Les Six Lumières - Livre I

CHAPITRE 8 - Hibernej

Accoudée à la rambarde, Lumenys réfléchissait au combat qui avait eu lieu la veille. Elle avait beau en rejouer le déroulement en boucle, elle ne voyait toujours pas ce qu'elle avait pu faire de spécial pour forcer la Dolorine, même affaiblie, à fuir la bataille alors qu'elle se trouvait en position de force. Mélhora lui avait conseillé de se concentrer sur ses sensations et sur ses émotions, pour tenter de se rappeler d'un possible déclencheur qui aurait débloqué un pouvoir particulier. Mais la seule sensation à laquelle la mémoire de Lumenys reliait l'événement, c'était la souffrance pure et simple, ce qui est le principe même d'une exposition à la Dolorine. La jeune fée retint un soupir de découragement. Tout le monde était convaincu qu'elle avait accompli quelque chose d'exceptionnel, alors qu'elle avait l'impression de n'être qu'une usurpatrice. Après tout, il n'y avait aucune preuve qui la désignait comme responsable, mis à part les apparences et les impressions des autres.

— Encore en train de te torturer l'esprit à cause du miracle dont tu ne te souviens plus ?

Mélhora s'accouda à côté de Lumenys, ses épaisses boucles brunes tourbillonnant dans le vent. La jeune fée acquiesça d'un air maussade.

— Arrête de te casser la tête, ça ne servira à rien. Tu as passé les dernières heures à retourner tes souvenirs dans tous les sens, si tu n'as rien trouvé, c'est sûrement parce que tu étais dans un état d'inconscience. Ce ne serait pas étonnant.

— Tu penses toujours que c'est moi qui ait fait fuir la Dolorine ? soupira Lumenys. Parce que plus j'y réfléchis, plus j'en doute...

— Je ne le pense pas, j'en suis absolument convaincue ! Tu n'as pas vu la scène de l'extérieur, Lumenys. Crois-moi, si tu avais été à ma place, tu ne douterais pas un seul instant non plus. C'est évident qu'il s'est passé quelque chose quand la Dolorine t'a attaquée.

Lumenys ne répondit rien, mais ne put s'empêcher de sourire. Elle aurait beau essayer de le nier, entendre des propos si assurés ne pouvait que lui remonter le moral.

— Allez, oublie cette histoire pour le moment. De toute façon, tu es toujours complètement aveugle lorsque tu dois te juger toi-même. Viens plutôt te changer à l'intérieur, c'est pour ça que j'étais venue te voir : on ne va pas tarder à atteindre le couloir de passage qui mène à Hibernej, et inutile de te dire qu'il vaut mieux te couvrir un minimum si tu ne veux pas finir avec un orteil en moins !

Quelques instants plus tard, l'ensemble de l'équipe était réunie sur le pont, les jambes engoncées dans d'épais collants sous leur pantalon, une écharpe et un bonnet moelleux à la main, leur manteau enfilé sur les épaules. Lumenys priait pour que le couloir de passage ne soit plus très loin, sentant des filets de sueur dégouliner le long de ses jambes. Heureusement, son vœu fut rapidement exaucé. La rivière prit un virage serré et déboucha sur une immense étendue d'eau d'un gris scintillant dont les limites semblaient inexistantes. La mer d'Argent. Ils avaient fini par atteindre la frontière de Mageliam.

Lumenys promena son regard vers la droite, et tomba sur ce qui ressemblait à un gigantesque tunnel, dont l'extrémité se perdait au loin dans les flots de la mer. Peu de Soliliens pouvaient se vanter d'avoir emprunté, ou même seulement vu un couloir de passage : rares étaient ceux qui quittaient leur île natale. Lumenys en avait déjà vu des images, mais aucune illustration ne pouvait rendre justice à la monumentalité qui se trouvait à présent sous ses yeux. Le diamètre du couloir devait s'élever à plus d'une trentaine de mètres. Il avait l'air d'être modelé avec l'eau étincelante des rivières de Mageliam, au milieu de laquelle tournoyaient des nuances de bleu, d'orange, de vert, de rouge, de violet et de blanc. Cet ensemble à la fois hétéroclite et harmonieux était recouvert d'une infinité de particules de lumière, qui formaient un halo doré autour du tunnel – du moins sa partie visible. En portant son regard vers la partie du couloir se perdant dans l'horizon, Lumenys eut l'impression de distinguer une couche de givre se superposer à l'eau brillante. De l'autre côté du tunnel, à droite, s'étendait l'eau blanche de la mer Glaciale. Aucun garde, aucune mesure de protection se semblait entraver le passage des voyageurs. L'espace était désert.