CHAPITRE 11 - Glisser pour avancer

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Le lendemain, dans le courant de l'après-midi, le traîneau s'extirpa enfin de la forêt Hardenkir. L'ensemble des passagers retint un soupir de soulagement à la vue des vastes plaines enneigées et du soleil brillant, dont les rayons atteignaient désormais leur tête sans l'entrave d'une quelconque ramure. Nul n'évoqua son expérience au milieu de ces arbres aux murmures enchanteurs : ni les fantômes qui les avaient tourmentés, ni la nuit de rêves, de regrets et de passé qu'ils venaient de vivre. Lumenys pensait à Altyen, à son père qui avait disparu, dont elle n'avait jamais connu le destin jusqu'alors. Elle aurait voulu en savoir plus, mais elle se doutait qu'Altyen n'avait aucune envie d'aborder le sujet, alors elle laissa ses réflexions sombrer dans le fond de son cerveau. Mélhora se tenait à côté de Feldrieg, à l'avant du traîneau, résolue à lui tenir compagnie et à lui apporter son aide dès qu'elle le pouvait. Aucun des deux ne prononça la moindre parole, mais leur présence réciproque suffisait à leur apporter un semblant d'apaisement.

Le reste du trajet se déroula sans encombres, excepté le silence pensif qui s'était emparé de chacun depuis leur entrée à l'intérieur de la forêt aux fantômes. Les heures se succédaient à une vitesse fluide, au rythme du galop léger des Eolis et du défilement des étendues de neige, de glace et de feuilles cuivrées. Parfois, le traîneau glissait à proximité d'un village. Le quatrième jour depuis leur départ du village d'Hahturiv, alors que le soleil plongeait au milieu des nuages, Feldrieg dirigea le traîneau vers le village qui se dessinait à l'horizon, pas pour passer à côté, mais avec l'intention manifeste de s'arrêter à l'intérieur.

Quelques instants plus tard, les neuf fés retrouvaient la chaleur réconfortante d'un feu rougeoyant et d'une chambre isolée. Après un dîner délicieusement chaud et consistant, Feldrieg toqua à la porte de leur chambre pour leur remettre une carte de la région est d'Hibernej, sur laquelle il s'était appliqué à tracer l'itinéraire le plus court qui les mènerait au pied du mont Eldurhim. Consilior l'accepta avec de chaleureux remerciements, imité par Eidana et même Stelias, la surprise transparaissant sur son visage. Puis le géant inclina son visage lunaire face à chacun des neuf fés, le poing sur le cœur, en un ultime salut respectueux.

Il marqua un temps d'arrêt face à Mélhora, dont les yeux émeraude scintillaient de larmes contenues. La jeune fée n'aurait su dire exactement pourquoi, mais en quelques heures, elle s'était prise d'une réelle affection pour ce géant aux traits doux et aux mots si justes.

— Vous me manquerez, déclara-t-elle simplement.

Cette formule lui parut bien fade. Elle aurait voulu dire beaucoup plus, lui exprimer la gratitude qui l'étreignait en pensant à la manière dont il l'avait sauvée, l'apaisement que ses paroles lui avaient procurées, la tristesse qui la tourmentait face à l'obligation de lui dire adieu, et la certitude qu'elle ne le reverrait sûrement jamais.

Mais Feldrieg sembla comprendre tout ce que ses mots ne parvenaient pas à dire. Un sourire attendri fleurit sur ses lèvres, comme le dernier scintillement d'une étoile avant le lever du jour.

— Vous n'avez plus besoin de moi. Mais à moi aussi, vous me manquerez... Si vous revenez sur Hibernej un jour, ma porte vous sera toujours ouverte. De toute façon, tôt ou tard, nos âmes se retrouveront.

Puis il se détourna et s'avança jusqu'à la porte, avant de jeter un dernier regard à ses anciens compagnons de voyage.

— Que Solila vous garde, murmura-t-il, la voix légèrement enrouée.

À peine les neuf fés eurent-ils le temps de répondre qu'il disparut avec légèreté dans le couloir.

***

Les Six Lumières - Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant