petit indice qui pourrait indiquer un piège. Mais même en essayant d’allier vitesse et sûreté, je restais cinquième.
Alors qu’on était sur le premier tournant du parcours, mon regard s’est accroché en l’air, où une fille volait avec des ailes à la place des bras. Si la lévitation était interdite, sa technique devait, elle, être autorisée. Je n’étais pas dans l’état d’esprit de me battre avec les autres, comme certains devant moi qui se frappaient à coup de sort car je trouvais que c’était une perte de temps, cependant si personne ne faisait rien, il était clair qu’elle allait gagner. C’est pour cela que j’ai tendu un bras dans sa direction pour y déchaîner des vents violents. Après un court instant, elle a perdu le contrôle et s'est faite emporter dans les gradins.
Je n’ai pas eu le temps de me soucier de savoir si elle allait bien, car sous moi, une plaque s’était levée à la verticale comme un pont-levis pour me faire tomber de la structure. J’ai glissé directement vers le sol, jusqu’à réussir à m’arrêter grâce à l’attraction de ma main contre le bois. Mes pieds pendaient à quelques centimètres à peine de la terre. Merci Kevin ! Je me suis dit que si je gagnais, je lui achèterai le paquet de malabar dont il raffolait. J’ai commencé à remonter en spider man. Quand mes yeux ont été au niveau de la piste, je me suis arrêtée. C’était le désordre le plus total. Des piques sortaient au hasard et manquaient d’embrocher les joueurs à chaque instant, des trappes qui s'ouvraient … Même les compétiteurs avaient cessé de se battre entre eux, trop occupées à éviter les pièges et à rester en course. Finalement, j’étais pas si mal ici. J’ai eu une nouvelle idée. Si ça marchait, j’offrirais deux paquets de bonbon à Kevin. Je suis redescendue et j’ai transféré l’énergie dans mes pieds pour me mettre debout, au milieu du côté de la structure. J’ai fait un premier pas, pour bien vérifier que j’adhérais bien au bois, puis un autre, puis un autre. Une fois avoir repris un peu confiance en ma technique, je me suis mise à courir, parallèlement au sol. À des moments, je sentais la construction trembler sous mes pieds. Sûrement les pièges qui s’activaient.
En attendant je progressais sur le parcours très rapidement, de telle sorte que j’avais réussi à rattraper Derek et la jamaïcaine. J’ai attaqué le deuxième et dernier tournant. Perpendiculaire à moi, la tour qui était synonyme de victoire me paraissait de plus en plus grande. Au dernier moment, j’ai viré sur la droite pour remonter sur la piste dans le bon sens et me suis retrouvée la première au pied de l’architecture.
Il y avait plusieurs façons de l’escalader : sur le mur en bois, des prises d’escalade apparaissaient et disparaissaient de manière totalement aléatoire, de la même manière que de solide poteaux qui émergeaient de la paroi. Des cordes rouges tressées virevoltaient autour de la structure, accrochées à une plate-forme tournante tout en haut. Il y avait aussi une sorte d’entrée qui donnait accès à l’intérieur de la tour, mais vu les bruits qui en sortaient, je n’ai pas perdu de temps pour regarder à l’intérieur et j’ai commencé à me hisser sur la première corde que j'avais attrapée. C’était peut-être l’option la plus longue, mais elle me semblait aussi la plus sûre. Enfin… C’était sans compter sur la présence des autres concurrents. Alors que j’étais arrivée à la moitié de la hauteur en me tirant avec la force de mes bras et en poussant sur mes jambes, la corde enroulée autour de mes chevilles - techniques apprises avec Derek sur le parcours du combattant - j’ai entendu ce dernier crier :
-Naléiss ! Attention !
À peine ai-je jeté un coup d'œil en bas qu'un jet d'acide à brûlé la corde juste au-dessus de mes mains et l'a rompu, me faisant tomber. Je n'ai pas eu le temps de faire quoi que ce soit que Derek qui se trouvait sur le mur de la structure a projeté une main argenté qui m'a attrapée le bras dans ma chute, me projetant avec force contre la paroi. Mon épaule a accusé le choc et m'a fait grimacer de douleur.
-Ça va aller ? m’a demandé Derek.
-Oui, ne t’inquiète pas pour moi, ai-je dit en serrant les dents.
Je me suis accrochée avec une main à la prise la plus proche et j’ai entamé l’escalade sans plus attendre. Cependant, ce n’était pas encore fini. La fille qui m’avait fait tomber de ma corde continuait à nous attaquer, quelques mètres plus bas.
-Ça suffit.
J’ai appuyé mon pied sur une prise qui venait d’apparaître, me suis agrippée sur une autre avec ma main et me suis retournée pour faire face au vide. Je ne voyais pas la jamaïcaine mais tous les autres concurrents avait plus ou moins attaqué l’escalade par diverses possibilités. Et celle qui me harcelait d’acide était la plus proche et tendait de nouveau les doigts vers moi. J’ai été la plus rapide et lui ai lancé une boule de feu qui l’a touchée en pleine poitrine et l’a fait lâcher prise en criant. Dans sa chute, elle a entraîné une autre personne qui se trouvait sur sa trajectoire, comme une partie de bowling humain.
Sans plus de commentaires, j’ai continué à grimper, et plus on montait, plus les prises devenaient rares et disparaissaient rapidement. Derek m’avait devancé de plusieurs mètres mais me lançait toujours des œillades derrière son épaule. Il était presque arrivé mais il n’avait plus aucunes prises pour arriver sur la plate-forme. Il s’est donc pendu par les bras, les genoux pliés, les mains crispées sur sa dernière prise, puis s’est détendu comme un ressort en poussant sur ses jambes appuyées contre la paroi. Il a sauté, arrêtant mon cœur pendant une fraction de seconde avant d’attraper du bout des doigts la base.
Un gong a retenti au-dessus de lui. Quelqu’un venait de se qualifier. Il m’a lancé un dernier regard pressant avant de se tracter en haut. C’était la dernière ligne droite. Il ne restait que deux places. Le gong a sonné une nouvelle fois, sûrement signe que Derek s’était qualifié. Plus qu’une place. Je suis passée à la vitesse supérieure et j’ai recommencé à utiliser l’attraction. Je me déplaçais en araignée, mais pas aussi rapidement que je ne l’aurais voulu. Des barres sortaient à toute vitesse du mur, m’obligeant à surveiller celui-ci pour les esquiver.
-Et attention, c’est la remontée de Pedro Santos !
C’était la première fois que j’entendais les commentateurs et en effet, en baissant la tête, j’ai pu voir le joueur brésilien, gravir la tour en gagnant du terrain, des râles rauques sortant de sa gorge. Il créait lui-même ses prises, en plantant des poignards qui apparaissent au creux de sa paume dans le bois. Dès que la lame s’enfonçait dans la structure, il montait son pied opposé sur le canif d’au-dessus, et progressait ainsi.
Et évidemment, comme j’ai eu un moment d’inattention, je n’ai pas vu la barre en bois sortir du mur pour m’arriver en plein dans l’estomac, me coupant le souffle. Par je ne sais quel miracle, j’ai réussi à m’y accrocher. Je me suis débrouillée pour la glisser sous mes bras, le temps de reprendre ma respiration, toujours les jambes dans le vide. En levant la tête, j’ai pu apercevoir Mike à cinq coups de couteau de la victoire.
