Les Six Lumières - Livre I

CHAPITRE 21 - Suivre son instinct

Lorsque Mélhora ouvrit les yeux, elle fut d'abord déconcertée de trouver au-dessus de sa tête un ciel aux nuances rosées constellé de nuages, et non le plafond grisâtre d'une grotte assaillie par les vents d'une tempête. En un éclair, toute la journée de la veille se déroula dans son esprit, et notamment toutes les améliorations concernant l'état de Lumenys qu'elle avait constatées, traquées, recueillies une à une, alimentant la flammèche d'espoir que enflait peu à peu dans son cœur.

Soudain, elle eut peur de se retourner vers sa droite, là où elle savait que se trouvait son amie.

Que ferait-elle si elle la découvrait de nouveau pâle, fantomatique, les cheveux ternes ? Que ferait-elle si tous ses espoirs de la voir se réveiller se trouvaient douchés en une seule petite seconde ?

Que ferait-elle si ces espoirs ne réapparaissaient plus, ni dans un jour, ni dans une semaine ?

Que ferait-elle si elle ne se réveillait jamais ?

« Lumenys a déjà gagné. Elle a survécu à la tempête. Si la tempête ne l'a pas tuée, ça veut dire qu'elle est destinée à vivre. » Mélhora se raccrocha aux paroles d'Héliane comme au dernier rocher qui l'empêchait de sombrer dans l'océan de son angoisse.

Lajeune fée se redressa dans un long étirement, malgré tout moins douloureux que celui de la veille. Même si c'était le cadet de ses soucis depuis plusieurs jours, elle ne pouvait nier que cette nuit avait fait du bien à son capital sommeil. Ses paupières s'étaient fermées dès qu'elle avait posé la tête sur sa couverture.

Son regard se porta naturellement sur sa droite, prêt à buter sur le corps endormi de Lumenys...

Vide.

Mélhora cligna des yeux. Son cerveau se vida de toute pensée cohérente. Son cœur se mit à battre follement dans sa poitrine, sans qu'elle sache si c'était sous le coup d'une peur terrible ou d'un espoir incontrôlable.

— Eh ben, c'est pas trop tôt ! Une minute de plus, et mon estomac commençait à se digérer lui-même !

La voix geignarde de Fidros frappa les oreilles de Mélhora, l'arrachant momentanément à son état d'hébétude. Elle tourna la tête vers lui si brusquement qu'elle sentit un éclair de douleur parcourir sa nuque. Réprimant une grimace, elle posa son regard sur son cousin, assis à deux mètres d'elle.

Ses yeux gris pétillaient, et un sourire, un vrai sourire, ni moqueur ni charmeur, s'étalait sur son visage jusqu'à créer de petits plis aux coins de ses yeux. Contrairement à ce que supposait le ton de sa voix, il semblait se retenir d'exploser de joie.

Dans le cœur de Mélhora, la flammèche se transforma en brasier. Ça ne signifiait qu'une seule chose, ça ne pouvait signifier qu'une seule chose...

Mélhora la sentit avant même de la voir, avant même d'entendre le léger bruissement de son manteau lorsqu'elle s'approcha d'elle. Lorsque ses yeux rencontrèrent les yeux de Lumenys – bien ouverts, plein de vie – le monde se réduisit à elle. À elle, et aux quelques mètres qui les séparaient.

La jeune fée eut à peine conscience de ce qu'elle fit à ce moment-là. Elle se rendit vaguement compte qu'elle repoussait sa couverture avec violence, qu'elle bondit sur ses pieds en manquant de se les emmêler, qu'elle courut dans la neige, que Lumenys courut aussi...

Les deux jeunes fées se jetèrent dans les bras de l'autre, se serrèrent jusqu'à l'étouffement. C'est fini, c'est fini... Le rire de Lumenys, légèrement rauque, résonna dans l'oreille gauche de Mélhora. Un immense sourire se dessina sur son visage, et elle joignit son rire au sien. Son cœur grossissait, grossissait, débordait de sa poitrine à mesure que la chaleur du corps de son amie s'imprimait sur le sien. C'est fini, c'est fini...