CHAPITRE 16 - Montagne mortelle

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Après deux couchers de soleil, de nombreuses heures durant lesquelles les montagnes semblaient s'éloigner à mesure qu'ils progressaient sur le chemin, les neuf fés finirent par atteindre le sommet d'une vallée, au bas de laquelle se dessinaient les contours d'un village situé pile au pied des trois montagnes.

— Encore quelques heures, et on y est avant la fin de la journée, calcula Stelias.

Mais au lieu de s'engager dans la descente, il s'affala dans la neige et ferma les yeux. Les autres échangèrent des regards perplexes, sans trop savoir comment réagir.

— Je vous conseille de profiter de cette micro-pause, parce qu'on repart dans cinq minutes, les avertit Stelias, les yeux toujours fermés.

Mélhora esquissa un sourire. Elle échangea avec Héliane un regard entendu avant de se laisser tomber sans plus attendre à côté de Stelias, un soupir de soulagement s'échappant de ses lèvres.

Cinq minutes de repos et trois heures de marche plus tard, les neuf fés débouchèrent dans la première rue du village, encadrée de larges bâtisses d'où s'échappaient lumières et éclats de voix. Même si la nuit n'était pas encore tombée, peu de géants s'attardaient encore à l'extérieur de leur demeure. En même temps, le froid mordant et les bourrasques de vent qui leur fouettaient le visage ne donnaient pas vraiment envie de s'aventurer dehors. Consilior alpaga l'un des rares passants prêts à braver le climat pour lui demander le chemin de l'auberge la plus proche.

— On en est où, niveau argent ? le questionna Eidana une fois le renseignement obtenu.

— Pour l'instant, on tient, se borna à répondre Consilior.

Eidana n'insista pas. De toute façon, discuter de soucis pécuniaires au beau milieu d'une rue glaciale, après une journée de marche harassante, n'était pas forcément l'idée la plus judicieuse.

Les fés ne tardèrent pas à repérer l'auberge bien avant de se retrouver devant : la musique, les rires tonitruants et les éclats de voix qui en pulsaient s'entendaient depuis l'autre bout de la rue. Lumenys espérait pour les habitants du quartier qu'ils disposaient de murs insonorisants. Lorsqu'ils poussèrent la lourde porte, tous se retrouvèrent propulsés dans un tourbillon de lumières, de senteurs et de sons.

Des dizaines de bougies illuminaient la pièce de leurs longues flammes brillantes ; les manteaux accrochés aux murs, les tuniques des clients, les fresques de fleurs et de flammes peintes tout autour des tables, les fourrures brunes, grises, blanches étalées sur les banquettes en bois se mêlaient dans une explosion de couleurs ; le bruit des conversations, les éclats de rire gras ou joyeux, les apostrophes des clients aux serveurs, les cliquetis des couverts, les raclements des chaises atteignaient les oreilles des fés en une étourdissante cacophonie ; toutes les odeurs provenant des cuisines ou du dîner des clients s'engouffraient dans leurs narines pour chatouiller leur estomac.

Après des jours passés dans les plaines et les forêts d'Hibernej, dans le froid, le vent et la senteur des arbres, avec pour seule compagnie eux-mêmes et des créatures de légendes se nourrissant de rêves, le joyeux désordre qui régnait dans l'auberge étourdissait la totalité de leurs cinq sens. Pendant quelques secondes, ils restèrent immobiles, éblouis, comme destaupes émergeant de leur tanière après des mois d'hibernation.

Mais bientôt, les géants attablés non loin de l'entrée ne tardèrent pas à remarquer leur présence. Le bruit des conversations s'atténua à mesure que les têtes se tournaient vers eux, de nombreuses paires d'yeux clairs les dévisageant avec curiosité. Chuchotements, ricanements et sourires en coin remplacèrent peu à peu les éclats de voix tonitruants et les bruyantes apostrophes.

Les Six Lumières - Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant