CHAPITRE 2 - Royaume en danger

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C'était la première fois que Lumenys utilisait une viatidi. Sitôt la perle déposée sur sa langue, un étrange fourmillement avait parcouru tout son corps, tandis que des bourrasques de vent avaient semblé l'envelopper tout entière, comme un cocon d'air frais. Elle avait vaguement senti ses pieds quitter le sol, incapable de distinguer autre chose qu'un épais brouillard blanc. Quelques secondes plus tard, elle atterrissait en douceur à côté de ses parents, tous deux d'une prestance et d'une élégance toute particulières.

Elle-même avait revêtu une longue robe de soie parcourue d'un entrelacs de broderies dorées, et avait laissé sa mère relever ses cheveux blonds en une complexe coiffure tressée. Si l'élégance de sa tenue lui conférait un simulacre d'assurance, Lumenys sentait malgré tout une douleur familière s'installer dans ses entrailles, et une boule se former dans sa gorge. Elle serra les poings et ferma brièvement les yeux pour s'efforcer de maîtriser son angoisse.

— Par Solila, c'est absolument incroyable, s'écria sa mère en contemplant le palais, des étoiles dans les yeux.

Il y avait en effet de quoi vous couper le souffle. Devant eux se dressait une ribambelle de délicates tourelles blanches, chacune surmontée d'une coupole d'un bleu céleste. Réparties sur trois niveaux, elles étaient reliées par des ponts finement ouvragés, sous lesquels se déversaient des torrents d'eau turquoise et des buttes de terre verdoyante. Trois gigantesques cascades scintillantes dévalaient la face abrupte d'une falaise située derrière le château.

Les trois Boisjolis se trouvaient sur l'un des nombreux ponts qui enjambaient le fleuve étincelant entourant l'édifice. À quelques pas d'eux, un portail en aigue-marine gardé par quatre soldats indiquait « Portail des invités ». Vêtus d'une épaisse armure, une lance à la main et deux dagues à la ceinture, leurs yeux fixaient les trois intrus avec vigilance. Sans se laisser impressionner, Alyst s'avança vers eux d'un pas ferme, talonné par sa femme et sa fille.

— Utilisation de viatidis : vous êtes la famille Boisjolis, c'est ça ? interrogea un garde avant qu'il puisse articuler le moindre mot.

— C'est exact, confirma-t-il. Vous étiez donc au courant de notre arrivée.

— Il valait mieux pour vous. Si nous vous avions vu atterrir brutalement ici, au mépris des contrôles de sécurité de l'autre côté du pont, sans avoir été prévenus au préalable, nous vous aurions accueilli avec la pointe de nos lances. Ce qui aurait été plutôt désagréable, vous en conviendrez. À présent, veuillez chacun votre tour poser votre paume à plat sur le portail en déclinant votre identité, poursuivit le garde tandis que lui et ses collègues s'écartaient par paire de chaque côté.

Alyst, Khaleira et Lumenys s'exécutèrent tour à tour sans que rien de particulier ne se produise.

— Parfait, commenta le soldat d'un air satisfait. Bienvenue chez le Roi et la Reine de Mageliam, ajouta-t-il d'une voix mécanique tandis que les portes s'ouvraient lentement vers l'intérieur.

Les trois Boisjolis franchirent le portail et se retrouvèrent dans un vaste hall, où quatre personnes les attendaient : trois serviteurs en livrée bleue et dorée, qui s'empressèrent de les débarrasser de leurs manteaux, et une élégante femme sans âge, dont le sourire professionnel ne montait pas jusqu'à ses yeux.

— Le roi Dunamor et la reine Noïmosès vous souhaitent la bienvenue, annonça-t-elle d'une voix douce et claire.Ils sont prêts à vous recevoir. Cependant, avant que je vous conduise à eux, ajouta-t-elle en leur présentant un minuscule coffret, je vais vous demander de remettre les viatidis qui vous ont été prêtées pour faciliter votre venue.

— Merci, reprit-elle une fois les perles récupérées. À présent suivez-moi, Leurs Majestés vous attendent.

Elle s'engagea aussitôt sur un pont protégé d'une toiture, soutenue par des piliers sculptés en pierre blanche. Lumenys ne réalisait pas tout ce qui était en train de se passer. Tout allait trop vite pour qu'elle puisse s'attarder sur le déroulement des événements : ils passaient d'un lieu à l'autre, d'un visage à l'autre en un clin d'œil, répondaient à diverses instructions, et tout s'enchaînait comme dans un rêve flou et tourbillonnant.

Les Six Lumières - Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant