Les Six Lumières - Livre I

CHAPITRE 15 - Faites de beaux rêves

Lumenys se demanda combien de temps encore tiendrait Consilior avant de se faire foudroyer la nuque par un torticolis. Il ne cessait de tourner la tête tous les trente secondes en direction de l'ouverture béante de la roche derrière laquelle Eidana avait disparu – depuis un long moment, qui devenait de plus en plus interminable. Les huit fés se tenaient regroupés au milieu des somniars qui vaquaient à leurs occupations, tout en les lorgnant régulièrement d'un regard narquois. Au moins, ils avaient pu se remettre debout : ils avaient ainsi l'impression de retrouver un semblant de dignité.

Personne n'osait vraiment prendre la parole, même à voix basse. Ils se contentaient de rester près les uns des autres, dans l'espoir de se procurer un illusoire sentiment de sécurité. De temps à temps, une pression à l'épaule, un serrement de main, un sourire discret apportaient aux uns et aux autres une goutte de réconfort. Toutes leurs pensées étaient tournées vers l'intérieur de la roche. Vers Eidana. Aucun son ne perçait derrière la pierre, aucun indice susceptible de leur indiquer ce qui se passait à l'intérieur. Lumenys n'arrivait pas à savoir si c'était bon signe.

Elle avait envie de croire qu'Eidana allait s'en sortir : elle avait l'air si déterminée en se portant volontaire, une flamme de courage brûlant dans ses yeux bruns. Et puis, quoi qu'en dise Consilior, aux yeux de Lumenys, Eidana était une guerrière, audacieuse, précise . Et diablement intelligente, par-dessus le marché. Mais la jeune fée n'oubliait pas ce qu'elle devait affronter : une somniar, apparemment la plus dangereuse de toutes – comme si elles n'étaient pas déjà suffisamment redoutables !

— Bon sang, vous croyez qu'elle va réussir à s'en sortir ? finit par souffler Altyen, son esprit pour une fois parfaitement focalisé sur la situation actuelle.

— On parle d'Eidana, la Terrestre au regard de tueuse, capable de défier à la fois Consilior et une bonne centaine de somniars... Bien sûr qu'elle va s'en sortir, assura Fidros d'un ton catégorique.

Impossible pour lui de concevoir une autre issue. Altyen exerça une légère pression sur son épaule et lui adressa un sourire doux. Fidros lui renvoya un regard qu'il espérait confiant.

Héliane laissa échapper un long soupir fébrile : ce silence angoissé la mettait à la torture. Sans la regarder, Stelias posa sa main sur son épaule. La jeune fée la recouvrit de la sienne. Lumenys chercha les prunelles vertes de Mélhora : son regard assuré apaisa quelque peu l'angoisse sourde qui étreignait son cœur.

Quant à Consilior, il ne détournait plus les yeux de la faille rocheuse, le front plissé, la mâchoire crispée. Coralya remarqua le léger tremblement qui agitait sa main gauche. Elle la saisit d'un mouvement doux. Le Spirituel s'y raccrocha, et la serra avec force. À ce moment, un lien indescriptible les reliait les uns aux autres, tous unis dans l'attente, la peur, et l'espoir. Un brin d'espoir, aussi ténu qu'inévitable.

Soudain, toutes les somniars se tournèrent d'un seul mouvement vers l'ouverture de la roche.

Consilior laissa tomber la main de Coralya. Héliane lâcha celle de Stelias et poussa un profond soupir – de soulagement, cette fois. Fidros attrapa d'un bras les épaules d'Altyen, le visage dévoré par un sourire ravi. L'étau qui enserrait le cœur de chacun des huit fés se desserra comme par magie.

Eidana était revenue.

Et elle n'était pas seule : derrière elle se tenait une somniar resplendissante, majestueuse, au regard aussi noir et brillant qu'un diamant de ténèbres. Son aura sombre et tranchante ne pouvait qu'imposer le respect et la vénération.

La fameuse doyenne. À laquelle Eidana avait survécu.

Dans un ensemble parfaitement synchronisé, à la grande stupeur des huit autres fés, toute la meute de somniars plongea dans une profonde révérence. Ils ne s'inclinaient pas devant leur doyenne. Ils s'inclinaient devant Eidana.