À ce moment-là, j’ai arrêté de penser et j’ai laissé faire mon instinct. Je me suis mise debout sur la barre de dix centimètres de diamètre, une main posée sur le mur pour garder l’équilibre, puis j’ai sauté comme un lémurien sauterait pour changer d’arbre, afin d’attraper au vol une corde qui passait par là, au moment où la barre en dessous de moi disparaissait. J’ai recommencé à grimper avec un regain d’énergie venu du tréfonds de mon être. Une fois assez haute, je me suis balancée d’avant en arrière, avant de tout lâcher, et d’atterrir sur la passerelle en roulade avant. À peine redressée, ma main a cherché le maillet posé sur un socle. Je m’en suis emparée avec sauvagerie, puis j’ai frappé sur le gong avec. La percussion a fait remonter des vibrations tout le long de mon bras jusque dans mes dents. Il a émis un son grave et solennel qui s’est étiré longuement avant de s’éteindre, alors que la tête du manieur de couteau apparaissait au niveau du bord.
-Et nous avons nos trois finalistes !
La foule s’est déchaînée tandis que mes genoux ont lâché et que je suis tombée sur mes rotules. J’ai levé la tête, le regard perdu sur le gong doré d’un mètre de diamètre que je venais de frapper, pendant que je prenais de grandes inspirations. Puis, j’ai enfin pris le temps d’observer ce qui se trouvait autour de moi : j’étais dans une tour de garde semblable à celle qui se trouvait au sommet de la Tour, avec une toiture en gradin. Une trappe menait à l’intérieur du bâtiment, sûrement le chemin qu’avait emprunté la jamaïcaine. Celle-ci devait être âgée d’un peu moins de la trentaine. Debout face à moi, elle me paraissait très grande avec un corps svelte et musclé. Elle avait une entaille sur le front et me fixait à travers ses mèches bouclées sans que j’arrive à déchiffrer d’émotion précise sur son visage. J'ai appris plus tard qu'en plus de porter le numéro 416, elle s'appelait Azaria Wint. Derek, lui, est venu me faire une accolade et m’a aidé à me relever, en me disant des mots que je n’ai pas entendu.
Des planches sont apparues derrière le gong, nous invitant à suivre le chemin tracé. Avant d’emboiter le pas à la jamaïcaine, me suis retournée vers le brésilien qui s’était à son tour tiré sur la plate-forme, mais sans avoir pu se qualifier. Il était allongé sur le dos et respirait avec difficulté. Je me suis approchée et lui ai tendu la main. Il m’a regardé, essayant de me cerner, puis à finalement accepter mon aide pour se relever. Une fois debout, et a transformé mon appui en poignée de main ferme, en même temps que de poser son autre main sur mon épaule. Là-dessus, pas besoin de parler la même langue pour se comprendre. Un serment était scellé. Je l’avais battu et maintenant, c’était à moi de gagner la compétition. Je hoché la tête, déterminée, puis j’ai rejoint Derek qui m’attendait.
La foule me paraissait encore plus nombreuse qu’à la ligne de départ. J’ai dû m’empêcher de lui attraper la main quand nous nous sommes arrêtés devant l’estrade où se trouvait Youna et j’ai fait de mon mieux pour relever la tête, l’air sûre de moi. Un chronomètre rouge au-dessus d’elle indiquait trois minutes vingt sept, temps de la jamaïcaine. L’Ancienne nous a souri et s’est levée.
-Félicitations à vous ! Vous avez su braver les obstacles et surmonter les dangers pour vous qualifier ! Merci pour ce spectacle qui a été splendide. J’ai le plaisir de vous annoncer que vous êtes dignes de continuer l’aventure !
En me retournant, j’ai vu Athalé, Kevin et Sélianne au milieu des spectateurs, les pouces levés pour nous féliciter. J’ai répondu par un petit signe de main mais j’étais crispée. J’étais parvenue à gagner cette épreuve in extremis, alors qu’en sera-t-il du reste ? Je devrais faire beaucoup mieux sur les épreuves suivantes.

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Naléiss Freeds
ParanormalNaléiss Freeds est une jeune fille qui entre en 2de dans une nouvelle ville, un nouveau lycée, où elle ne connaît personne, et c'est pour le mieux. Cependant, un groupe d'élève semble s'intéresser à elle. Alors que Derek, Athalé, Sélianne et Kevin e...